Poète, romancier et nouvelliste, diplomate et ancien ministre, Éric Joël Békalé, l’un des plus prolifiques écrivains gabonais vient de placer en librairie «Vers le soleil levant». Rencontré, le 7 mai, dans un café de Libreville, celui qui dit faire de la langue française ce qu’il veut commente avec GabonReview ce recueil de nouvelles publié dans la Collection Filbleu des Éditions Continents, à Lomé. Des textes dans lesquelles «les gabonismes» abondent et dans lesquelles on ne doit pas tuer les éléphants, mais où on «sort en vampire». Il touche également un mot sur la littérature gabonaise d’aujourd’hui et fait son coup de gueule contre les ministères chargés des politiques publiques de promotion du livre, qui ne jouent pas leur rôle. 

Éric Joël Békalé. © GabonReview

 

Les première et quatrième de couverture de «Vers le soleil levant». © GabonReview

GabonReview : Comment se porte Éric Joël Békalé, Prix Sembene Ousmane du roman en 2018, président d’honneur de l’Union des écrivains du Gabon (Udeg) et diplomate, dans cet univers où le CTRI -Comité pour la transition et la restauration des institutions- a pris le pouvoir ? 

Éric Joël Békalé : Je me porte très très bien. Parce que lorsqu’on demande à quelqu’un comment est-ce qu’il se porte, je pense que la question est relative à la santé, d’abord. Bon, de ce côté-là, ça va très très bien.  Je me porte très bien. Et si maintenant pour mon état de santé, parce qu’ancien ministre du gouvernement qui a été déposé, se rapportant au CTRI, je dis aussi que je me porte très bien. C’est une nouvelle équipe qui est au pouvoir. Cette équipe est arrivée par ce qu’ils appellent le «coup de la libération». Cette nouvelle équipe aurait pu aussi arriver par une élection, élection volée ou élection légitime, peu importe. Mais dans tous les cas, on connaît l’histoire du Gabon. En tant que fonctionnaire, je m’adapte aux nouvelles autorités, l’essentiel étant ici d’œuvrer, de travailler pour le Gabon et pour les Gabonais. Mais cela devient difficile et compliqué lorsqu’on ne travaille plus pour ces deux-là. Sinon, je me porte très bien.

Alors, concernant les prix, on retient beaucoup le prix Sembene Ousmane du roman que j’ai reçu à Dakar en 2018. Mais, mon tout premier prix littéraire date de 2001. Je l’ai obtenu au Canada. C’était en poésie lors des quatrièmes Jeux de la Francophonie. Vous imaginez donc ! Tous les pays membres de la Francophonie avaient des candidats. Nous nous sommes retrouvés dans le dernier groupe, une bonne trentaine, après les différentes éliminatoires. Et j’étais sorti troisième. J’avais reçu un prix. J’ai reçu un autre prix en Italie, en 2010, toujours dans la poésie. Et encore un prix ici au Gabon, à l’époque où l’Union des écrivains gabonais (Udeg) organisait un prix pour les écrivains gabonais. J’ai reçu un deuxième prix avec le Parti démocratique gabonais (PDG, ancien parti au pouvoir, NDLR). J’ai reçu le prix Georges Rawiri, de la poésie, aussi.

Depuis votre dernière rentrée littéraire en décembre 2023, de l’eau a coulé sous le pont. Vous avez mis en librairie, un nouveau texte : «Vers le soleil levant». Un mot sur cet ouvrage.

