Petite phénoménologie de l’entêtement du gouvernement gabonais à maintenir l’état d’urgence sanitaire au détriment de la sauvegarde de l’économie et de la garantie des libertés publiques. Le pays a enregistré durant l’année écoulée 467 décès du paludisme, 800 trépas du cancer et… 1100 morts du Sida en 2019. A défaut d’un état d’urgence sanitaire pour au moins l’une de ces maladies autrement plus mortifères, qu’est-ce qui justifie la préférence pour la covid-19, pandémie ne comptabilisant à ce jour que 66 morts ? Pourquoi le collectif ‘’Appel à agir’’ pourrait avoir raison ? Pourquoi cela devient ridicule et suspect, et pourquoi il faut en sortir.

La panique totale du début de la pandémie ne se justifie plus. On annonçait 39.934 cas d’hospitalisation au Gabon, on n’enregistre que 9605 cas positifs (chiffre Copil du 4 janvier). © Gabonreview/Shutterstock

 

Tuant le rêve de nombreux Gabonais de passer des fêtes de fin d’année normales et d’une levée totale de l’état d’urgence sanitaire, le conseil des ministres a entériné, le 10 décembre 2020, la prorogation des mesures sanitaires contre la Covid-19. Pour nombreux, la mesure démontre la fixation du pouvoir sur ce ‘’nouveau’’ mode de gouvernance, mais aussi une sorte de navigation à vue en contradiction avec l’optimisme affichée par le chef de l’Etat. Le 11 décembre, à travers un message vidéo, Ali Bongo louait en effet l’efficacité de la riposte ayant permis à son pays d’en venir littéralement à bout de l’épidémie dans le pays. Le 31 décembre, à la faveur du traditionnel discours de fin d’année, il s’est satisfait de ce que «nous avons, collectivement, surmonté cette épreuve». Comme pour de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, la situation du Gabon n’est pas aussi alarmante que veulent le faire croire les sécurocrates du gouvernement.

En mars 2020, le Centre mondial d’analyse des maladies infectieuses de l’Impérial collège de Londres affilié à l’OMS prédisait 39.934 cas d’hospitalisation au Gabon. Au terme de l’année terrible, le Gabon n’enregistre que 9605 cas positifs (chiffre Copil du 4 janvier). Un bien moindre mal dans un pays où le paludisme a causé 467 décès l’année dernière contre 66 pour la pandémie à la mode.

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Mensonge d’Etat au détriment du chef de l’Etat

Le Gabon a déjà vécu pire sans que le gouvernement ne s’ébroue outre mesure. Le pays n’a-t-il pas enregistré plus de 1100 morts du Sida en 2019 (chiffre Onusida) ? Ne comptabilise-t-il pas 1000 nouveaux cas de cancer par an avec 800 décès de cette maladie ? Passées les craintes suscitées, au début de l’année 2020, par les annonces alarmistes sur les dégâts du Covid-19 en Afrique, le pays aurait gagné à adopter les options réalistes du Bénin qui n’a littéralement pas bridé ses citoyens et son économie, du Ghana qui a déconfiné depuis le 20 avril 2020, du Nigeria depuis le 4 mai de la même année terrible ou de la Côte d’Ivoire qui a réouvert jusqu’aux boites de nuit après 3 mois seulement de fermeture.

Le collectif Appel à agir voit d’ailleurs en ce maintien absurde de l’état d’urgence, un stratagème pour mettre le président de la République à l’abri des regards inquisiteurs et surtout éviter la reprise populaire de sa persistante interrogation : «Qui dirige le Gabon ?». Nombreux pensent en effet dans les réseaux sociaux que la permanence de l’état d’urgence permet le maintien des conseils des ministres virtuels, avec des membres du gouvernement ne rencontrant réellement plus le chef de l’Etat. Le statu quo actuel serait donc un mensonge d’Etat qui permettrait de justifier les non-apparitions publiques d’Ali Bongo, les cérémonies numériques de présentation de vœux alors même que peuvent se tenir, en live, plénières et congrès du Parlement.  La situation amplifie en tout cas la suspicion quant à l’état sanitaire du chef de l’Etat, alors que la gestion de son image publique commençait à rassurer l’opinion bien avant l’irruption du coronavirus, notamment avec des conseils des ministres en réunions réelles. Contreproductif. Résolument contreproductif. Pourtant, bien avant la survenue du coronavirus, il existait bien une stratégie de préservation du pouvoir dans la situation de l’affaiblissement sanitaire du président de la République. Quid de cette stratégie ? Pourquoi l’état d’urgence sanitaire a-t-il remplacé celle-ci… au détriment de l’économie et du social ?

