Dépotoir le plus grand du Gabon, le site de Mindoubé est devenu une opportunité d’affaires. Plusieurs dizaines de personnes font le tri de tout ce qui y est jeté pour le revendre : des bouteilles vides aux pièces détachées d’automobiles, en passant par la ferraille, l’aluminium, le cuivre, les meubles, les vêtements, les appareils électroniques et électroménagers. Certains y trouvent leur compte, d’autres y sont obligés, d’aucuns y sont frappés de folie. Il se raconte, dans ce lieu pollué, des histoires mystico-mystérieuses qui partiraient du cimetière jouxtant ce terminus des merveilles de la consommation. Rien à voir avec «La leçon des ordures», le film malien de Cheick Oumar Sissoko. Des histoires humaines, des histoires touchantes mais, surtout, du gonzo journalisme à la gabonaise, avec Chris Oyame.

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Il est 10h du matin, ce jour de la troisième semaine du mois d’avril de l’année en cours, quand un taxi me dépose au lieu dit «Carrefour de la décharge de Mindoubé», dans le 5ème arrondissement de Libreville. 200 m avant ce carrefour, les trottoirs annoncent la couleur et le paysage de la zone : des empilements de vieux congélateurs et réfrigérateurs, des pièces détachées d’automobiles, des sacs en jute pleins de bouteilles jetables vides, en plastique ou en verre. Idem pour les canettes et les pots en verre de différentes formes et capacités. Il y a tout plein d’autres articles présentés à la vente. Une forme de foire où les acheteurs viennent se ravitailler chaque jour.

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Affairistes, drogués et accros à la bouteille

Je me dirige vers la plus grande décharge du pays. Elle s’étend sur plusieurs hectares sur lesquels des milliers d’oiseaux, des pique-bœufs, passent la journée à chercher leur pitance, tandis que des dizaines de femmes et d’hommes s’affairent à fouiller dans ces tonnes d’immondices. Ils espérent y trouver des articles, pas trop endommagés, à revendre. En même temps, les agents de la société de ramassage des ordures, Clean Africa, régulent la vingtaine de camions des sociétés d’assainissement venus déverser leur chargement. Il y a là des camions de Clean Africa, de Gab Net, de Sovog, de Gabon Propre Service, de la Municipalité de Libreville et des particuliers. Après le déchargement d’un camion, les «Hommes d’affaires de Mindoubé» se ruent pour fouiller les détritus. Pendant ce temps, quelques camions-citernes déversent dans un coin de la grande poubelle, surplombant une sorte de falaise, leurs contenus, ramenés des fosses septiques, dans l’indifférence totale des fouineurs. Trois bulldozers sont là qui assainissent la décharge. Celle-ci prend de la hauteur au fur et à mesure qu’elle reçoit les ordures.

Dans cette ambiance, un agent affecté sur les lieux me reconnait. Il s’approche de moi et me prodigue un conseil : «tu ne peux pas réaliser un reportage ici sans sécurité. Si tu veux en avoir une, il faut aller la demander à la direction qui nous dira de vous protéger ou pas. Car, parmi ceux qui fouillent la poubelle, il y a des drogués et ceux qui sont accros à la bouteille. Ils peuvent facilement vous molester. Peut-être même vous tuer, parce qu’ils n’aiment pas les journalistes».

A mon retour sur les lieux après obtention de l’autorisation d’un reportage, je procède plus sereinement à la visite de l’immense poubelle, certes avec prudence. J’évite de m’approcher des zones où le feu a été mis. Elles dégagent une odeur suffocante. De temps en temps, on entend des explosions. «Ces feux sont provoqués par la chaleur qui se dégage de l’intérieur de la décharge», m’explique un agent de service. Celui-ci m’explique que les explosions entendues sont dues à des bombonnes d’aérosols (anti-moustiques, déodorant, parfums, etc.) qui se retrouvent dans les différents feux.

Du business sur la plus grande banque à ordures du pays

Après quelques photographies, mon but étant d’en savoir un peu plus sur le business s’effectuant sur ce qu’on pourrait qualifier de plus grande banque à ordures du pays, il ne m’est pas facile de trouver des fouineurs pouvant se confier à moi. Au terme de plusieurs relances, Brice N., la trentaine, et Margueritte A. N., 42 ans, tous deux Gabonais, acceptent de me raconter leurs vies sur la poubelle de Mindoubé. «Si nous refusons de parler à la presse, c’est parce que cela ne nous apporte rien de positif», me lance d’emblée Brice N.

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Ce dernier m’apprend par la suite qu’il fouille cette poubelle depuis deux ans pour la subsistance. Dépourvu de soutien familial ou amical, il n’a pas pu continuer ses études et s’est arrêté en classe de 5ème. «J’ai eu quelques petits boulots ici et là, mais rien n’a fructifié. J’ai toujours été mal payé. Parfois, l’on ne me payait même pas, si l’on ne coupait pas les parts des broutilles qu’on me donnait pour les erreurs dont j’étais accusé et que je n’avais pas commises», raconte Brice N. A la suite de ses déboires, il a suivi le conseil d’un ami l’invitant à le rejoindre pour farfouiller la poubelle de Mindoubé. Après une longue hésitation, tenaillé par la galère, il a fini par accepter.

