Un micro-trottoir réalisé à Libreville avant le coup d’État du CTRI révèle le ras-le-bol des Gabonais face à l’incompétence criante d’un grand nombre de dirigeants du pays durant les années Bongo. Entre ministres incapables de s’exprimer correctement et hauts fonctionnaires promus par piston, le Gabon était devenu une «kakistocratie», un système dans lequel les postes à responsabilité étaient trustés par les citoyens les moins compétents. La médiocrité érigée en norme, au détriment de l’intérêt général. Petit rappel pour que la transition à la gabonaise n’y retourne.

© GabonReview

 

Rapide micro-trottoir réalisé au carrefour de l’Ancienne-Sobraga à Libreville quelques semaines avant le «Coup de liberté»  du CTRI. Etudiants et enseignants de l’UOB, travailleurs de la zone et quidams divers… une vingtaine de personnes avaient bien voulu se prêter au jeu et répondre à une question : «Quel est la personnalité ou le ministre dont la présence au gouvernement ou la haute administration vous étonne, et pourquoi ?». Réponse la plus cinglante : «Aucun membre du gouvernement et très peu de boss de l’administration publique ne sont à la hauteur. Fait sur des bases qui ne tiennent pas en compte la compétence ou les états de service, le casting a toujours été mauvais», avait grommelé un militant de Pour le changement (PLC), le parti politique de l’opposition cornaqué par Elza-Ritchuelle Boukandou.

L’éloquence, révélateur de compétence ?

«Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément». Rapporté à l’élocution d’un bon nombre de dirigeants gabonais, cette citation de Nicolas Boileau pourrait faire croire que certains ministres ne maitrisaient pas leurs dossiers ou leur domaine de responsabilité. Nombreuses parmi les personnes interrogées indiquant, en effet, que Vincent de Paul Massassa Massassa, Pascal Houangni Ambouroue, Félicité Ongouori Ngoubili, Christine Mba Ndutume ou Jeanne Mbagou, à titre d’exemple, ne savaient pas parler ou s’exprimaient fort mal. Ce qui qui serait symptomatique d’énormes manquements. Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho ne soutient-il pas que «la vitesse de la parole est le seul facteur qui apparait lié à l’intelligence. Un débit important indique une personnalité qui n’hésite pas, compétente et dotée d’un cerveau qui va vite» ? Dans cette hypothèse, la faconde d’Alain-Claude Billie-By-Nze serait une preuve de son intelligence.

«Tous incompétents ! Le Gabon est d’ailleurs une kakistocratie !», avait alors asséné un étudiant en Philosophie interrogé au même carrefour. Kakistocratie ? Le vocable désigne l’ascension politique des citoyens les moins qualifiés ou les moins scrupuleux au détriment des meilleurs. Dans la kakistocratie, en effet, on ne progresse pas professionnellement du fait qu’on est bon, compétent, formé ou en pleine adéquation avec son emploi. Mais plutôt quand on est incompétent, obséquieux et ne disposant pas des qualifications et exigences requises.

«Erreur de casting» ou kakistocratie ?

Si pour les sondés du carrefour de l’Ancienne-Sobraga à Libreville, les gouvernements d’Ali Bongo étaient truffés de bras cassés, arrivés au sommet par les seuls mécanismes du piston, du copinage et autres accointances, de la préférence ethnique ou du dosage géopolitique, la composition du tout dernier gouvernement d’Ali Bongo laissait en effet interrogatif. On y comptait un ministre d’État habitué des retournements de veste (René Ndemezo’o Obian), un autre soupçonné d’enrichissement injustifié et taxé par une rumeur persistante d’avoir été mis en débet (Blaise Louembe) mais aussi des ministres aux faits d’armes introuvables ou d’illustres anonymes (Rodrigue Mboumba Bissawou). L’«erreur de casting» était visiblement une constante de l’ère Ali Bongo. La kakistocratie y fonctionnait à merveille, même si les responsables de ces distributions de rôles ont, à certains moments, reconnu ces «erreurs de casting».

Se pose alors la sempiternelle question : comment ces personnalités ont-ils pu gravir les échelons, atteindre la haute administration ou les sphères élevées de la politique alors qu’il était patent qu’ils n’étaient pas à la hauteur et ne l’ont peut-être jamais été pour certains ? Une seule réponse : ainsi fonctionne une kakistocratie.

