Cinquième République : Vider le débat

Comment garantir la protection de la chose publique ou du bien commun dans un contexte où la justice est sous tutelle de l’exécutif ? Or, pour permettre aux citoyens de jouir de leurs droits et libertés, pour permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, il faut faciliter l’accès à la justice.

N’en déplaise à la bien-pensance ambiante, tout changement de République doit induire un élargissement de l’espace des libertés. En quoi la Constitution du 19 décembre 2024 offre-t-elle des perspectives nouvelles en ce sens ? © GabonReview
Quel intérêt y a-t-il à proclamer le passage du Gabon à une «Cinquième République» ? Aucun : introduite dans le vocabulaire politique par Alphonse de Lamartine (1790 – 1869), ancien ministre français des Affaires étrangères février, la numérotation n’a aucune valeur juridique. Pis, on voit mal comment un même Etat peut changer de République. Pourtant, à coup de références historiques et d’arguments d’autorité, ce débat a bel et bien été lancé. On peut se résoudre à l’idée d’étudier l’histoire, chaque numéro renvoyant à une période bien déterminée. On peut chercher à faire écho à une tradition ou à une notion régulièrement usitée. Mais, comme le dit Dmitri Georges Lavroff, constitutionnaliste français, on ne peut réduire la République à «un laps de temps qui débute par l’adoption d’un texte constitutionnel et se termine lorsque ce texte est abrogé».
Notion peu usitée dans la littérature spécialisée
N’en déplaise aux tenants de la «Cinquième République», ni la doctrine ni la jurisprudence ne permettent de définir le changement de République. Peu usitée dans la littérature spécialisée, cette notion ne figure pas non plus dans les dictionnaires juridiques. Dès lors, on cerne mal l’intérêt de son introduction dans le jargon politique gabonais. Fallait-il découper notre histoire en séquences distinctes rattachées à des textes constitutionnels ? Fallait-il donner à la nouvelle Constitution une résonance politique et juridique particulière, quitte à assimiler République et Constitution ? On ne saurait trancher. N’empêche, on le rappellera : la République désigne la chose publique, le bien commun, l’intérêt général. En quoi la Constitution du 19 décembre 2024 offre-t-elle des perspectives nouvelles en ce sens ?
Depuis l’Antiquité, en tout cas depuis au moins Aristote, l’intérêt général est étroitement associé à la justice. Or, comme l’ont déjà relevé de nombreux observateurs, la nouvelle Constitution n’innove en rien sur cette question. Bien au contraire. Comme les précédentes, elle place la justice sous la tutelle de l’exécutif, le président de la République demeurant président du Conseil supérieur de la magistrature, bénéficiant en sus du pouvoir de désigner cinq des neuf membres de la Cour constitutionnelle. Comment garantir la protection de la chose publique dans un tel contexte ? Comment croire en une rupture avec le passé ? Et pourquoi parler de changement de République dans un environnement où d’aucuns redoutent la perpétuation des mauvaises pratiques ? Parce qu’on a changé de Constitution ? Au-delà de l’ordonnancement institutionnel, la Constitution vise avant tout deux objectifs : la protection des citoyens et, la séparation des pouvoirs.
Maintien du statu quo ante
Si la nouvelle Constitution offrait des garanties supplémentaires en termes de protection des droits et libertés, si elle établissait un système équilibré et novateur de poids et contrepoids, on aurait pu parler de changement de République, sans pour autant s’avancer sur la numérotation. Or, sans revenir sur le débat constitutionnel, la nouvelle Loi fondamentale n’induit rien de tel. À maints égards, elle laisse croire au maintien du statu quo ante. Si son article 9 évoque, au nombre des valeurs, le respect de la dignité humaine, on n’en reste pas moins dans l’incantation. Nulle part, le texte n’indique les modalités de mise en œuvre. Or, pour prévenir les risques d’arbitraire, pour permettre aux citoyens de jouir de leurs droits et libertés, pour permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, il faut faciliter l’accès à la justice. À cet effet, il faut prévoir un mécanisme idoine, l’annoncer dans la Constitution et procéder à un renvoi à la loi.
Les adeptes du droit comparé auront tôt fait de convoquer les constitutions d’autres pays. Mais la comparaison ne dira jamais en quoi l’intérêt général est-il mieux protégé par la Constitution du 19 décembre 2024. Cela ne dira pas non plus en quoi avons-nous changé de République ni comment sommes-nous passés à la cinquième. N’en déplaise à la bien-pensance ambiante, tout changement de République doit induire un élargissement de l’espace des libertés. Mieux, comme le disait le constitutionnaliste béninois Maurice Ahanhanzo Glélé, «l’avenir de l’Etat en Afrique dépend du respect des droits de l’homme». La nouvelle Constitution constitue-t-elle une avancée sur cette matière ? Nul ne saurait le prétendre. Pour l’heure, un débat a été ouvert. Si on veut lui donner un sens juridique, il convient maintenant de le vider…

0 commentaire
Soyez le premier à commenter.