Un des domaines dans lesquels les femmes restent sous représentées est celui des sciences. Pourtant les sciences influencent les politiques, façonnent les sociétés. Si les vieux adages tels que « La barbe dit le jour ce que la tresse dit la nuit. » ou « derrière chaque grand homme se cache une femme », semblent reconnaitre aux femmes une certaine influence, il est temps que celles-ci sortent des alcôves des foyers pour être pleinement reconnues et écoutées à leur juste valeur. A l’occasion, ce 11 février, de la célébration de la « journée internationale des femmes et filles dans la science », rencontre avec deux femmes de science souhaitant motiver leurs « petites sœurs » à oser devenir des scientifiques et à lutter contre l’idée préconçue que la science est un domaine réservé aux hommes.

 

Enquêtrices du projet SWM Gabon. © Brent Stirton/Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD, WCS

 

Les femmes représentent la moitié de la population mondiale et donc la moitié de son potentiel. Ne pas permettre aux femmes de réaliser leur potentiel, c’est renoncer à la contribution qu’elles pourraient et devraient avoir dans le développement durable, au bénéfice de tous.

Le Gabon n’échappe pas à ce constat. Le rapport général sur la situation de la femme gabonaise publié en août 2017, souligne les efforts fournis par l’Etat pour favoriser l’accès universel des filles à l’éducation primaire. Mais malgré cela, les performances du système éducatif sont amoindries par les problèmes spécifiques rencontrés chez les filles scolarisées (précarité, violences, grossesses non désirées, abandons, échec scolaire, etc.). Il en résulte que comparativement aux filles, les garçons ont une meilleure probabilité d’achever le cycle primaire et ces écarts s’accentuent progressivement dans les étapes suivantes du cursus scolaire, causant en définitive un gap considérable entre les deux sexes au niveau universitaire et une sous-représentation des femmes et filles dans les sciences.

Depuis 2013, le 11 février célèbre la journée internationale des femmes et filles dans la science pour souligner combien leur sous-représentation dans les sciences sont autant d’opportunités perdues pour le développement durable, et notamment pour l’amélioration des conditions de vie des filles et des femmes, et l’accès des femmes aux décisions stratégiques qui conditionnent notre avenir commun.

A l’occasion de cette journée, Gabon Review a voulu dresser le portrait de deux femmes de science aux parcours différents mais qui toutes deux, par leur témoignage, souhaitent motiver leurs « petites sœurs » à oser devenir des scientifiques et à lutter contre l’idée préconçue que la science est un domaine réservé aux hommes. Car l’histoire a montré que les découvertes des femmes – que ce soient celles de Marie Curie, ou celles des calculatrices Katherine JohnsonDorothy Vaughan et Mary Jackson de la NASA – ont contribué aux progrès pour l’Humanité et il n’y a pas de raisons que cela ne continue pas. A chacune de faire ses choix.

Ingrid Sandy Kindzi Bakakas © CIRAD

Ingrid Sandy Kindzi Bakakas : « On m’a dit « tu perds ton temps dans les sciences ». Mais je suis déterminée : petit à petit, je trace ma route »

Ingrid Sandy KINDZI BAKAKAS est doctorante. Inscrite à l’Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM), elle réalise son projet de recherche sous la codirection du Cirad, en partenariat avec l’Université de Liège et le Programme de Gestion durable de la faune sauvage (Sustainable Wildlife Management Programme[1]). Issue d’une famille de scientifiques, elle a très jeune été contaminée par le « virus de la science ». Le choix de la biologie s’est imposé naturellement par goût. Après un parcours académique brillant où elle a enchainé licence, master 1 et master 2 à l’USTM en trois années d’une traite, Ingrid a d’abord multiplié les expériences professionnelles en tant qu’encadreur pédagogique d’élèves en difficulté, puis en tant qu’agent de laboratoire de contrôle qualité des aliments avant de devenir assistante de recherche à l’IRAF et d’envisager sérieusement une carrière scientifique.