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‘’Professionnels de la peur’’ et Corona business : des centaines de millions par mois

On nommera «professionnels de la peur» le quarteron d’autorités tirant un bénéfice égoïste et prenant un malin plaisir à vendre la peur au sommet de l’exécutif et aux masses populaires. Le manège consiste à produire des analyses et rapports tronqués débouchant sur la mise en place et l’exécution urgente de budgets exceptionnels sur lesquels ils pourraient s’engraisser.

Figure de la société civile gabonaise, Marc Ona parle de Corona-business. A titre d’exemple, sur la base d’un test PCR à 5000 francs, le ministère de la Santé, par l’entremise du Copil, a amassé, début novembre, 26,4 millions de francs CFA en 4 jours. Théoriquement, près de 200 millions de francs pourraient ainsi avoir été amassés ce mois-là. On ne sait combien rapporte le test à 20 000 francs du canal VIP.  Et on en vient à s’interroger sur les 85 milliards de francs CFA dont le décaissement a été approuvé par le Fonds monétaire international (FMI), le 31 juillet 2020, au titre de l’Instrument de financement rapide (IFR) en faveur du Gabon, pour lutter contre le Covid-19. Où est donc l’argent de ce financement rapide ? Quelle est son utilisation et pourquoi les tests restent-ils payants ?

Dans ce contexte de peur entretenue, le ministère de l’Intérieur peut élaborer des budgets hypertrophiés concernant la ration des policiers déployés sur les check-points, leurs primes, le carburant pour les patrouilles, etc.

Le maintien de l’état d’urgence sanitaire permet donc la permanence de budgets exceptionnels – peu ou mal contrôlés – mais aussi de l’aide internationale. Le pays bruit de chuchotements parlant de la mise en vente des dons matériels en provenance de l’international, ainsi qu’on l’a vu sur les trottoirs de Libreville avec les masques offerts par les Fondations Jack Ma et Alibaba. Le rapport de la commission parlementaire censée auditionner la gestion de cette crise sanitaire, devrait en dire plus… s’il n’est pas biaisé du fait de quelques connivences.

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Leadership : Plus poltron que d’autres, dont le gérontocrate voisin

Gouverné par un gérontocrate notoire, le pays voisin du nord Gabon aura fait montre de plus d’aptitude au leadership. Sans tomber dans la hardiesse excessive, un leader se doit d’être véritablement courageux et capable de résister à l’orthodoxie, surtout en période de crise. Dès la fin du mois de mai, le Cameroun rouvrait ses débits de boisson, restaurants, lieux de culte et de loisirs, levant également la mesure de réduction du nombre de passagers dans les transports en commun.

Les leaders auront notamment été de la trempe de Patrice Talon, le président Béninois qui, fin mars 2020, avait refusé l’adoption «des mesures qui affament tout le monde». Il n’y a pas eu d’hécatombe dans ces pays africains et leurs économies supporteront absolument, mieux que le Gabon, les conséquences sociales et économiques de la mise sous cloche de la planète. Ici, le leadership d’Ali Bongo est ruiné par les professionnels de la peur.

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Relancer l’économie

Alors que les puissances les plus solides du monde à l’instar des Etats-Unis d’Amérique, bien touchés par la pandémie, planchent sur la relance de leurs économies, le Gabon, champion sous-régional de la dette, s’en contrefiche, préférant et entretenant le ralenti voire la séquestration de son économie. Sans doute ses dirigeants comptent-ils sur un sempiternel endettement pour relancer une machine économique déjà en difficulté avant la survenue du nouveau Coronavirus.

Pour une maladie moins mortifère que le paludisme, le Sida ou le cancer, le pays devrait sortir de sa mise au ralenti mettant en danger de nombreux pans de son économie. Notamment l’aviation civile avec un aéroport de Libreville fermé la nuit, un port d’Owendo tournant à vitesse de tortue, un secteur touristique à l’agonie où, à titre d’exemple, le Radisson Blu, dernier établissement de grand standing du pays, préconise la mise au chômage de plus de 200 personnes.

