Gabon : cœur hydrique de l’Afrique

L’eau qui s’évapore des forêts gabonaises ne disparaît pas dans le néant. Elle entreprend un voyage extraordinaire à travers le continent, portée par des «rivières volantes» invisibles qui alimentent les pluies jusqu’au Sahel. Adrien NKoghe-Mba*, chroniqueur environnemental de GabonReview, décrypte avec précision les mécanismes de cette pompe naturelle géante. Grâce à une métaphore cardiaque saisissante, il révèle comment la position équatoriale du pays transforme le Gabon en véritable cœur hydrique de l’Afrique.

«Une goutte d’eau évaporée près de Libreville peut tomber quelques jours plus tard sur un champ de mil sahélien.» © GabonReview
Le Gabon joue le rôle d’un puissant coeur hydrique sur la façade atlantique de l’Afrique centrale. Sa côte, longue d’environ 885 km, agit comme une oreillette : elle capte les alizés humides venus du golfe de Guinée.
Derrière cette porte d’entrée s’étend une forêt équatoriale presque continue, couvrant environ 88 % du pays . Chaque parcelle de cette forêt agit comme un muscle cardiaque : les arbres pompent l’eau du sol, puis la relâchent par leurs feuilles. Les mesures dans le bassin du Congo montrent qu’une forêt libère 1 100 à 1 200 mm de vapeur d’eau par an . Rapporté aux quelque 23 millions d’hectares gabonais, cela représente près de 250 km³ d’eau – soit l’équivalent de 100 millions de piscines olympiques – que le Gabon renvoie dans l’air chaque année.
Poussée en altitude, cette vapeur forme de véritables « rivières volantes », des artères invisibles qui se dirigent vers le nord. Les scientifiques estiment qu’jusqu’à 40 % des pluies en Afrique subsaharienne proviennent de cette humidité recyclée par la végétation, et la proportion peut dépasser 90 % dans le Sahel aride . Autrement dit, une partie des averses qui arrosent Niamey ou N’Djamena commence son voyage au-dessus des forêts gabonaises.
Si le cœur gabonais bat avec autant de régularité, c’est grâce à sa position exactement sur l’équateur : le soleil y chauffe la terre de façon quasi constante, sans vraie saison froide. Cette énergie maintient la pompe forestière en action douze mois sur douze et crée deux saisons des pluies bien marquées, comme deux pulsations annuelles.
Pourquoi est-ce crucial ? Parce que plus de 95 % de la production alimentaire africaine dépend directement des pluies . Une petite baisse du « débit » gabonais peut donc réduire les récoltes, abaisser le niveau des nappes et compliquer la vie de millions de personnes loin au nord.
Ainsi, trois éléments travaillent de concert :
- la côte, qui aspire l’humidité ;
- la chaleur équatoriale, qui la fait monter ;
- la forêt, qui la transforme et l’expulse.
Ensemble, ils maintiennent la pression et le rythme de ce cœur hydrique. Comprendre ce circuit, c’est voir qu’une goutte d’eau évaporée près de Libreville peut tomber quelques jours plus tard sur un champ de mil sahélien. Un voyage silencieux, mais vital, que le Gabon orchestre à chaque battement.
*Président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

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