« Les opportunités de décrocher des bourses de recherche pour doctorat se font rares au Gabon, pas seulement pour les femmes, mais en général. La compétition est rude. Certes les financements privilégiant l’accès aux carrières scientifiques pour les femmes tendent à se multiplier mais malgré les mentions ‘Les candidatures féminines sont bienvenues’ que l’on peut lire, je n’ai pas l’impression d’avoir eu l’opportunité d’en bénéficier malgré de nombreuses tentatives. »

Pour obtenir une bourse de thèse auprès du Projet SWM au Gabon, Ingrid a simplement postulé. Et son dossier, sa personnalité et sa motivation ont fait le reste. Son projet vise à évaluer la productivité des « gazelles » (ou céphalophes bleus – Philantomba congica) dans le département de Mulundu. Sa recherche aura une application pratique : elle contribuera notamment à évaluer si la chasse de cette espèce, parmi les plus consommées par les foyers en zone rurale, peut être maintenue au niveau actuel, ou si elle devrait être réduite au risque sinon de menacer, à long terme, la survie de l’espèce et donc la sécurité alimentaire des familles autant que la conservation de la biodiversité. Ingrid est particulièrement fière que sa recherche permette de répondre aux problématiques des populations les plus vulnérables du Gabon, en cherchant des solutions innovantes néanmoins respectueuses des traditions, de la culture et surtout des droits des communautés.

Sa recherche nécessite de longues missions de plusieurs jours en forêt pour la collecte d’échantillons qu’elle traite ensuite en laboratoire. Si ces missions constituent un défi d’abord physique, elle reconnait qu’elles ont aussi été au début un défi social sur divers aspects : lorsqu’elle se rend sur le terrain, Ingrid est en effet une cheffe de mission qui dirige une équipe de plusieurs hommes. Et cela aussi, elle a dû apprendre à le gérer. « Les hommes perçoivent des limites pour les femmes qui n’existent pas : quand je suis arrivée à Ndambi [NDLR village partenaire du projet SWM], les hommes étaient surpris que je sois cheffe. Ils ont trouvé étrange que j’aille seule en forêt avec des hommes et que je leur dise quoi faire. Ils sont restés polis mais je voyais bien que par derrière, ils riaient. Néanmoins, après plusieurs missions, ils ont observé ma résistance, ma persévérance et comment mon équipe travaille sous mes ordres : j’ai ainsi gagné leur respect. »

Sur des questions plus simples, « il y a aussi des difficultés pratiques indéniables : en tant que seule femme de la mission, je dois aller me laver seule à la rivière et donc potentiellement faire face à tout danger seule dans ces moments. Je suis globalement seule pendant des jours car ma position autant de femme que de cheffe, crée une distance et une forme d’isolement. S’il y avait plus de femmes dans les équipes, ces questions ne se poseraient pas. Nous n’en sommes pas encore là malheureusement, mais je fais avec et je m’adapte. »

Malgré ces difficultés, Ingrid ne baisse pas les bras, au contraire. « On m’a souvent répété que les carrières scientifiques nécessitant de travailler sur le terrain sont pour les hommes et de cibler plutôt le laboratoire. Mais je suis heureuse que le programme SWM me donne l’opportunité de prouver que j’ai ma place aussi sur le terrain, en forêt. J’y gagne en légitimité dans mon travail et en expertise ; en couvrant à la fois la forêt et laboratoire : je sais de quoi je parle. »

Elle reconnait néanmoins que toutes les femmes n’ont pas la latitude qu’elle a et que sans l’aide et la compréhension de son mari, les choses seraient sans doute plus compliquées. « Mon mari ne se plaint pas de mes absences à répétition et prolongées. Bien au contraire, il m’encourage à faire ce qui me plait et il m’aide dans la tenue de la maison, il ne considère pas que cela soit de ma seule responsabilité. J’ai conscience que son comportement est loin d’être la norme et de ce fait je me considère comme très chanceuse. Mais ceci ne devrait pas être une chance, ceci devrait être normal. » Et cela sans compter sur l’énorme pression sociale qu’elle ressent : « les gens me demandent si je n’ai pas envie de faire des enfants et de fonder une famille. Ils pensent à tort qu’une carrière scientifique est incompatible avec la construction d’une famille alors qu’il faut juste planifier : être une femme, être une scientifique, être une mère, être une épouse n’est pas incompatible, en tout cas pour une femme !

