Législatives et sénatoriales à venir : Saut dans l’inconnu

Les prochaines élections parlementaires permettront de se faire une idée de la pertinence des mécanismes gravés dans la Constitution du 19 décembre 2024 voire de la solidité et de la fonctionnalité des institutions de la «Cinquième République».

Les prochaines élections législatives et sénatoriales constitueront sinon un saut dans l’inconnu, du moins une épreuve du feu. Il faudra réinventer les relations de pouvoir, codes et modalités de fonctionnement des institutions. © GabonReview (image virtuelle)
Ça n’y ressemble pas, mais c’est ainsi. Les prochaines élections législatives et sénatoriales constitueront sinon un saut dans l’inconnu, du moins une épreuve du feu. Conformément au calendrier publié par le ministère de l’Intérieur, les Gabonais seront appelés aux urnes le 27 septembre et 11 octobre prochains. Ils devront élire les députés et membres des collectivités locales, eux-mêmes invités à choisir les sénateurs à une date encore inconnue. Mais, l’enjeu ne se limitera ni aux relations de pouvoir ni aux rapports de forces politiques. Il ira bien au-delà. Il se rapportera aux aspects juridiques et institutionnels. Contrairement aux précédents scrutins législatifs, il sera d’abord question de se faire une idée de la pertinence des mécanismes gravés dans la Constitution du 19 décembre 2024 voire de la solidité et de la fonctionnalité des institutions de la «Cinquième République».
Seule la décision du président de la République prévaudra
Sans revenir sur le débat constitutionnel, il faut situer le contexte : notre pays vit une expérience nouvelle. Depuis la promulgation de la nouvelle Constitution, il est passé d’un régime semi-présidentiel, à un autre, inconnu des constitutionnalistes et abusivement assimilé au régime présidentiel. Chef de l’Etat et chef du gouvernement, le président de la République est, par ricochet, chef de la majorité parlementaire et chef de l’administration. De ce point de vue, la coloration du Parlement n’aura pas d’impact sur la composition du gouvernement. En clair, le parti victorieux aux législatives ne pourra ni désigner le vice-président du gouvernement ni dicter le choix des ministres. Peu importe le résultat, seule la décision du président de la République prévaudra. C’est dire s’il faudra réinventer les relations de pouvoir, codes et modalités de fonctionnement des institutions.
Pourtant rédigé, analysé, adopté et promulgué après la Constitution, le Code électoral a rajouté à la complexité. Afin de mettre un terme à cette «démocratie de partis» consacrée par les Accords de Paris, il a consacré l’indépendance des élus, leur donnant la possibilité de quitter leurs formations tout en conservant leurs mandats. Mais, sous prétexte de lutte contre le nomadisme politique, il a maintenu l’exigence d’une période viduité de quatre mois pour tout démissionnaire désireux de se porter candidat sous une autre bannière. Pis, il a interdit aux élus indépendants d’«adhérer à un parti politique légalement reconnu sous peine d’annulation de (leurs mandats)». Saisie sur cet aspect et sur le cas spécifique de Brice-Clotaire Oligui Nguéma, la Cour constitutionnelle de la Transition s’est livrée à un gymkhana intellectuel. Selon elle, «le législateur n’a pas entendu interdire la création d’un parti à un élu indépendant». Sinon, «il l’aurait expressément consacré».
Les modalités pratiques restent à concevoir
Comme toujours, les flagorneurs ont crié victoire. Comme sous le régime déchu, ils ont demandé aux sceptiques de se taire et passer à autre chose. Mais, cette décision est révélatrice d’incohérences dans le corpus juridique. En cette ère de changement de régime, elle préfigure des polémiques à venir. Définie comme «l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics», la Cour constitutionnelle sera-t-elle invitée à user de son pouvoir d’interprétation à tout bout de champ ? Dans une telle éventualité, pourra-t-elle maintenir le consensus ? Ne risque-t-elle pas d’être accusée de faire une lecture trop extensible voire orientée de ses prérogatives ? Le danger serait alors celui d’une perte de crédibilité et même d’une défiance populaire vis-à-vis des institutions. Dans un passé pas si lointain, on a pu voir comment des réformes mal pensées, peu théorisées et adoptées à la va-vite peuvent se révéler difficiles à mettre en œuvre ou devenir la source d’une insécurité juridique, la cause d’une instabilité institutionnelle.
Il faut une bonne dose de naïveté pour analyser les élections à venir à l’aune du passé. Au sein de l’exécutif, comme entre l’exécutif et le législatif, les rapports de pouvoir sont appelés à changer. Sur ces aspects précis, les modalités pratiques restent à concevoir. Une fois de plus, il faut revenir sur quelques dispositions constitutionnelles. Elu au suffrage universel direct, le chef du gouvernement n’a plus de comptes à rendre au Parlement. En sa qualité de président de la République, il peut adopter la loi de finances par une «ordonnance spéciale» en cas de résistance du législatif. En cas de désaccord sur une loi ordinaire, il peut saisir la Cour constitutionnelle. Pour toutes ces raisons, les candidats aux législatives et sénatoriales doivent se poser les bonnes questions, dès à présent. Sauf, bien entendu, s’ils sont disposés à faire de la figuration ou veulent juste occuper des positions.

0 commentaire
Soyez le premier à commenter.