Celle-ci est un système de gouvernement dans lequel les personnes les moins qualifiées ou les plus corrompues sont celles qui occupent les postes de pouvoir et de décision. Les choix de ces dirigeants sont souvent motivés par des intérêts personnels plutôt que par l’intérêt public. Dans une kakistocratie, les compétences et les qualifications ne sont pas valorisées, tandis que la loyauté et la soumission à l’autorité sont fréquemment privilégiées. D’ailleurs, le terme «kakistocratie» vient du grec «kakistos» signifiant «le pire», et «kratos», le «pouvoir».

Promotion de la médiocratie

Selon le chercheur italien, Diego Gambetta, la première explication serait que les maîtres du casting, les faiseurs de roitelets entreprennent de donner du pouvoir aux mauvais pour leur créer ainsi une dette. En récompensant un mauvais, un incompétent ou un criminel, cela garantit au faiseur de roitelet un ascendant sur le long terme au promu, qui souffre d’ailleurs du complexe d’imposture au point d’afficher une arrogance permanente.

Depuis l’arrivée au pouvoir du CTRI au Gabon, de nombreuses nominations ont suscité des critiques, notamment celles du tout dernier Conseil des ministres. Un peu avant, des messages sur les réseaux sociaux, Facebook notamment, soulevaient des questions sur la manière dont les ministres et les responsables des administrations publiques sont choisis par les nouveaux dirigeants. Les citoyens appellent à une révision des critères de nomination pour éviter des choix suscitant la controverse, comme la nomination du Français Pierre Duro à la tête de la task-force chargée de la dette. En cette période de transition, l’opinion publique attend du Conseil militaire un nettoyage passant aussi par le choix d’une équipe irréprochable.

Sous les années Bongo, le pays semblait, en effet, avoir pour maîtres mots l’incompétence, l’échec, la médiocrité, le désengagement, la complaisance, et la sous-performance. Omar Bongo n’avait-il pas déclaré qu’il pouvait «faire d’un chien, un ministre» et inversement transformer un ministre en chien ? Avec le CTRI, aura-t-on «enfin notre essor vers la félicité» ?

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Gayo dit :

    Les ingénieurs et les militaires ne sont pas toujours for avec le Français. Mais ils sont compétents dans les aspects qui intéressent leur matière de prédilection, méthodiques organisés, rigoureux avec la logique et le bon sens (ils ne sont pas dans le sophisme), objectif, sens du resultat. Pour terminer, les militaires et les scientifiques (ingénieurs, médecins, etc.) sont les meilleurs pour conduire un pays vers la transformation et le développement. Pour l’Afrique la plupart des plus grand maitre de la transformation sont les militaires.

  2. DesireNGUEMANZONG dit :

    J’adore cet article! Pas de commentaire. Juste un!

    En revanche, Monsieur Billie-by-Nzé est « un homme politique marchands d’illusions ». Il cherche à séduire. Pas à convaincre. C’est un sophiste qui aime la causerie. D’ailleurs, je l’avais baptisé le « tailleur de bavettes national ». En gros, il n’est pas un « cerf-volant » (cerveau lent). Quand vous faites un bilan de votre action au bout de 100 jours, puis de 200 jours, c’est tout simplement du brassage d’air: une façon de démontrer votre incompétence. Comme beaucoup de politiques, il a misé sa carrière sur la « fidélité » à un régime. Etant au chômage, il aura le temps de finir ses diplômes en lettres. Au lieu de brailler comme un âne. Comme j’aime à le répéter, « d’un âne, tu ne fera jamais un cheval de course ».

    Je me souviendrais toujours d’un 1er Ministre: feu Casimir Oyé Mba. Il marqué les esprits en son temps. Deux choses : le travail et l’écologie.

    Cordialement.

  3. dionekapitho dit :

    est-ce qu’on est sérieux dans ce pays? Ce qui intéresse les gens c’est le confort matériel. Dès qu’on te nomme…tu te tais. il faut déjà donner aux gouvernants des objectifs à atteindre en amont et les évaluer. Tant qu’il n y a pas de sanctions en cas d’échec; on prend les mêmes et on recommence Je suis rentré au pays en 2003. Quel recul!

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