Entre accusations, IA et jeux de pouvoir : la tempête médiatique qui secoue le Gabon avant les élections

La diffusion sur la TV nationale d’un enregistrement attribué à Barro Chambrier et Ondo Ossa, embrase la scène politique gabonaise d’autant plus que Macron, Ouattara et Omar Denis Jr Bongo y sont évoqués. Entre intelligence artificielle (IA) permettant le clonage des voix, incohérences manifestes et dénonciations véhémentes de la plateforme Alternance 2023, cet épisode vénéneux révèle les coups tordus d’un pouvoir mettant à contribution un média de service public et prêt à toutes les manipulations pour sauvegarder son précieux fauteuil. Ambiance délétère à l’aube d’une échéance capitale.

Illustration, tel qu’apparu sur les réseaux, des audios en question. © GabonReview (capture d’écran)

Lundi 21 août 2023 au journal de 20 heures, la chaîne publique Gabon Télévision a créé la surprise en diffusant un enregistrement audio censé impliquer les opposants Albert Ondo Ossa et Alexandre Barro Chambrier dans un projet de déstabilisation du pouvoir avec l’aide de la France. Mais de nombreux éléments laissent planer le doute sur l’authenticité et les motivations de cette diffusion.

Emmanuel Macron, Alassane Ouattara, la Guinée Equatoriale, le Cameroun et Omar Denis Jr Bongo

Présenté comme une «information de dernière minute», en prime time et sur une chaine de télévision étatique, cet enregistrement de mauvaise qualité aurait capté une conversation entre MM. Ondo Ossa et Barro Chambrier évoquant des soutiens extérieurs pour prendre le pouvoir, citant les président français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara mais aussi des pays voisins, la Guinée Equatoriale et la Cameroun, ainsi que – en filigrane – le fils d’Omar et Édith Lucie Bongo Ondimba : Omar Denis Jr Bongo.

Si le régime y voit une preuve compromettante, de sérieuses zones d’ombre subsistent. D’abord, la piètre qualité sonore rend les voix difficilement identifiables, permettant les soupçons de montage. Ensuite, la mention opportune de M. Macron interroge, puisque l’enregistrement n’a fait l’objet d’aucune authentification ni enquête préalable.

Diffusé à quelques jours du scrutin présidentiel, ce document apparaît donc suspicieux. D’autant que MM. Ondo Ossa et Barro Chambrier mobilisent de plus en plus, au sein d’une opposition fragilisée par les défections.

Intelligence Artificielles (IA) et clonage des voix

Certains y voient une manipulation étatique visant à jeter le discrédit sur des challengers gênants. D’autres dénoncent une faute journalistique impardonnable de la part du groupe Gabon Télévision. L’audio apparait dans un contexte où, avec la venue de l’Intelligence Artificielles (IA), les technologies d’imitation vocale, basées sur des techniques de deep learning, sont de plus en plus performantes et peuvent générer des résultats bluffants.

Le clonage vocal par intelligence artificielle permet en effet de reproduire la voix d’une personne à partir d’échantillons audio. Des logiciels entraînés sur quelques minutes d’enregistrement parviennent à générer une version synthétique réaliste de cette voix. De nombreuses solutions existent comme Lyrebird, Ressemble.ai, Respeecher ou Speechify. La technologie la plus avancée actuellement étant Eleven Labs.

Alternance 2023 dénonce une «manipulation honteuse»

Quoi qu’il en soit, en l’absence de vérifications sérieuses, la diffusion de cet enregistrement fragilise davantage la crédibilité du processus électoral. Seule une enquête indépendante permettrait d’y voir plus clair.

Dans la foulée de cette diffusion, la Plateforme Alternance 2023 dont font partie MM. Ondo Ossa et Barro Chambrier a publié un virulent communiqué le 22 août. Elle y dénonce «avec la plus grande fermeté ce montage éhonté qui met à nu une fois de plus les pratiques inacceptables de ce régime». La coalition de l’opposition qualifie l’enregistrement de «manipulation sans nom» et en rejette catégoriquement l’authenticité. Selon elle, il s’agirait d’une fabrication par intelligence artificielle visant à «disqualifier» son candidat Albert Ondo Ossa.

Elle rappelle que le pouvoir a déjà utilisé de telles méthodes pour discréditer des opposants par le passé. Et appelle le procureur de la République à ouvrir une enquête sur cette affaire pré-électorale troublante.

Alternance 2023 réaffirme sa détermination à mener une alternance pacifique, contrairement aux insinuations de ce montage. Mais celui-ci, selon la plateforme de l’opposition, jette une lumière crue sur les dérives d’un régime aux abois, prêt à toutes les manipulations pour se maintenir.