Quand l’État égare ses repères : la place de l’indépendance reléguée au bord de mer

Dans un communiqué officiel, le ministère des Travaux publics a commis une bévue symbolique en confondant la Place de l’Indépendance avec le boulevard du bord de mer. Une erreur plus grave qu’il n’y paraît, révélatrice d’un effacement progressif de la mémoire nationale jusque dans les plus hautes sphères de l’État.

Le monument aux Morts sur la Place de l’Indépendance à Libreville : Ici fut proclamée la souveraineté d’un peuple ; qu’aucune confusion n’efface ce lieu de la mémoire nationale. © Medias241
Ce n’est peut-être qu’un détail pour certains, mais pour d’autres, c’est le symptôme d’un glissement préoccupant dans notre rapport à l’histoire et aux symboles de la République. Dans un communiqué officiel publié le 16 mai 2025 par le ministère des Travaux publics et de la Construction, le ministre Edgard Moukoumbi évoque des perturbations de circulation «au niveau de la place de l’Indépendance, du boulevard du bord de mer». Une confusion qui n’est pas anodine et qui appelle une mise au point.
Une méprise devenue monnaie courante

La tribune officielle, sur le front de mer, célèbre l’apparat. Elle n’est pas la Place de l’Indépendance (au parking l’hôtel Les Monts de Cristal) qui incarne l’Histoire. © GabonReview/Shutterstock
De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer cette erreur devenue quasi institutionnalisée : la tendance, y compris dans les communications officielles, à confondre la Place de l’Indépendance, haut lieu de mémoire nationale, avec le boulevard de l’Indépendance — plus communément appelé boulevard du bord de mer — et la tribune officielle des défilés militaires.
«C’est triste que même les officiels ne respectent pas les noms des endroits», confie un habitant de Libreville, attablé à la terrasse d’un café du centre-ville. «La place de l’Indépendance reste le grand parking à côté du Mémorial Léon Mba, en face du commissariat central.» Et il a raison.
Rétablir la géographie de la mémoire
Située en plein cœur administratif de Libreville, la véritable Place de l’Indépendance est un espace historique aménagé dans le quartier de Nombakele. Elle s’étend entre le Mémorial Léon Mba, le commissariat central — aussi appelé Préfecture de police — et l’hôtel Les Monts de Cristal. Ses coordonnées géographiques sont précises : latitude 0.3867° Nord, longitude 9.4443° Est. C’est là que trône encore aujourd’hui le Monument aux Morts, restauré il y a quelques années, vigie muette mais majestueuse de la souveraineté nationale retrouvée.
Ce site ne peut ni ne doit être confondu avec le boulevard longeant l’estuaire du Komo, même si ce dernier a parfois accueilli des événements d’envergure et abrite la fameuse tribune officielle. Ces deux espaces ont des fonctions, des histoires et des noms distincts.
Quand le langage trahit la mémoire
L’erreur du ministère des Travaux publics, aussi bénigne qu’elle puisse paraître, est le reflet d’une dérive plus profonde : la dilution des repères historiques dans le discours public, souvent aggravée par la méconnaissance ou l’imprécision des jeunes générations et parfois même des institutions elles-mêmes.
Or, nommer un lieu, c’est le faire exister. C’est aussi préserver la mémoire collective. Un pays qui confond ses symboles fondateurs est un pays qui, petit à petit, se détache de ses racines.
Il est donc impératif que les autorités publiques donnent l’exemple en respectant rigoureusement les appellations officielles des lieux. Les journalistes, les enseignants, les guides touristiques, les fonctionnaires — tous doivent faire preuve d’un même souci de précision.
Car il ne s’agit pas d’un simple caprice de puristes. Il s’agit d’histoire, de patrimoine, d’identité. Et dans un pays en pleine redéfinition de ses repères, le respect des lieux de mémoire devrait être une priorité.
Confondre la Place de l’Indépendance avec la tribune officielle des défilés, c’est un peu comme confondre la patrie avec un décor. Et cela, aucun peuple ne devrait s’y résoudre.
«Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.» — Winston Churchill

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