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Pourtant paré depuis le 14 mars

Mis en place depuis le 14 mars 2020, le dispositif gabonais de lutte contre la Covid-19 s’est nécessairement amélioré. Il est visiblement parvenu à son optimum. Les mesures barrières sont tous les jours et partout rappelées. Le port du masque est rentré dans les habitudes et même les manières stylistiques. On vivra désormais avec tout cet attirail tout comme le monde entier vit, depuis des décennies, avec l’usage des préservatifs vulgarisé par le Sida. Les tests PCR seront encore longtemps exigés pour l’accès dans tout avion et à l’arrivée à l’aéroport de Libreville et autres. Les personnes contaminées pourront toujours être aussitôt identifiées et isolées. La panique totale du début de la pandémie ne se justifie donc plus dans les pays où des cimetières à ciel ouvert avaient été annoncés avant d’être démentis par les faits réels.

Au Gabon, l’annonce d’une seconde vague en Europe a fait tressaillir, avec un synchronisme étonnant, les chiffres du Copil, que personne d’ailleurs ne contre-expertise. A juste titre, Raymond Ndong Sima s’en interrogeait fin novembre dernier. «Lorsque la défense d’une position sur une question intellectuelle repose sur la dissimulation de l’information, on peut craindre le pire car bien souvent alors il s’agit d’arguments d’autorité de ceux qui craignent la contradiction», notait l’ancien Premier ministre.

«La vie normale doit nécessairement reprendre pour que les activités, sans exclusion, puissent être relancées dans l’intérêt de tous. La sauvegarde de l’économie, des emplois et la lutte contre la pauvreté extrême et dangereuse. La stabilité sociale et politique est à ce prix», écrivait en juin dernier Guy Pierre Biteghe, le directeur de Le Mbandja.

 
GR
 

7 Commentaires

  1. MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Je vous demande de faire un choix politique entre ces 2 réalités :
    1- 1100 CAS de sida
    2- 800 cas de cancer
    3- 467 décès de paludisme
    4- 66 décès à cause du COVID

    et

    1- PCR 5000
    2- 26,4 millions en 4 jours au mois de novembre
    3- Environ 200 millions global pour ce mois

    N.B: Il s’agit ici pour vous de déterminer ce qui serait préjudiciable pour la santé et les libertés des gabonais. Le contraire est la réponse à toutes vos interrogations. Amen.

  2. tchenko dit :

    BEL ARTICLE. POUR CE POUVOIR TROP SOURD !!!

  3. Jean Gaspard Ntoutoume Ayi dit :

    Bravo et Merci à http://www.gabonreview.com pour le courage et la pertinence de votre article.

    Comment comprendre que Monsieur Ali Bongo peut se rendre à des cérémonies dans des casernes militaires pour célébrer le 60ème anniversaire de la Grande muette et qu’on nous serve des Conseils de ministre en Visionconference et des vœux au Corps diplomatique, aux Institutions et aux administrations en Visioconference ?

    Ainsi donc le Parlement peut se réunir en congrès dans la salle étroite sui sert d’hémicycle à Faustin Boukoubi pour qu’une semaine après les vœux au President de la Republique deviennent virtuels ?

    Oui, plus que jamais cette question s’impose : QUI DIRIGE LE GABON ?

    Et l’on comprend mieux l’introduction dans la Constitution de l’immunité à vie pour tout ce monde. Peine perdue.

  4. MOUYIKI Rozere dit :

    Excellent article, tout est dit.
    Ce qui est bien c’est qu’ils se mentent à eux-mêmes parce que nous ne sommes pas dupes, nous avons compris leurs basses besognes
    Meilleures vœux aux journalistes de Gabon review

  5. asphalt dit :

    Mr JGNA tous ce cirque est pourtant claire,il s’agit ici de bâillonner la population,de verrouiller le pays le temps pour eux de faire leurs petits calcules.A la question qui s’impose: Qui dirige le Gabon?bah c’est Ali virtuel qui dirige!

  6. Le GABONAIS dit :

    Bravo pour cet Article au moins nous avons le mérite d’avoir une presse qui n’est pas bâillonnée et réduite au silence! sans prendre partie d’un clan politique vous avez su dire avec exactitude ce qui se dessine depuis plusieurs mois depuis que le gouvernement a décidé de mettre de côté toutes les urgences et inquiétudes sociales qui minent ce pays ( citons le manque d’eau dans tous les quartiers de LBV et qui s’étend déjà à l’intérieur du pays ) cette situation ne préoccupe pas les décideurs et tout leurs bastions. Le chômage technique qui sévit dans le pays. QUID de la fermeture du Méridien RENDAMA ou sont passés tous ces malades qui y étaient internés? que devient tout le personnel qui y travaillait? toutes ces questions meritent et bien d’autres méritent des réponses

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