Ce projet de décret vise à «fluidifier l’action administrative». Mais l’enjeu se rapporte à l’esprit de la Constitution du 19 décembre 2024.

Élu au suffrage universel direct, le président de la République est seul responsable devant le peuple. S’il peut déléguer sa signature à une autorité non-élue, il ne peut transférer une partie de ses compétences. © GabonReview

 

C’est une annonce déconcertante et problématique. Le 8 septembre courant, le Conseil des ministres a adopté un «projet de décret portant délégation de la signature du président de la République». Objectif ? «Fluidifier l’action administrative et (…) garantir la continuité de l’État dans le respect des principes constitutionnels». Cependant, on aurait tort d’y voir un simple ajustement administratif. Comme le relèvent de nombreux internautes, l’enjeu va bien au-delà : il se rapporte à l’esprit de la Constitution du 19 décembre 2024 et à l’architecture institutionnelle. «Le fameux système présidentiel renforcé made in Gabon commence à montrer ses limites», «c’était évident qu’on arrive à ce niveau où le chef de l’Etat est submergé», «président et chef du gouvernement en même temps, il faut maintenant assumer», a-t-on pu lire sur les réseaux sociaux.

La marque de la Transition

Sans revenir sur le débat constitutionnel, il faut regarder la réalité en face. Amendée neuf (9) fois en 32 ans, la Constitution de 1991 avait perdu toute cohérence. De l’avis général, il fallait en adopter une nouvelle. Au lendemain du 30 août, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) en prit l’engagement, indiquant les objectifs de la réforme : «Bâtir des institutions fortes, crédibles et légitimes garantissant un Etat de droit, un processus démocratique transparent et inclusif», renforcer «l’indépendance de la justice et la lutte contre l’impunité», promouvoir et protéger les «droits de l’homme et les libertés publiques» et, instaurer une «culture de bonne gouvernance et de citoyenneté responsable». Pour y parvenir, le Dialogue national inclusif (DNI) édicta deux principes-directeurs : «Un régime plus présidentiel que ce que nous avons connu» et, une «séparation rigide des pouvoirs».  Dans son esprit, comme dans sa lettre, la Constitution en vigueur porte la marque de la Transition.

La campagne référendaire se caractérisa par un confusionnisme total. Surfant sur la popularité du Gal Oligui Nguéma, les partisans du «oui» poussèrent à la dérive plébiscitaire. Assénant demi-vérités et approximations avec aplomb, ils établissaient le lien avec le président de la Transition pour mieux empêcher l’analyse. Pris au piège, leurs adversaires ne parvenaient ni à se rendre audibles ni à recentrer le débat. Quand ils y arrivaient, ils sombraient dans une rhétorique jargonnante. Dans ce brouhaha, personne n’eut le temps de cerner les implications de la réforme envisagée. Dans cet échange de sourds, nul n’eut la possibilité de s’appesantir sur la répartition des compétences ou de suggérer des procédures permettant de surmonter les obstacles et trouver des solutions aux éventuelles difficultés. Jamais, la question de la réorganisation de l’administration, jusque-là placée sous l’autorité du Premier ministre, ne fut abordée.

Fondamentaux à respecter 

Pourtant, aux termes de l’article 29 de la Constitution du 26 mars 1991, le Premier ministre disposait de compétences particulières, y compris du pouvoir réglementaire. Il avait aussi un rôle central dans l’exécution des lois. Pour cette seule raison, il fallait anticiper et se demander comment les choses s’imbriqueraient. Avant de s’avancer, il fallait évaluer la fonctionnalité du mécanisme. De par le monde et à travers l’histoire, on a vu tant de constitutions engendrer des blocages soit du fait d’un décalage entre la lettre et la réalité socio-politique soit en raison d’une architecture institutionnelle mal pensée. Même s’il n’existe pas de constitution-type, de bonne ou de mauvaise, il y a néanmoins des fondamentaux à respecter : efficacité des institutions ; répartition claire des compétences au sein de l’exécutif et entre les différents pouvoirs ; procédures d’urgence ; mécanisme de révision ; garanties des droits et libertés…

Une fois encore, il faut avoir le courage de dire les choses. Même si la dyarchie exécutive peut ressembler à un leurre, notre Etat est structuré selon les principes du semi-présidentialisme, régime le mieux compris par le Gabonais lambda. De ce point de vue, il fallait se projeter dans le futur et faire œuvre de pédagogie sur une bonne période. Las… La délégation de signature ayant été décidée, il faut maintenant identifier le bénéficiaire et en circonscrire le champ d’application. Elu au suffrage universel direct, le président de la République est seul responsable devant le peuple. S’il peut déléguer sa signature à une autorité non-élue, il ne peut transférer une partie de ses compétences. Autrement dit, il doit demeurer le seul à décider. Mieux, cette délégation ne peut être permanente et doit se faire sur habilitation expresse. Au-delà, elle doit tenir compte de l’article 46 de la Constitution relatif à l’empêchement temporaire. Sauf si on ne redoute pas de faire le lit aux dérives, avec tous les risques associés.

 
GR
 

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