Deux ans après la disparition d’élèves du CES d’Akébé, retrouvés morts sur la plage du lycée Léon Mba à Libreville, deux familles se désolent de leurs démarches restées sans suite. Elles doutent également de la thèse officielle de la noyade, allant jusqu’à parler de crimes rituels au vu de l’état de mutilation des corps des deux garçons.

25 mai 2018 sur la plage du Tropicana : le groupe d’élèves avant le drame. © D.R.

 

«J’ai fait deux plaintes au parquet – une en juillet 2018, une autre en avril 2019 – j’ai eu plusieurs dates de rendez-vous… repoussées. Je me suis aussi rapproché de la Direction générale des recherches (DGR)… et rien», soupire Paulin Boukika, père de Darlin Stessy Boukika, décédé le 25 mai 2018 à l’âge de 14 ans. Deux ans après le décès de son fils, Paulin Boukika, militaire de l’armée de terre, est toujours dans l’attente de réponses et d’une véritable enquête sur la mort de son enfant. Contrairement à la version officielle parlant de noyade, Paulin Boukika penche plutôt pour la thèse de crimes rituels. Mêmes doutes chez la famille de Warris Nziengui, 15 ans, mort le même jour.

En mai 2018, les réseaux sociaux avaient été les premiers à parler de disparitions d’enfants sur la plage de Libreville, parlant de 15 élèves disparus. La presse avait pris le relais, jusqu’à un reportage sur TV5 monde le 10 juin, qui donnait la parole à la famille Nziengui. Les autorités ont fini par s’exprimer sur l’affaire le lendemain du reportage de TV5 monde. Le procureur de la République d’alors, Steeve Ndong, assurait que seuls trois corps, celui de Nziengui Sougou René Warris (4e B), Sissoko Marifoune (4e C) et Boukika Darlin Stessy (4e A), élèves au CES Mabignath d’Akébé, avaient été retrouvés sur la plage du lycée Mba par les pompiers, le 26 mai.

D’après des documents officiels consultés par Gabonreview, le corps de Darlin a été retrouvé le 26 mai 2018 en face du mess des armées, puis amené par les pompiers à 18 heures à la morgue de Gabosep. Un autre enfant, Esso Edou Jacques, du collège privé Saint Dominique, qui n’aurait rien à voir avec l’affaire des disparus du CES d’Akébé, a quant à lui été retrouvé début juin. Pour ces quatre jeunes, il s’agissait de “noyades”, affirmait alors le magistrat, laissant donc penser que l’enquête était close. Aucune autopsie n’a pourtant été réalisée sur les enfants du CES d’Akébé. Le procureur de la République ajoutait alors qu’aucune trace de violence n’avait été constatée sur les corps.

Le ministre de la Communication d’alors, Guy-Bertrand Mapangou, dénoncait pour sa part des «esprits malins et chagrins» qui «à la veille de chaque consultation électorale (…) s’éveillent pour voir dans chaque décès d’un Gabonais un crime qu’ils qualifient mécaniquement et tendancieusement de crime rituel». Pourtant, les familles de Warris et Darlin continuent de douter de la «noyade», surtout au vu de l’état des corps des deux adolescents. Darlin et Warris portaient clairement des traces de violences et de mutilations, témoignent les familles.

Darlin, le jour de la sortie du corps. (Publié sous l’insistance et avec l’autorisation du père) © D.R.

Plus d’yeux

«J’ai mis une semaine pour voir mon enfant», se souvient encore le père du petit Darlin Stessy, car c’est d’abord Naomie, la mère de Darlin – qui ne vit pas avec Paulin -, qui avait vu en premier le corps de l’enfant à la morgue. A Gabosep, M. Boukika dit avoir été amené à reconnaître le cadavre de son fils parmi neuf corps d’enfants dans des casiers, tirés devant lui. Le petit Darlin est dans le dernier casier. Paulin Boukika est alors horrifié de voir que son fils présente des traces évidentes de mutilations : à la place des yeux, deux trous circulaires, le sexe est entaillé… sous le caleçon. Le père remarque également des traces au niveau des mains et des pieds, comme si l’enfant avait été attaché, jusqu’à entailler sa peau. Il note beaucoup d’hématomes et égratignures sur le corps. «On sent qu’il a lutté», lance M. Boukika. Il se demande si l’enfant est bien resté dans l’eau. Ce militaire de profession dit ne pas reconnaître les traces d’un corps de noyé, comme le ventre gonflé, ou la peau décapée.

Tous les éléments sont réunis pour penser à un «crime rituel» – un assassinat avec prélèvement d’organes à des fins fétichistes -, pense le père de Darlin, qui n’hésite pas à inscrire ces mots dans ses plaintes. Il monte tout un dossier, photos et documents à l’appui.