Alors, comme son nom l’indique, c’est un recueil composé de plusieurs nouvelles. Je pense qu’il doit y en avoir sept. Ce sont des nouvelles avec des thématiques un peu diverses et éparses. Nous avons «Vers le soleil levant», c’est une vieille nouvelle écrite, je crois, en fin des années 90. Nous ne sommes pas encore dans les années 2000. Il part d’un souvenir que j’ai gardé de mon père. La seule et unique fois où mon père m’a amené au cinéma, c’était au cinéma Le Komo en 1979, pour aller suivre un film qui s’intitulait «Le cri de la liberté». Ce film parlait en fait de la vie de Steve Biko ; l’un des grands combattants de la liberté pour l’abolition de l’Apartheid, en Afrique du Sud. Voici une grande figure qu’on oublie souvent, parce qu’on ne parle que de Mandela. À partir de ce film que j’avais suivi, je pense que j’étais en classe de CM2 en 79, un peu après, quand je suis arrivé au lycée, j’ai commencé à écrire cette nouvelle, «Vers le soleil levant». Vous verrez bien qu’il s’agit de l’Afrique du Sud, du peuple noir symbolisé par cet oiseau qui n’attendra pas qu’on le libère, qui s’échappera de lui-même. Voilà. C’est une grosse métaphore, et il y a bien d’autres nouvelles encore. 

«Un rêve de victoire», «Ne tuez pas les éléphants», «Sortir en vampire»… Ces titres font visiblement référence à la vie du Gabon ou au Gabon. 

Oui, ils font référence à la vie au Gabon en particulier, en Afrique en général, et puis un peu plus largement au monde, parce qu’il est question ici de, disons, de nos rites et coutumes, de nos propres légendes, de nos mythes. Par exemple, «Sortir en vampire», c’est typiquement gabonais de par l’expression. C’est cette possibilité de donner une énergie, à cet individu, je dirais, initié à un certain rite de pouvoir sortir, de lui-même, pour effectuer un voyage astral. C’est-à-dire voyager «mystiquement». 

En écrivant ces textes, qu’est-ce qui vous anime ? L’envie de dire, de décrire, de dénoncer ou simplement de raconter une histoire. Parce qu’on sait que l’écrivain est un manieur de mots, un spécialiste du langage qui les use au gré de son imagination.

Ah non ! Il s’agit vraiment de raconter une histoire. De raconter une histoire qu’on souhaite belle, attractive, attrayante pour celui qui lit. Et maintenant, à chacun, à chaque lecteur, de tirer de cette histoire-là, disons, les enseignements qui y émanent en fonction du ressenti. Mais ce n’est pas le but premier. 

Parmi les thématiques abordées, on dirait que vous épousez une cause : celui de la préservation et de la protection de l’environnement. Un mot sur « Ne tuez pas les éléphants ». Un texte qui rappelle, à s’y méprendre, des actualités récentes dans certaines localités du pays.

C’est réellement le cas. Bien idiot celui qui n’épouserait pas, aujourd’hui, la cause environnementale, parce que notre planète est réellement menacée. Nous la vivons avec le réchauffement climatique. Les saisons ne sont plus respectées. En saison sèche, il pleut énormément ou bien il neige chez les autres. Il y a des inondations un peu partout dans le monde, des fleuves, des rivières, des mers qui sortent de leurs lits et qui ravagent des villes entières. De nombreux dégâts matériels, des morts. Ces fortes chaleurs qui tuent aussi et qui brûlent. Alors, on se demande bien où est-ce qu’on va. Mais tout cela est de la faute de l’homme. Et il est grand temps que nous prenions conscience que tout compte fait, nous pensons être des géants, des génies, des demi-dieux, mais en vérité, nous ne sommes rien du tout. Et lorsque nous disparaîtrons, quelques animaux seront encore là, quelques minéraux seront encore là. 

Il y a une forte présence des particularités lexicales du français au Gabon. «Les matitis»,  «sortir en vampire», «demander la route» … n’est-ce pas là une volonté manifeste de vulgariser «le parler-gabonais» qu’on nomme également «gabonisme» ?

Je suis un défenseur de la Francophonie, de l’usage de la langue française. Mais lorsque je le dis, c’est une langue française que je me suis appropriée. Une langue française qui est devenue mienne. Ce n’est plus une langue française, celle-là, qui nous a été imposée par la chicotte, par le fouet, par la torture du colon. C’est certainement arrivé par ce biais-là. Mais aujourd’hui, la langue française m’appartient, et j’en fais ce que je veux. Aller dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire, le Congo à côté, etc., c’est un français totalement différent de celui qu’on parle en France. Et je pense que c’est aussi le cas au Gabon. De plus en plus, on écoute ce qu’on appelle le parler Bangando. Dans mon quartier, j’écoute les jeunes parler, mais je vous assure, je ne comprends rien du tout. Pourtant, ils s’expriment en français. Et j’en suis tout à fait heureux. 

