La situation de crise survenue dans la partie anglophone du Cameroun dès la fin de l’année 2016 préoccupe Michel Ndong Esso. L’enseignant de philosophie au Lycée national Léon Mba tente d’en déterminer les causes et d’en définir les responsabilités. Si sa prise de position en faveur de «la minorité» est évidente, il ne s’inquiète pas moins du sort du plus grand nombre, y compris des conséquences sur le pouvoir de Yaoundé, dont la gestion de cette crise est jugée «infructueuse». Michel Ndong Esso voit poindre à l’horizon l’accentuation des actes de terrorisme. La faute à «une démocratie convalescente», estime-t-il.

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Michel Ndong Esso. © Gabonreview

 

Première puissance économique de la zone CEMAC, le Cameroun renvoie de loin l’image d’un Etat ambitieux sur les chantiers du développement. Le pays bénéficie de ressources naturelles importantes capables de soutenir la modernisation de ses infrastructures de base. Les exportations pétrolières et la filière bois se portent au mieux. Au cours de la dernière décennie, le paysage économique camerounais a connu une diversification à grande échelle grâce notamment à l’arrivée des investisseurs chinois. Récemment, le FMI a confirmé le relèvement à 4% de la croissance économique du Cameroun pour 2018. Fer de lance de cette embellie, l’industrie agroalimentaire figure parmi les plus dynamiques de la sous-région. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité sociale précaire. Vue de près, l’ancienne colonie franco-britannique est à la traine sur le terrain de la gouvernance démocratique. La pauvreté et le chômage grognent dans les rues. En cause, une distribution inégalitaire des richesses.

A titre indicatif, le pays occupe une inconfortable trente-sixième place dans le classement 2018 de l’Indice Mo Ibrahim en matière de bonne gouvernance. Corruption, concussion et népotisme semblent avoir gagné tous les étages la haute administration de Yaoundé. Et que dire du climat politique sous-tension depuis la réélection contestée de Paul Biya. Le Président sortant a en effet été accusé par ses opposants d’avoir verrouillé le processus électoral afin de prolonger sa longévité au sommet de l’Etat. Une controverse de trop, pour un régime fortement décrié par les organisations de la société civile, en raison de son aversion pour les libertés individuelles. Pas assez pour faire plier le chef du parti au pouvoir. Imperturbable, l’homme fort de Yaoundé apparait plus que jamais sous les traits d’un monarque, étant quasiment assuré de finir ses jours sur le « trône ». Certes, les faits sont monnaie courante dans la sous-région. Mais le cas camerounais inquiète particulièrement, en raisons de l’effritement, lente mais sévère, de l’unité nationale. La crise anglophone constitue à ce titre un exemple patent.

Depuis 2016, la question de l’identité culturelle de la minorité anglophone a refait surface dans le débat public. A l’origine, des franges de la société civile revendiquaient une meilleure représentativité dans l’organisation de la vie et des pouvoirs publics du pays. Avec a peine 20% de la population totale du Cameroun, les anglophones voient d’un mauvais œil la suprématie de leurs voisins francophones. Cette situation est la conséquence directe de la fin de la République Fédérale en 1972, lorsque le Président de l’époque, un certain Ahmadou Ahidjo, réunissaient les deux régions francophone et anglophone au sein d’une seule entité : la République Unie du Cameroun. Depuis lors, les francophones se sont arrogés la part du loup dans la Haute élite politico-administrative.

Pourtant écrit noir sur blanc dans la Constitution, le bilinguisme peine à prévaloir au sein des Institutions. Les programmes de la chaine de télévision officielle CRTV sont essentiellement diffusés dans la langue de Molière. Toute chose qui laisse penser que les revendications de la minorité anglophone sont légitimes. Et que le débat sur le retour au fédéralisme mérite d’être tenu. Sauf que le pouvoir de Yaoundé a choisi d’en ignorer la pertinence. Privilégiant l’autorité de l’Etat au détriment de l’édification nationale, le Gouvernement n’a jamais été en mesure de rassurer l’opinion anglophone. Pire, en lieu et place du dialogue, il a brandi la répression militaire pour museler les contestataires. Piste infructueuse en plus d’être risquée.

Infructueuse, car la solution militaire trahi l’arrière plan autocratique du régime camerounais. Elle montre s’il en était encore besoin que l’Etat de droit est une vue de l’esprit dans cette partie de la sous-région. A l’évidence, la posture des autorités camerounaises dans la gestion de la crise anglophone est à lire sous le prisme du déni de démocratie. Or, une telle posture conduit immanquablement à la défiance publique et à la dissolution du lien national. Ce qui explique le durcissement des tensions entre les deux parties. En récusant tout dialogue avec les activistes, le Gouvernement n’a fait que radicaliser la contestation. Au demeurant, le recours systématique à la force a fourni un prétexte aux pro-séparatistes. C’est comme arroser l’incendie avec de l’essence. Cette situation n’est cependant pas sans risque pour le pouvoir de Yaoundé.

D’une part, la radicalisation de la contestation s’accompagne d’une dégradation de la situation humanitaire. Enlèvements, massacres et attentats contre les symboles de l’Etat constituent autant de menaces pour la sécurité des civiles. L’ONU a d’ailleurs reconnu l’existence d’un drame humanitaire dans certaines villes anglophones. Ce qui pourrait susciter un arbitrage international du conflit à l’issue incertaine pour le régime. Certes, nous n’en sommes pas encore là et Yaoundé assure maîtriser l’incendie. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps. Car, si pour l’heure le mutisme de la communauté internationale permet à l’armée camerounaise d’opérer en toute impunité, l’on doit toutefois se méfier d’une polarisation transfrontalière du conflit. Le risque est d’autant plus grand au regard de l’instabilité ambiante autour des frontières du pays. Comme le reconnait le chercheur Nana Ngassam Rodrigue, dans son article Insécurité aux frontières du Cameroun, la menace terroriste est en nette progression en Afrique centrale et particulièrement au Cameroun.

Or, l’on sait que le terrorisme nait et se développe dans les zones de non-droit. Autrement dit, l’ouest anglophone présente les symptômes d’une activité terroriste en gestation. Si l’on y prend garde, cette région pourrait susciter l’intérêt des nombreuses mouvances rebelles en embuscade aux abords du pays. Tels des charognards, ils surveillent de près l’évolution de la situation dans cette région en effusion de sang. Autant le dire, Yaoundé s’amuse avec le feu. A moins d’être amené à chercher les raisons de la crise anglophone dans les secrets du régime Camerounais. Peut-être que les calculs électoralistes ont commandité le sacrifice du suffrage anglophone. Peut-être aussi que l’embrasement de la situation à l’ouest a permis de passer sous silence la contestation postélectorale. Une ruse digne de Machiavel. Comme quoi, le prince n’aménage pas les conditions de son départ.

* Michel Ndong Esso est diplômé en Philosophie politique de l’Université Omar Bongo et enseignant de philosophie au Lycée national Léon Mba. Il est également consultant politique sur l’émission «Ici l’Afrique» de Gabon 24

 
GR
 

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