De la crise sanitaire à une crise alimentaire, l’écart semble très mince pour que le Gabon, dont les importations représentant plus de 60%, ne soit pas affecté par une détérioration de sa situation alimentaire. Pénuries, hausses des prix des biens alimentaires cumulées à une baisse des revenus risquent d’attiser les foyers de contestation. Dans cette interview accordée à Gabonreview, le coordonnateur des programmes de l’ONG Initiative développement recherche conseils (IDRC Africa), Hervé Omva, interpelle le gouvernement sur la mise en œuvre d’un plan d’urgence alimentaire.

Pour le coordonnateur des programmes de l’ONG Initiative développement recherche conseils (IDRC Africa), Hervé Omva, aucune arme ne peut freiner une émeute de la faim. © Gabonreview

 

Gabonreview : Plusieurs institutions soutiennent que la crise du Covid-19 conduira à une crise alimentaire. Cette perspective, n’est-elle pas une menace pour le Gabon dont les importations représentent plus de 60%?

Hervé Omva : Effectivement, la FAO, la BAD et d’autres institutions ont interpellé nos différents dirigeants pour attirer l’attention sur la crise alimentaire qui arrive. Le représentant de la FAO parlait de près de 42 millions de personnes qui seront impactées par la crise alimentaire en Afrique centrale. Dans le cas du Gabon, un pays qui importe plus de 60% de son alimentation, il est évident que cette crise aura un impact sur nos habitudes alimentaires quotidiennes. Elle se traduira par la rareté des produits et par conséquent par leur cherté.

Pour pallier ce type de difficultés, l’Etat a toujours fait recours aux exonérations aux importateurs. Malgré ces exonérations, les prix ne changent pas, ils sont toujours aussi élevés. La solution serait dans ce que nous proposons à l’Etat, c’est-à-dire investir sur des petits producteurs pour que ces derniers produisent sur localement certains produits à cycle court que nous mangeons au quotidien : aubergine violette, aubergine locale, gombo, piment, concombre, ananas, courgettes, oseille, laitue, basilic, persil, pastèque, etc. Il est temps que le gouvernement mette de l’argent dans le secteur agroalimentaire. Le ministre de l’Agriculture, avec les différents partenaires, a mis en place un plan de relance du secteur agricole lié à la pandémie de Covid-19. C’est un plan pertinent, qui associe les producteurs à tous les niveaux. Il va créer des emplois et assurer une production sur le plan national aussi bien agricole, végétale et que animale.

En dehors des importations, comment envisager un plan d’urgence pour une agriculture gabonaise à la hauteur des enjeux ?

Hervé Omva sur le site du village agricole de Bolokouboué. © Gabonreview

L’écosystème existe, il faut seulement que le ministre de l’Agriculture soit assez courageux pour mettre de l’argent, là où il faut. Assez courageux, parce qu’il y a des lobbies nationaux et étrangers qui empêchent le décollage de l’agriculture locale. Ces lobbies étrangers se nourrissent de la subvention que l’Etat donne, mais également se nourrissent des importations. Il faut que cela cesse. On ne va pas appauvrir le Gabon pour nourrir les populations de l’étranger. Il y a des petits éleveurs de poules pondeuses, de chairs qui existent, des petits éleveurs de porcs qui existent, etc. Il est temps de renforcer les capacités de production de ces éleveurs-là, des maraîcherculteurs et celles des coopératives, parce qu’il y a un réseau national qui existe. Pourquoi on veut étouffer les producteurs locaux ?

Quand on parle de sécurité alimentaire, entre manger du surgelé dont on ignore la provenance, la durée en mer et manger un kilo d’aubergine, une botte d’oseille mélangée à la sardine, qu’est-ce qui est plus nourrissant ? L’enjeu est là, doit-on continuer à manger du surgelé qui nous rend malades et nous appauvrit ou produire dans notre pays ? Aucune armée au monde, aucun service de gardiennage, aucune arme ne peut freiner une émeute de la faim. En deux semaines du confinement général du Grand Libreville, la province de l’Estuaire bougeait déjà, parce que sa population avait faim.

Vous demandez au ministre d’être assez courageux pour mettre en place le plan de relance du secteur agricole. Les 39 ministres de l’Agriculture que le Gabon a connus jusqu’à aujourd’hui ne l’ont pas été ? Que dire des programmes agricoles évalués à des centaines de milliards que le pays a financés ?

La reconduction du ministre Biendi Maganga Moussavou dans le secteur agricole est pour moi une confirmation de la reconnaissance de son travail par le chef de l’Etat. L’ancien Premier ministre Julien Nkoghé Bekale a été ministre de l’Agriculture. Il a géré en tant que ministre de l’Agriculture les 9 fermes agricoles, soit plus de 9 milliards. Aujourd’hui ces fermes n’existent plus. L’Institut gabonais d’aide au développement (Igad), en plus de 25 ans d’intervention, des milliards ont été engloutis par cette structure rien qu’avec le projet Prodiag. Nous avons un autre programme pertinent que le chef de l’Etat a mis en place qui est le programme Graine. Plus de 120 milliards de francs CFA ont été engloutis dans ce projet pour zéro résultat en termes de production.

En tant qu’acteur du secteur, qu’attendez-vous de l’État pour un développement raisonné de l’agriculture dans ses différentes dimensions ?

© Gabonreview

Je pense qu’il est temps de faire le toilettage. Oui la majorité des ministres de l’Agriculture, des donneurs de leçons comme Mba Abessolo, Faustin Boukoubi, Luc Oyoubi n’ont rien fait. Et ce ne sont que des rares exemples. Les milliards qui ont été engloutis dans ce secteur, ont été détournés. Tous ces ministres n’ont pas servi loyalement le pays. Il est important que Biendi Maganga Moussavou, avec la dynamique qu’il impulse aujourd’hui, s’entoure des partenaires privés, de la société civile pour mettre en place un plan de développement agricole correct.

Regardez ce que la société civile, à travers IDRC Africa, a fait en six mois sur le site du village agricole de Bolokouboué appartenant à l’Igad qui n’a rien pu faire dessus. En nous octroyant ce site constitué de trois composantes : un système de production maraîchère, arbofruitière et avicole, le ministre de l’Agriculture a expérimenté la capacité de la société civile à renverser la tendance et à proposer des solutions viables contre la crise alimentaire. Nous recevons sur ce site, avec l’appui d’Olam et de la Sotrader, des jeunes Gabonais de niveau sixième à doctorat qui font de l’agriculture. Montrez-moi un site mis en place par l’Etat qui occupe tant de jeunes au quotidien ! C’est la société civile au-delà de tout ce qui est dit sur elle, taxée d’opposant, qui arrive à traduire en acte la vision du chef de l’Etat et à démontrer que la terre ne ment pas. L’agriculture nourrie et offre des emplois.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. moundounga dit :

    Bjr. Morceau choisi « C’est la société civile au-delà de tout ce qui est dit sur elle, taxée d’opposant, qui arrive à traduire en acte la vision du chef de l’Etat et à démontrer que la terre ne ment pas. L’agriculture nourrie et offre des emplois ». Comme ont dit souvent dans nos familles « c’est sur l’enfant sur qui on ne compte pas qui vous sauve un jour ». Associer toutes les forces vives de la nation pour un décollage de gabao. Amen.

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