Maintenant, pour aller un peu plus loin, on vous sait très proche du romancier et dramaturge togolais de renom, Kangni Alem. Un mot sur cette relation ? 

J’écris depuis l’école primaire, mais je publie depuis 1993. À ce jour, ça fait 31 ans. Ma première publication, je l’ai faite, j’étais étudiant à Paris. Paris était très importante pour moi. Lorsque je suis étudiant à Paris, je fais la connaissance d’autres jeunes écrivains qui sont devenus mes amis, mes frères, avec qui on bringuait, on faisait les 400 coups. Parmi eux, vous avez les Alain Mabanckou, Kangni Alem, etc. Ce sont de très, très vieilles amitiés. Nous cheminons ensemble depuis très longtemps. Et évidemment, si je publie plutôt à l’étranger, ici en l’occurrence au Togo, c’est parce qu’il y a cette proximité-là entre individus. 

Vous savez, la publication d’un livre, ce n’est pas aussi évident que ça. Il y a le travail de l’auteur, mais il y a aussi le travail de la maison d’édition. Et lorsqu’on a la chance d’avoir des amis qui peuvent vous donner un coup de main, on n’en est qu’heureux. 

Éric Joël Békalé, l’un des écrivains gabonais les plus prolifiques, dans un café de Libreville, le 7 mai 2024. © GabonReview

N’y a-t-il pas de maison d’édition capable de faire ce travail au Gabon ?

Si, au Gabon, on peut faire pareil, sauf que je n’ai pas pris mes habitudes en la matière au Gabon. Au Gabon, nous avons des gens qui font de très bonnes choses. Je fais allusion aux éditions Ntsame, aux éditions Raponda, aux éditions Amaya qui, pour moi, sont les principales maisons d’édition librevilloises, donc gabonaises. Et puis, il y a d’autres qui sont là, qui essaient de se maintenir. Il y en a de nombreuses qui sont en train de naître, comme les éditions Abem de Pulchérie Abeme Nkoghe, la présidente de l’Udeg, mais qui ont encore du chemin à faire. 

Vers le soleil levant est en librairie depuis janvier 2024. Des projets en vue autour de ces textes ?

Ah oui, bon, le livre est déjà en librairie, pour commencer. Là, il se fait que nous sommes en fin d’année académique, scolaire, et souvent, les producteurs de livres, les écrivains, fonctionnent avec le calendrier scolaire parce que les élèves sont notre premier public. J’avais prévu d’organiser une conférence littéraire à la fin du mois de juin, mais la fin du mois de juin correspond à la période des examens, et pour d’autres, ils vont en vacances. Alors, je me réserve de faire une rentrée littéraire, la 3e édition, au mois d’octobre, à cette occasion, je présenterai les dernières publications, parce qu’il y a quand même quelques-unes, dont je n’ai pas fait la publicité, parce que je me trouvais au gouvernement. Ce n’est pas une raison, mais malheureusement, c’est ainsi que ça s’est passé. 

Éric Joël Békalé se retrouve dans un univers bruissant, où il y a des cliquetis de verres. Et pourtant vous êtes en train de travailler sur un nouveau projet. Comment est-ce possible ? Et surtout, pourquoi ce choix ?