La famille de Warris Nziengui, quant à elle, a pu retrouver l’enfant de 15 ans dès le 26 mai 2018. L’oncle du garçon, Simon Ronsard, ainsi que le père, Théophile Nziengui, arrivent à Gabosep. Ils doivent désigner Warris au milieu de quatre corps d’enfants. «Ils avaient tous du sable sur eux», se souvient Simon Ronsard. «Il y avait des traces d’hématomes sur le côté gauche de sa joue, qui partaient du bas de la joue jusqu’au niveau du front. Son œil était tuméfié. J’ai aussi pu retourner le corps, et l’enfant présentait au niveau de la nuque une espèce d’entaille. La tête était encore baignée dans du sang», explique le père, Théophile Nziengui. L’homme se rend le 28 mai 2018 à la Police judiciaire (PJ), qui évoque déjà la thèse de la noyade, se souvient-il.

Quant aux parents de Sissoko, d’origine malienne et donc en situation incertaine au Gabon, ils sont toujours restés mutiques face à la presse. Aucune autopsie n’a été réalisée sur ces corps. Les familles estiment que le procureur aurait pu commander l’autopsie au vu de ces morts suspectes. Le coût d’une telle opération est prohibitif. Rien que la facture de Gabosep pour la conservation du corps du petit Darlin s’élevait, le 7 juin 2018, à 962.101 FCFA, selon un document consulté par Gabonreview.

Pourtant, la Police dite des plages patrouille régulièrement autour du Tropicana. © Gabonactu.com

Retour sur la journée du 25 mai 2018

Gabonreview a pu enquêter tant bien que mal sur le déroulé des événements le 25 mai 2018, quelques élèves du CES d’Akébé ayant notamment accepté de donner leurs témoignages à Gabonreview ou aux familles. Le 25 mai 2018, en cette veille de fête de la culture à Libreville, des élèves du collège d’Akébé sont impatients de célébrer la fin de l’année scolaire. Le soir, l’établissement a même proposé une sortie à la Nuit des arts martiaux, au Palais des Sports de Libreville. Mais en journée, plusieurs jeunes décident de se rendre, en minibus, depuis les Akébé jusqu’à la plage du Tropicana, lieu de rencontre habituel de la jeunesse. Plusieurs adolescents, dont Darlin et Warris, ne préviennent pas leurs parents. Ces derniers précisent qu’ils n’auraient, en effet, pas accepté une telle sortie.

D’après les témoignages des élèves, certains jeunes se seraient baignés, et une fille nommée Divine aurait même failli se noyer dans la mer. Repêchée par un camarade nommée Clément, elle aurait été amenée à l’hôpital. Des militaires seraient intervenus auprès des adolescents, les empêchant de continuer de se baigner, et soupçonnant la prise d’alcool ou de stupéfiants chez ces jeunes, mineurs pour la plupart.

Un élève interrogé par Gabonreview dit avoir vu Darlin entrer dans l’eau, mais tous se souviennent que Warris et son ami Sissoko ont couru sur la plage, en direction du pont de Gué-Gué comme pour fuir les militaires sur la plage. Aucun des camarades interrogés par Gabonreview ne les a vus entrer dans l’eau. Warris et Sissoko étaient accompagnés d’un autre adolescent, plus âgé, nommé Nzibo, précise un élève. Le dénommé Nzibo était même déjà venu rendre visite à Warris à son domicile, explique un membre de la famille Nziengui. En 2019, il ne fréquentait plus le CES d’Akébé, et certains élèves pensent même qu’il serait parti en province.

Suite à cette journée tourmentée et à l’arrivée de forces de l’ordre, quelques adolescents sont amenés à la Police judiciaire pour y être interrogés. Alors que les jeunes regagnent leurs proches et leurs domiciles, certains ne rentreront jamais. Darlin, Warris et Sissoko font partie des disparus. Deux jeunes filles, amies de Divine, se présentent au domicile de Warris «le 26 ou le 27 mai, vers 17 heures», se souvient Théophile Nziengui, pour apporter les affaires du jeune garçon – le sac avec, dedans, un t-shirt, son téléphone portable et sa tenue d’école. «Le téléphone de Warris est encore à la PJ, où nous sommes allés le lundi 28 mai», précise M. Nziengui.

Au CES d’Akébé, aucune photo des élèves disparus n’est affichée après le drame, rapportent des camarades de classe. La principale de l’établissement, Marie-Jeanne Dingue, ne s’est pas non plus exprimée ouvertement depuis lors. Des rumeurs courent toujours sur d’autres disparitions ce 25 mai 2018 au Tropicana, notamment celle d’une jeune fille du lycée Léon Mba. Deux ans après, les familles de Warris et Darlin restent amères et sont toujours en quête d’éclaircissements. Elles souhaitent relancer leurs démarches auprès des services judiciaires et d’enquête.

 
GR
 

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