Le septième art gabonais crève l’écran la larme à l’œil

La disparition récente d’une figure emblématique du cinéma gabonais offre l’occasion de dresser un état des lieux contrasté du septième art dans le pays. Hugues Gatien Matsahanga explore ici l’héritage d’Adrien James Prince de Capistran, tout en relevant les paradoxes d’une industrie cinématographique en plein essor, mais où les artistes continuent de lutter contre la précarité. Du glorieux âge d’or des années 70-80 aux succès contemporains, ce portrait croisé révèle les défis persistants d’un secteur culturel aux promesses encore inexploitées.

Derrière les projecteurs qui s’éteignent, les étoiles du cinéma gabonais meurent en silence. © GabonReview
Prince de Capistran. Le clap de fin du film de sa vie a claqué le 5 janvier 2025 à la veille de sa 75e année. Adrien James Prince de Capistran, de son vrai nom, est décédé, laissant derrière lui un immense héritage artistique. L’hommage posthume qu’il a reçu de la part des plus hautes autorités du pays a sans aucun doute été à la hauteur des états de service de l’acteur, du dramaturge et de la figure emblématique d’une industrie cinématographique gabonaise à laquelle il a dédié plus de quarante ans de sa vie.
Nous ne reviendrons pas sur la biographie, ni le script de l’exceptionnelle carrière de cet implacable comédien né à Angone à Oyem un 5 mars 1950 et dont les rôles de Ickafi dans le court métrage « Le Singe Fou » et Oncle Didine dans la série « L’Auberge du salut » entre autres, lui ont suffi pour se hisser au rang d’icone du cinéma gabonais. Nous n’évoquerons pas non plus les circonstances de sa disparition, à la suite d’une longue et pénible maladie ; triste illustration de l’extinction des étoiles qui illuminent le firmament de notre galaxie culturelle. Comme toujours, dans l’anonymat et le dénuement. A qui la faute ?
Comble des paradoxes. Au moment où le cinéma gabonais connait un nouvel essor, les conditions de vie de ceux qui contribuent à son ascension renvoient trop souvent à cette malheureuse réalité. Sans statuts particuliers, ni cadre de protection sociale, nos talents s’éteignent peu à peu dans le silence de la précarité après des bons et loyaux services au profit du rayonnement du génie gabonais.
Pourquoi faut-il attendre l’irréparable pour manifester cette solidarité souvent trop tardive ? Pourtant le cinéma gabonais connait une belle renaissance après l’âge d’Or des années 70 et 80.
Un peu d’histoire. Bien avant les indépendances, des sociétés production françaises réalisent des documentaires dans le Gabon colonial à partir de 1936. Après l’indépendance, Philippe Mory, premier acteur gabonais de formation professionnelle, organise la « Compagnie Cinématographique du Gabon » en 1962 et participe à la production de « La Cage », un long métrage sélectionné au Festival de Cannes en 1963. La télévision nationale a également soutenu des films comme « Carrefour humain » (1969) de Pierre-Marie Dong et « Les tams-tams » se sont tus (1972) de Mory.
Le cinéma gabonais connait alors son âge d’or avec la création du Centre National du Cinéma (Cenaci) en 1975. Philippe Mory en est le directeur et peut compter sur Pierre-Marie Dong et Charles Mensah, un autre jeune talent qui complètera le trio de précurseurs de cette nouvelle ère. Avec eux, la société « Les Films Gabonais » nouvellement créée produira neuf films parmi lesquels figurent les très emblématiques « Obali » (1976), « Ayouma » (1977), « Demain, un jour nouveau » et « Ilombe » (1978).
Puis, après quelques années de relative inactivité, le cinéma gabonais renoue avec les productions et inaugure l’ère des courts-métrages. Cette nouvelle vague va charrier dans son sillage des nouveaux noms : Dread Pol Moucketa « Raphia » et surtout Henri Joseph Koumba Bididi qui signera « Le Singe Fou » (1986) ; un film d’action qui révèlera justement Prince de Capistran. Il campe alors le rôle principal de Ickafi, un jeune débrouillard de Libreville embarqué dans une haletante folie des grandeurs de 25 minutes.
L’arrivée de Charles Mensah à la tête du Cenaci et l’introduction d’une astucieuse restructuration permet la production de « L’Auberge du Salut » en 1995. Ce feuilleton télévisé, réalisé par un collectif de réalisateurs gabonais (Charles Mensah, Henri Joseph Koumba Bididi, Marcel Sandja, Dread Pol Mouketa, François Mezui Me Ndong, Alain Didier Oyoue) mettra également en avant le talent de Prince de Capistran sous la peau de Oncle Didine. C’est d’ailleurs sous ce nom que beaucoup de Gabonais de cette génération l’appelait affectueusement.
Après une longue accalmie, le long métrage « Dôlè » (2000) de Imunga Ivanga va inaugurer une série de productions de grandes factures saluées par la critique. Au cours des vingt dernières années, le cinéma gabonais a su retrouver ses lettres de noblesse. Au fil des productions et des prix glanées à travers les festivals, acteurs et producteurs ont su porter haut les couleurs du pays. Le cinéma indépendant, à travers l’exemple des Studios Montparnasse de Melchisédech Obiang, trace son sillon en savourant également les délices de ses succès au-delà des frontières du pays.
Dans les coulisses, la tragique disparition de Prince de Capistran nous révèle la détresse des acteurs culturels derrière les succès d’estime des œuvres qui les mettent en lumière. Dès l’extinction des projecteurs, le décalage entre le vécu des acteurs et la valeur perçue par le public ne permet pas de considérer l’industrie du 7e art comme un levier des Industries Créatives et Culturelles en Afrique. Pourtant d’après l’Unesco « On estime que les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel ont le potentiel de créer plus de 20 millions d’emplois et de générer une contribution annuelle au PIB de 20 milliards de dollars en Afrique. » (Cartographie des industries cinématographiques et audiovisuelles de l’Afrique en 2021). Mais ce potentiel reste « largement inexploité » surtout au Gabon où la professionnalisation et la structuration des filières artistiques et culturelles se heurtent à l’absence d’un cadre normatif en adéquation avec les réalités socioéconomiques locales.
A l’échelle du Continent, l’exception nigériane devrait malgré tout inciter à l’optimisme. L’industrie cinématographique nigériane est en effet la plus importante d’Afrique en termes de volume, de nombre de films annuels, de recettes et de popularité. C’est également le deuxième plus grand producteur de films au monde. Hormis les atouts d’un marché intérieur avantageux, l’exemple du Nigeria à tous égards devrait faire école.
C’est sans doute dans cette voie que semble s’orienter l’Igis (Institut gabonais de l’image et du son.) A la tête de cet établissement public depuis le 17 décembre 2021, Serge Constant Abessolo n’est pas un inconnu des plateaux et scènes de cinéma. Placée sous la double tutelle des ministères de la Communication et de la Culture, l’héritière du Cenaci, a, au cours de ces dernières années multiplié les partenariats pour redonner du relief au 7e art gabonais.
La 5e édition de la semaine du cinéma africain se tiendra à Libreville du 28 juin au 4 juillet 2025 prochain sous le thème « La Puissance Féminine ». Adrien James Prince de Capistran ne sera pas dans le générique d’ouverture mais son œuvre subsistera dans nos pensées. Il a certes quitté la scène mais il reste présent dans la mémoire collective. Il serait bienvenu qu’un hommage mérité lui soit rendu à cette occasion.

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