Sur les lieux, il se spécialise, comme certains autres fouilleurs, au ramassage de la ferraille, du cuivre et de l’aluminium, vendus sur place à 30 francs CFA le Kg. «Ceux qui viennent acheter ici vont la revendre plus cher dans les chantiers de la zone industrielle de Nkok. Parce qu’ils ont des agréments», informe-t-il. Et de d’ajouter que, depuis qu’il a commencé ce business, même si tous les jours c’est pas dimanche, il s’en sort un peu parce qu’il n’est plus locataire. «La galère se fait beaucoup plus sentir quand il n’y a rien à vendre ou quand nous sommes dans la période où la ferraille ne se vend pas», note-il.

On en est presque à la «Semaine de quatre heures» si chère à l’Américain Tim Ferris. Littéralement à son propre compte aujourd’hui, Brice N. dit qu’il peut librement choisir ses jours et son temps de travail. Les jours où il a bien travaillé, il peut gagner jusqu’à 15.000 francs. Son secret pour joindre les deux bouts : «Je fais un effort d’épargner parce que je ne sais pas quand je peux avoir un problème, comme tomber malade. Vous voyez dans quel environnement nous sommes». Il n’en reste pas moins que ce job d’indépendant est provisoire. L’homme espère trouver mieux.

Vêtir ses enfants et vendre le reste

Pour sa part, Margueritte A. N. qui fouille cette poubelle depuis 5 ans, se souvient, malgré qu’elle habite Mindoubé, que l’idée de travailler sur la décharge publique du quartier ne lui avait jamais effleuré l’esprit. «Quand je passais par ici, je coupais mon souffle pour ne pas respirer ces mauvaises odeurs», se souvient-elle. Jusqu’au moment où l’homme avec lequel elle a eu sept enfants et qui l’a emmenée dans ce quartier, a été frappé de déficience mentale. Il s’est mis à déserter la maison, laissant sa famille sans provisions. Se retrouvant ainsi dans des difficultés énormes, cette mère de famille répondra à son tour à l’appel des autres femmes qui y étaient déjà, pour fouiller la poubelle géante.

C’est ainsi qu’avec son nouvel amant dont elle eue deux autres enfants, ils se lancent dans ce business. En commençant par trier les habits dont une moitié allait à la vente et l’autre pour vêtir les enfants. «Tant que tu n’es pas mort, il ne faut jamais jurer de rien dans la vie», conseille-t-elle. Car, dit-elle, elle ne pouvait pas savoir qu’elle pourrait travailler dans ces lieux. Elle prenait ceux qui y étaient avant elle, pour des fous. Elle se lance ensuite dans la fouille des bouteilles en plastique et des canettes vides qu’elle revend, comme d’autres, après un bon nettoyage. «Il y a les Chinois qui achètent les canettes pour aller les transformer. Et des femmes les bouteilles pour vendre de l’eau et d’autres boissons comme le lait caillé ou le bissap. Il y a aussi d’autres qui vont recycler et transformer les bouteilles en bassines et seaux dans les usines», explique Margueritte. Et j’apprends d’elle que les bouteilles cassables qu’elles ramassent sont rachetées par la Société des brasseries du Gabon.

© Gabonreview/BBC Afrique/espritafricain

Épidémie de démence et cimetière voisin

En réalité, les femmes ne gagnent pas grand-chose. «Il arrive que nous passions un mois sans vendre», précise-t-elle. Et d’expliquer qu’elle ne vit pas aisément de cette débrouillardise, du fait d’avoir 9 gosses et 3 petits fils à charge. «C’est dur», s’exclame-t-elle avant de lancer un SOS aux bonnes volontés pouvant lui trouver un bon travail ou un fonds de commerce : «Je suis ici parce que je n’ai rien d’autre à faire pour avoir un peu de quoi nourrir mes enfants. Ici c’est la malédiction», avoue Margueritte.

Ce qui l’amène à parler de gens qui, subitement, se retrouvent atteints de démence dans ces lieux. Son explication : les esprits démoniaques en provenance du cimetière abandonné qui jouxte la décharge publique. Et de tirer exemple d’un jeune homme qu’elle a élevé : «Il était très calme. Mais dès que nous sommes arrivés ici, il est devenu très agressif, bavard et irrespectueux. Il va de dégât en dégât. De crime en crime». Margueritte A. N. cite bien d’autres cas de malades mentaux qui étaient, de son point de vue, en bonne santé avant d’arriver dans cette décharge. Elle n’en veut pour preuve indiscutable que sa fille de 18 ans. Celle-ci devait passer le BEPC l’an dernier. Après un passage sur cette décharge pour aider sa mère, elle n’arrivait plus à lire au tableau et est devenue sourde. Sa mère l’a envoyé dans son village pour des soins traditionnels.

«Personne ne veut rester ici. C’est à cause du chômage que nous sommes là. Nous résistons avec la grâce de Dieu», martèle-t-elle. Evoquant ensuite d’autres dangers auxquels font face les fouilleurs de la poubelle de Mindoubé : des maladies comme les infections pulmonaires, le paludisme et la diarrhée. «Il y a même ses victimes de fusils nocturnes et certains qui se blessent. Il arrive aussi que quelqu’un se fasse écraser par un bull ou un camion d’ordures lors de la fouille et perde la vie», déplore-t-elle.

Avant de nous séparer aux environs de 15h, Marguerite A. N. a demandé, au nom des siens, aux autorités publiques de trouver une solution à leur situation.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Issipock dit :

    Très bon reportage. C’est le genre qu’il nous faut pour que l’opinion sache ou découvre cette face cachée du Gabon. Maintenant, nos regards sont braqués vers les pouvoirs publiques qui doivent trouver du travail à ces pères et mères de familles du pays.

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