Le paysage médiatique gabonais est secoué par une vive controverse impliquant le procureur de la République, André Patrick Roponat, et le journal Gabon Media Time (GMT). Suite à une publication du journal questionnant la procédure judiciaire lors de la saisie d’argent au domicile de l’ancien directeur de cabinet Ngoulou, une convocation en marge des lois de la communication a été émise, suscitant des réactions en cascade. Cette affaire soulève des interrogations cruciales sur la liberté de la presse en pleine transition politique au Gabon.

André Patrick Roponat, procureur de la République, auteur d’une procédure d’autorité envers Gabon Media Time. © GabonReview

 

Procureur de la République de la République près le Tribunal de première instance de Libreville, André Patrick Roponat a fait convoquer, ce mardi 3 octobre, le directeur du journal Gabon Media Time, Harold Leckat, ainsi que trois journalistes de ce média. Passant outre le Code la Communication en République gabonaise et sans en référer au préalable à la Haute autorité de la communication (Hac), le magistrat qui dirige les services du Parquet a commis un soi-transmis donnant instruction à la Direction générale des recherches (DGR) d’entendre les quatre journalistes visés.

En cause, un article du média s’interrogeant sur la procédure de comptage des devises saisies chez Ian Ghislain Ngoulou, ex-puissant directeur de cabinet du précédent régime, par les militaires dans la foulée du renversement de l’ancien régime de Libreville. Dans son texte, GMT se demande si la procédure utilisée par le procureur n’était pas entachée d’irrégularités, de même qu’il se questionne sur la voie empruntée par «les liasses de billets d’euros conservées par André Patrick Roponat». Toute chose ayant certainement provoqué le courroux du magistrat qui n’a pas hésité à convoquer les journalistes et le patron de la rédaction, au mépris de la liberté d’informer.

«Mets ça là dans l’enveloppe, tu vas aller compter ça au bureau». Tollé et indignation

La procédure d’autorité d’André Patrick Roponat envers le journal n’a pas manqué de provoquer une levée de boucliers. Dans un communiqué publié le 3 octobre, Me Anges Kevin Nzigou, avocat et conseil de GMT, dénonce fermement la convocation par le procureur André Patrick Roponat du directeur de la publication Harold Leckat et de ses trois journalistes. Me Nzigou considère ces convocations devant la DGR comme «un abus de pouvoir manifeste» qui démontrerait une «rancœur toxique du magistrat contre GMT».

Dans la foulée, l’Union de la presse francophone, section Gabon (UPF-Gabon) a également réagi. La section nationale de l’organisation internationale de protection des journalistes rappelle que l’article problématique «partait d’un reportage télévisé». Analysant la situation, l’UPF-Gabon relève : «primo, que le film de cette séquence n’émanait pas d’une caméra cachée, mais bien d’une caméra de la télévision publique invitée sur les lieux où le procureur opérait avec ses éléments. Deuxio, dans ladite vidéo, une voix off donne l’ordre d’emmener les devises afin qu’elles soient comptées dans son bureau. Ce que Gabon Média Time a interprété comme un vice de procédure et a rédigé l’article incriminé sur cette base, article écrit au demeurant sur le mode interrogatif

Dans ladite vidéo, largement partagée sur les réseaux sociaux, une voix off demande en effet de laisser les devises en euro que ses préposés iraient compter dans son bureau. «Mets ça là dans l’enveloppe, tu vas aller compter ça au bureau», y entend-on. Ce qu’a rapporté GMT.

Article 2 de la Charte de la Transition au Gabon

L’UPF-Gabon estime que «l’action du procureur n’a pas lieu d’être à moins qu’elle ne traduise une volonté personnelle de sévir en utilisant l’appareil judiciaire». L’organisation des journalistes renvoie de même le procureur de la République «aux avancées de la réglementation gabonaise en matière de protection des journalistes». Elle rappelle que «la Charte élaborée par les autorités du CTRI – Comité pour la transition et la restauration des institutions – consacre dans son article 2 «la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés publiques», entre autres. «Et depuis sa prise de pouvoir, poursuit l’UPF-Gabon, le CTRI a manifesté par-dessus tout, la volonté d’une presse libre». «Écrivez sans crainte» avait lancé le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, le samedi 2 août 2023 en recevant les patrons des médias gabonais.

Même si, ainsi que l’écrit le magazine Emergence cité par Agencequateur, la voix controversée ne serait pas celle du procureur Roponat mais d’un capitaine s’adressant à un collègue lors de la perquisition chez Ngoulou, et que les Officiers de police judiciaire devaient interrompre la perquisition du fait de l’heure tardive, il reste que l’opération était placée sous la supervision du Procureur près le Tribunal de première instance de Libreville.

Instinct de survie et respect de l’article 106 du Code de procédure pénale

L’article de GMT pose une question essentielle sur la destination des saisies et ne relève pas moins un vice de procédure au regard de l’article 106 alinéa 4 et 5 du Code de procédure pénale, disposant : «Les objets saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Il en est dressé procès-verbal.» L’invocation de l’heure tardive est, en tout cas, un faux-fuyant dans un pays où les magistrats ont habitué l’opinion à des rendus nocturnes très tardives.

Les interrogations légitimes du journal rappellent l’importance de préserver l’indépendance des médias et la liberté d’informer au Gabon, alors que le pays amorce une période de transition délicate. Mais les partisans de Roponat, selon le média Émergence cité par Agencequateur, soupçonnent GMT d’être influencé par des forces occultes voulant évincer Roponat pour son remplacement par un «procureur pantin». La réaction du Procureur de la République répond-elle donc de l’instinct de survie concernant sa carrière ?

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Ondo Francois dit :

    « la voix controversée ne serait pas celle du procureur Roponat mais d’un capitaine s’adressant à un collègue lors de la perquisition chez Ngoulou. » La liberté de la presse ne veut pas dire liberté de diffamer. Les journalistes ont besoin aussi d’etre ramener à l’ordre.

    • Yann Levy Boussougou-Bouassa dit :

      De façon générale toute liberté ne va pas sans responsabilité et respect de la légalité. Ce principe s’impose à tout le monde, y compris aux dépositaires de la puissance publique qui, visiblement, ont embastillé ces journalistes en méprisant gravement les formes et procédures prévues par nos lois. Or, le respect des formes et procédures est une protection pour tout justiciable.

      Il va falloir garder les yeux grands ouverts pour conjurer une anacyclose qui nous ramènerait rapidement vers l’ancien monde.

  2. CYR Moundounga dit :

    Bjr. La loi doit s’appliquer dans toute sa rigueur et pour tous. Amen.

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