Si Ingrid apprécie aujourd’hui d’arpenter les forêts gabonaises pour en connaitre les secrets nécessaires à l’aboutissement de ses recherches, elle a aussi pris goût à l’enseignement pendant son parcours et se voit à terme devenir enseignante-chercheuse à l’université. « Le regard des gens – hommes comme femmes – doit changer. Je veux dire aux jeunes que tout est possible. Si j’ai pu le faire, les autres filles peuvent aussi le faire. Il y a des barrières externes mais il y a aussi celles que nous nous imposons nous-mêmes et dont nous devons nous affranchir. Pour cela, il est important de s’organiser et de faire preuve d’autodiscipline. Avec le temps, plus les femmes seront nombreuses à oser, plus la voie sera large et aisée pour celles qui suivront.

Natacha Efoua Tomo. © CIRAD

Natacha Efoua Tomo : « la science me permet de m’émanciper en tant que femme et en tant que mère, elle me permet aussi de cultiver chez mes enfants leur esprit critique. »

Natacha se souvient avoir toujours eu des facilités avec les matières scientifiques, notamment la physique et la biologie. Recalée à l’entrée de la faculté de pharmacie, elle s’oriente vers les sciences vétérinaires au Sénégal, où elle obtient son doctorat vétérinaire. Elle enchaine ensuite avec un master en santé publique option épidémiologie.

Au sortir de ses études, elle occupe d’abord différentes fonctions, notamment enseignante vacataire en sciences de la vie et de la terre, puis vétérinaire à la Société Meunière Agricole du Gabon avant d’intégrer le CENAREST comme attaché de recherche au laboratoire de santé animale. « Ce parcours m’a permis de prendre le temps de constituer ma famille et j’ai aujourd’hui deux enfants âgés de 10 et 14 ans ». C’est donc sur le tard, que lui a pris l’envie de se lancer le défi d’obtenir un deuxième doctorat d’université.

Actuellement inscrite à l’USTM pour un doctorat codirigé avec le CIRAD, en partenariat avec le CIRMF et le projet SWM Gabon, Natacha a développé un projet de recherche sur la construction et l’évaluation d’un système de surveillance des risques de maladies transmises par les animaux sauvages, notamment le long de la filière viande de brousse au Gabon.

Pour autant, malgré la préparation de son doctorat et ses enfants, Natacha n’en oublie pas ses passions personnelles, à savoir le jardinage, la botanique, les savoirs traditionnels et la cuisine. Natacha est une touche-à-tout, curieuse, dynamique et entreprenante. Mais si sa curiosité la pousse à développer sa carrière scientifique, elle ne se voit pas pour autant directrice de recherche ou occuper un poste à responsabilité. Car son objectif premier est de bien accompagner ses enfants et elle ne veut pas sacrifier cela, « du moins tant que ses enfants ne seront pas plus indépendants, mais pourquoi pas après ? ».

Sûre de ses capacités, elle se laisse le choix. Mais surtout elle reconnait que la pression sociale est énorme. « La société africaine aime à dire qu’une femme qui étudie trop ne se marie pas et que la place de la femme est à la cuisine. Je veux dire aux jeunes filles que ce n’est pas vrai. Mais aussi leur dire que concilier travail et famille n’est pas souvent facile, il faut se battre. »

Par ailleurs, elle déplore que dans les milieux professionnels gabonais, la femme scientifique n’est pas souvent valorisée. Les hommes piétinent parfois le statut de la femme. Les femmes sont moins écoutées en réunion. « Dans les milieux hostiles, je me suis retrouvée parfois à passer mes idées à mes collègues hommes pour assurer qu’elles soient retenues, ceci est frustrant. Mais avec l’aide de nombreux hommes bienveillants, et si plus de femmes osent, on peut évoluer vers plus d’égalité et de reconnaissance. »

Pour cela, elle souhaiterait aussi que les structures de travail s’adaptent aux contraintes des femmes. « Les instituts de recherche devraient montrer l’exemple en termes d’innovation dans le monde du travail. Par exemple l’absence de crèches ne devrait pas empêcher les femmes de travailler pour s’occuper de leurs enfants. »

Au final Natacha voit avant tout sa principale contribution au monde en tant que femme de science dans son rôle de transmission à ses enfants d’une rigueur et d’un esprit critique, qui sont pour elle autant d’armes pour les aider à affronter les défis qui les attendent.

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[1] Le Programme de gestion durable de la faune sauvage est une initiative de l’organisation des Etats d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, financée par l’Union Européenne, et mise en œuvre par un consortium d’organisations incluant l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Centre français de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et la Wildlife Conservation Society (WCS).

 
GR
 

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