En vérité, c’est dans cet univers que j’ai toujours travaillé. Je viens de vous le dire, j’ai été longtemps étudiant à Paris. Mais l’histoire de Paris, ce sont les cafés. Ce sont les terrasses de café. Le fameux Quartier latin dont on parle, le quartier des bibliothèques, des universités et des éditeurs, la grande Sorbonne, Saint-Michel, Le Boul’Mich, c’est là où on écrit, parce qu’en même temps, on débat avec d’autres intellectuels. C’est une culture, et je me plais à ça. J’adore les cafés, j’adore les bars, parce que ce sont des lieux inspirants. On rencontre beaucoup de gens, on écoute de nombreuses discussions, voilà, et puis, on boit quelques verres, et comme on le dit, la vérité est dans le vin, et avec le vin, l’inspiration arrive.

Pour suspendre, comment se porte la littérature gabonaise aujourd’hui ? 

Ah, oui, effectivement, la littérature gabonaise se porte vraiment très bien pour plusieurs raisons. Nous avons de plus en plus de publications. On n’a jamais eu autant de livres. Il y a tellement de livres, de nouveaux écrivains, qu’on ne sait plus qui est qui, parce qu’avant, nous étions un petit monde, au début des années 90. Je pense que si nous nous mettons à compter les écrivains, c’est-à-dire ceux qui ont publié, qui vivent au Gabon, et ceux qui vivent à l’extérieur, nous ne sommes pas moins de 300. Rapporté à la population gabonaise, ça fait vraiment beaucoup. Nous sommes au minimum 300 écrivains gabonais pour plus de 5000 livres d’auteurs gabonais. La littérature gabonaise se porte donc très bien. Aucune discussion à ce niveau.

Les maisons d’édition, il y en a de plus en plus. Les écrivains gabonais publient chez elles. Voici la deuxième raison. Quelques librairies sont en train de naître. Des librairies de Gabonais naissent ici et là. Ce sont des petites librairies, donc pas très visibles. Mais ça veut dire que l’industrie du livre est dynamique.

Maintenant, le prix ? Vous savez, on ne fabrique pas du papier au Gabon. Les machines, les rotatives et autres qui fabriquent les livres, il faut les entretenir, mains il faut déjà les acheter. Ce n’est pas évident. Ce qui fait que malheureusement, le coût du livre est encore très cher au Gabon. Mais s’il est cher, et ça, je souhaite le dire, c’est parce que les ministères chargés de mettre en œuvre les politiques publiques en termes d’éducation, en termes de promotion de la culture, en termes de production du livre, ne jouent pas leur rôle. Dans d’autres pays, le livre est subventionné. Parce que le livre participe à la formation du Gabonais. Vous voyez, par définition, un écrivain fait œuvre de service public. Puisque nous formons les Gabonais. Je vous mets au défi, dites-moi s’il est possible de faire l’école sans le livre. C’est impossible. Mais il faut bien que les gens les écrivent. Et si l’école existe, c’est parce que les livres existent. Vous voyez donc, à ce niveau-là, l’État a un rôle à jouer.

Ils sont parfaitement conscients de l’affaire, mais je suis convaincu qu’ils ne veulent rien faire. C’est peut-être à dessein, je ne sais pas. Je vous pose une autre question, en plus vous êtes dans la communication. Nous sommes en 2024, au mois de mai, pouvez-vous me citer le nom d’une seule bibliothèque publique dans notre pays. Vous connaissez les bibliothèques publiques ? Selon vous, où vont alors les enfants lorsqu’ils veulent lire et étudier, s’il n’y a pas de bibliothèque publique ? Comment forme-t-on la jeunesse gabonaise ? Il n’y a pas de bibliothèque publique. Ce ne sont pas tous les parents qui sont capables d’acheter des livres à leurs enfants. Un seul enfant, par an, devrait en principe consommer au moins 20 livres. Et si le livre, en plus, il est cher, et si vous avez 5 enfants, vous faites comment pour acheter ces livres ? Parce que c’est en bibliothèque que l’enfant va lire gratuitement. Vous voyez donc, le livre, la littérature gabonaise porte très bien. Maintenant, la promotion, la diffusion, l’État devrait faire un effort à ce niveau.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Eric Joël BEKALE dit :

    Très bien. Mais,reprendre ainsi l’enregistrement n’est pas forcément bien… Dans tous les cas, merci.

Poster un commentaire