Dans une conjoncture où la souveraineté alimentaire est devenue un enjeu stratégique, cette tribune Hervais Omva, ingénieur agronome, CEO de Mulilonkossi, Gérant de Amra Life Agri Limited et coordonnateur de l’ONG IDRC Africa, propose une feuille de route claire et réalisable pour atteindre l’autosuffisance agricole et avicole au Gabon d’ici 2027. S’appuyant sur des expériences qu’il vit en Zambie depuis bientôt 4 ans et le modèle de formation duale 75% de pratique et 25% de théorie qu’il conduit au Gabon, intégrant  production, transformation et structuration territoriale, l’auteur plaide pour un engagement collectif et immédiat. Objectif : faire de l’agriculture un levier de développement économique, de justice sociale et de fierté nationale.

Le Gabon dispose de toutes les ressources humaines, naturelles et stratégiques pour devenir un modèle d’autosuffisance agricole en Afrique centrale. © GabonReview

 

Hervais Omva, CEO de Mulilonkossi, Gérant de Amra Life Agri Limited. © D.R

Le temps n’est plus aux discours. Il est à l’action. Le Gabon dispose de toutes les ressources humaines, naturelles et stratégiques pour devenir un modèle d’autosuffisance agricole en Afrique centrale. Il ne manque qu’une volonté politique ferme pour aligner les dynamiques de terrain avec une vision institutionnelle cohérente et durable. C’est pourquoi je soumets aujourd’hui, à travers cette tribune, une proposition réaliste, opérationnelle et immédiatement déployable pour faire du Gabon un pays souverain sur le plan alimentaire et avicole dès 2027.

Alors que notre pays ambitionne de sortir de sa dépendance vis-à-vis des importations alimentaires, l’objectif d’autosuffisance doit s’imposer comme un nouveau paradigme économique. Dans un contexte de volatilité mondiale des marchés, où l’alimentation devient un outil de domination géopolitique, le Gabon ne peut plus se permettre de dépendre de l’étranger pour nourrir sa population.

Former, produire, transformer : une triple exigence

La première urgence est la formation. Professionnaliser l’agriculture gabonaise est un préalable incontournable. Depuis 2020, le modèle dual expérimenté dans le village agricole de Bolokoboué a fait ses preuves : 75 % de pratique pour 25 % de théorie. Ce dispositif permet, en six mois, de former des agripreneurs immédiatement opérationnels, capables de maîtriser les techniques culturales, la gestion des ressources, la commercialisation et l’organisation coopérative.

Nous proposons de former 1 500 jeunes par an, issus de toutes les provinces, et de les spécialiser dans des filières à fort potentiel : maïs (alimentation humaine et animale), manioc (base de consommation locale), arachide (huile végétale), maraîchage (nutrition quotidienne), bananiers (méthode PIF pour rendement accéléré), arbres fruitiers (diversification alimentaire et transformation), et élevage avicole (races Goliath et Brahma, rustiques et adaptées à nos conditions).

Ces formations seront complétées par des tests pilotes sur des cultures stratégiques comme le soja, le blé et le tournesol, en réponse à la demande croissante en protéines végétales et en matières premières industrielles. « Pour nourrir le Gabon, formons ceux qui le labourent. »

Un fonds d’investissement pour une agriculture entrepreneuriale

L’annonce récente de la création d’un Fonds Stratégique Agricole (FSA) par les autorités de la Transition est salutaire. Encore faut-il en faire un véritable levier de transformation. Pour cela, sa gestion doit échapper aux logiques bureaucratiques et clientélistes. Il doit fonctionner selon des critères clairs : efficacité, transparence, et impact mesurable.

Je recommande une répartition intelligente de ces ressources :

Subventions directes pour les producteurs actifs ou en phase d’installation (semences, outillage, intrants, infrastructures, systèmes d’irrigation) ;

Crédits agricoles souples pour renforcer leur capacité d’investissement ;

Financement de la formation, de l’encadrement et du mentorat, indispensables pour garantir des résultats durables.

L’agriculture doit également s’appuyer sur la structuration en coopératives, afin de mutualiser les coûts, améliorer les marges, et renforcer la capacité de négociation face aux marchés. « L’agriculture ne doit plus être une activité de subsistance, mais une entreprise de souveraineté

Structuration territoriale et coopération régionale

Le village agricole de Bolokoboué constitue une matrice duplicable. Il doit être reproduit dans chaque province, en tenant compte des spécificités agroécologiques. Cette structuration territoriale permettra de relocaliser les chaînes de valeur, de créer de l’emploi en zones rurales et de capter sur place la valeur ajoutée à travers la transformation (huilerie, conserverie, minoterie, couvoirs, etc.).

Par ailleurs, le Gabon doit se positionner comme un acteur régional de l’agro-industrie. La demande en produits agroalimentaires ne cesse de croître en Afrique centrale. En misant sur la qualité, la traçabilité et la compétitivité, notre pays peut devenir un pôle exportateur dans la CEMAC. « Ce n’est pas la terre qui manque au Gabon, mais une politique de la terre pour tous. »

Vers une autosuffisance avicole en 2027 : un objectif à portée de main

L’interdiction prochaine des importations de volaille, annoncée pour 2027, est une décision audacieuse. Encore faut-il l’accompagner d’un plan structurant et cohérent pour développer la filière avicole locale.

Ce plan repose sur trois piliers :

  1. Formation technique des éleveurs à l’élevage moderne : reproduction, alimentation, biosécurité, gestion sanitaire ;
  2. Implantation d’infrastructures régionales : couvoirs, abattoirs, unités de conditionnement, avec des normes HACCP ;
  3. Déploiement d’un réseau de distribution fiable à l’échelle nationale, avec des débouchés sécurisés (cantines scolaires, hôpitaux, prisons, forces de sécurité).

Les races Goliath et Brahma, déjà élevées localement, offrent des performances supérieures. Leur diffusion massive doit être une priorité. « Un pays qui importe ce qu’il peut élever trahit son potentiel. »

Un pacte agricole pour un Gabon nouveau

Je propose la signature d’un Pacte Agricole de Transition. Il réunira l’État, les ONG de terrain comme IDRC Africa, les coopératives agricoles, les entreprises privées, les partenaires techniques et financiers, et bien sûr les jeunes en formation.

Ce pacte constituera un cadre contractuel et stratégique pour assurer :

La cohérence des interventions ;

La transparence dans l’allocation des ressources ;

Une gouvernance partagée et participative ;

L’évaluation régulière des résultats.

Le Gabon peut devenir autosuffisant, mais seulement si les pouvoirs publics, la société civile et les acteurs économiques unissent leurs efforts. « Invitez-nous à la table, nous sommes prêts à relever le défi. »

Le moment est venu

Ceux qui nourrissent un pays le construisent plus durablement que ceux qui le gouvernent seuls. En intégrant les acteurs de terrain à l’élaboration des politiques agricoles, nous pouvons faire du Gabon un modèle africain d’autonomie alimentaire, créateur d’emplois massifs et porteur d’une industrie agroalimentaire compétitive.

Ce rêve est atteignable d’ici 2027. Mais il exige une volonté politique affirmée, une planification rigoureuse, et des investissements massifs. « L’autosuffisance n’est pas une utopie. C’est une stratégie. Elle commence ici, maintenant, avec nous tous. »

Hervais Omva, CEO de Mulilonkossi, Gérant de Amra Life Agri Limited, Coordonnateur de l’ONG IDRC Africa – Ingénieur Agronome

 
GR
 

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