Les affaires dites du «Roi Béni» et de Nazih Marwan Al-Azzi, à première vue distinctes, dessinent en réalité une même cartographie : celle d’un État traversé de porosités où le politique, le militaire et le criminel semblent avoir pactisé. Complicités dans les forces, protections institutionnelles, couvertures médiatiques : autant de signaux qui dessinent l’architecture d’un système de compromissions ou de collusion.

Arrivée de ‘Roi Béni’ à l’investiture du président Oligui, le 3 mai 2025 au stade de l’amitié : l’affaire de ce «caïd des braquages» révèle moins la témérité d’un criminel que la fragilité d’institutions prêtes à lui ouvrir leurs portes. © GabonReview (capture d’écran)

 

L’image du «Roi Béni» circulant avec aisance parmi les forces de sécurité, au stade de l’Amitié lors de l’investiture du président Oligui, tout comme les révélations explosives de Nazih sur la DGSS, ne relèvent pas du folklore gabonais. Elles ouvrent au contraire une brèche inquiétante : celle d’un État dont les structures régaliennes paraissent avoir toléré, couvert, voire intégré, des acteurs marginaux aux méthodes criminelles. Le rapprochement entre ces deux dossiers n’est pas une coïncidence, mais une clef de lecture pour comprendre comment la frontière entre institutions et criminalité peut se dissoudre.

Des complicités patentes

‘Roi Béni’ le 3 mai 2025 à l’investiture du président Oligui Nguema, au stade l’amitié à Angondjé. © GabonReview (capture d’écran)

L’arrestation du «Roi Béni» et de son réseau criminel, le 13 août 2025, a livré au grand jour une mécanique qui dépasse de loin les seuls braquages imputés à ce gang. Derrière les vols spectaculaires visant des dignitaires et hauts responsables politiques, l’enquête a mis en évidence un faisceau d’appuis : relais militaires facilitant l’accès aux armes, complicités dans les forces de l’ordre, et soupçons de protection par des segments de la Garde républicaine. De simples délinquants n’auraient pu opérer à ce niveau sans la tolérance ou le soutien de relais institutionnels.

Bien avant le coup de filet, l’activiste Nazih Marwan Al-Azzi avait dénoncé (avec une insistance moquée à l’époque) les liens troubles entre Ted Willy Alimbi Ognalagha dit «Roi Béni» et les services de renseignement gabonais. Il affirmait avoir croisé le «Roi Béni» détenu dans les locaux mêmes de la DGSS, jouissant pourtant de conditions singulières. Ses propos sur l’existence de détentions parallèles, de trafics de stupéfiants et de complicités au sommet avaient semblé outranciers. L’histoire, en validant une partie de ses accusations, lui a conféré une légitimité inattendue.

Deux faces d’un même système

Pris isolément, Nazih apparaissait comme un électron libre de la désinformation numérique, payé, disait-il, par la présidence pour manipuler l’opinion. De son côté, «Roi Béni» se présentait comme un chef d’association, protecteur de jeunes et mécène de façade. Ensemble, leurs trajectoires révèlent une même architecture : un État où certains segments instrumentalisent les voyous comme les activistes ou influenceurs, tantôt pour des campagnes de communication, tantôt pour des missions de prédation. Le «cyber-mercenaire» et le «caïd des braquages» sont les produits d’une même matrice : celle de l’imbrication entre pouvoir et crime.

Le scandale ne réside pas seulement dans l’existence d’un gang, mais dans la nature des victimes : des notables du sérail, des proches de l’ancien président, des figures centrales du système. Braquer le cœur du pouvoir sans protection interne est impensable. L’affaire illustre donc moins la témérité d’un criminel que la fragilité d’institutions où des fractions de l’appareil sécuritaire se louent, se corrompent ou se retournent. C’est là que se niche l’impensable : l’État gabonais n’a pas seulement été victime, il a fourni les complicités qui ont rendu le crime possible.

Une République en clair-obscur

La convergence des dossiers Nazih et «Roi Béni» trace en tout cas le portrait inquiétant d’une République où la frontière entre ordre et désordre s’efface. L’un a manipulé les foules à coups de campagnes numériques, l’autre a saigné les élites à coups de braquages, mais tous deux ont prospéré sous l’aile protectrice de segments de l’État. De cette imbrication, une évidence se dégage : quand les institutions servent de refuge aux prédateurs, la criminalité cesse d’être un fléau extérieur. Elle devient une composante interne du système.

Ces affaires ne disent pas seulement la chute d’un influenceur ou l’arrestation d’un chef de gang. Elles révèlent un système de complicités institutionnelles qui menace le cœur même de la légitimité régalienne : la capacité de l’État à protéger plutôt qu’à couvrir. En laissant prospérer cette porosité, le Gabon s’expose à un risque plus grave que les braquages eux-mêmes : celui d’une République rongée de l’intérieur, où l’autorité publique se dissout dans ses propres compromissions.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Cyr tiburce MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Morceau au choix : l’affaire de ce «caïd des braquages» révèle moins la témérité d’un criminel que la fragilité d’institutions prêtes à lui ouvrir leurs portes.

    En français facile, l’Etat serait il faible ? Amen.

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