Mays Mouissi : «Le Gabon reste un pays très peu démocratique»
A l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du Gabon, le 17 août, Mays Mouissi était l’invité de TV5 Monde. L’analyste économique a été amené à faire un bilan économique, politique et social du Gabon qui, 60 ans après les indépendances, reste notamment caractérisé par les inégalités sociales et une démocratie chancelante.
TV5 Monde : Comment décrirez-vous le Gabon d’aujourd’hui ?
Mays Mouissi : Le Gabon d’aujourd’hui est un pays qui peut regarder son passé avec parfois beaucoup de difficultés. C’est un pays qui, entre 1960 au moment de son indépendance et aujourd’hui, a vu sa population multiplier par quatre. La population est passée de 500 000 à 2 millions d’habitants, vivant essentiellement dans les centres urbains. Dans le même temps, la richesse nationale a été multipliée par 126, passant de 142 millions de dollars en 1960 à 18 milliards de dollars aujourd’hui. En d’autres termes, la richesse nationale a progressé 32 fois plus rapidement que la population. On peut penser que le Gabon a eu, depuis son indépendance, les moyens d’assurer son développement économique et le bien-être social de sa population. Malheureusement, lorsqu’on regarde le Gabon aujourd’hui, on a encore une grande partie des Gabonais qui vit dans un habitat précaire et insalubre. On a des quartiers riches mais aussi des quartiers pauvres comme le PK7, Kinguélé, etc., où la desserte en eau et en électricité pleine ville n’est toujours pas assurée. On a encore des salles de classe où plus de 100 enfants sont entassés… Et on peut se demander ce qu’a fait le Gabon de son argent pendant toute cette période d’indépendance.
Avez-vous une réponse à cette question ?
Je pense qu’il y a quatre réponses possibles. La situation du Gabon peut s’expliquer premièrement par une mauvaise redistribution des richesses de son sol, principalement le pétrole (…) Le Gabon est également l’un des principaux pays producteurs de manganèse aujourd’hui, l’un des principaux en Afrique, quasiment à égalité avec l’Afrique du Sud. Outre la mauvaise redistribution des richesses, il y a une sorte de reproduction des élites où depuis les indépendances, ce sont les mêmes groupes, familles et clans qui occupent les devant de la scène publique et économique. Et qui, quelque part, accaparent les richesses nationales et donc ne les redistribuent pas…
Faudrait-il une seconde indépendance du pays à cause de ces groupes et clans dont vous parlez ?
Pour être tout à fait honnête, je pense que vu les quartiers de Libreville, le fait que le Gabon ait aujourd’hui 60 ans, représente peu de choses pour les gens dans les quartiers. En réalité, ce qui intéresse ces gens, c’est leur qualité de vie, l’avenir qu’ils sont en capacité d’offrir à leur enfants ou pas, la possibilité qu’ils ont de se nourrir ou pas, de se vêtir et habiter dans des conditions dignes. Aujourd’hui en fait, après 60 ans d’indépendance alors qu’on est si peu nombreux au Gabon, ces conditions ne sont pas réunies. Ça part un peu de l’échec des générations précédentes et ça ouvre aussi les perspectives des 60 années suivantes pour lesquelles il faut savoir ce qu’on veut faire de ce pays, avec quelle classe politique, économique et quelle société civile, on veut construire le Gabon des années à venir.
Le Gabon est-il toujours un des piliers de la Françafrique ?
Il faut déjà définir ce qu’est la Françafrique. Est-ce que la Françafrique signifie des élites françaises qui s’enrichissent sur la base de la prédation des ressources qui devraient revenir aux Gabonais ? Il n’y a que les personnes qui disposent de ses ressources qui peuvent dire si on a encore des transferts de celles-ci, comme il est désormais prouvé qu’il y en a eu par le passé. Ce que j’observe par contre, c’est qu’il y a un recul économique de l’influence française. Certes les liens culturels restent assez forts entre le Gabon et la France, mais il y a quand même un recul de la relation que les Gabonais ont avec la France. Il fût un temps lorsque les Gabonais voyageaient par exemple, ils se tournaient quasi exclusivement vers la France alors qu’aujourd’hui, les gens sont beaucoup plus ouverts. En réalité, c’est sain pour le Gabon d’avoir d’autres partenaires qui viennent. Parce que très souvent, les Français ont fait du business dans notre pays en situation de monopole, parfois en situation d’oligopole, qui ne favorisait pas toujours notre économie.
Avoir la Chine comme partenaire est-ce bien pour l’économie gabonaise ?
Ce qui est bien, c’est diversifier les partenaires. Ce qui est encore mieux, c’est faire en sorte qu’au sein de la République gabonaise, des citoyens puissent maitriser une partie du tissu économique de leur pays. En réalité, on a quasiment pas d’exemple de pays qui se sont développés uniquement et principalement à partir d’une économie totalement extravertie, détenue par des puissances extérieures. Il faut créer une classe de Gabonais entrepreneurs, soutenir ceux qui sont déjà dans ce marché, pour faire en sorte que les Gabonais d’abord, maitrisent leur économie, leur pays. Et, travailler sur les transferts de compétence, que ce soit avec la Chine, l’Inde et tous les autres pays qu’on peut citer.
Quid du plan de relance de l’économie lancé par le président Ali Bongo et qui doit s’achever cette année ?
Le plan de relance de l’économie a été un échec. C’est un plan qui de mémoire, visait 11 objectifs. Sur ces objectifs, il n’y a que deux qui ont été atteints. Après, les gens qui aiment bien faire l’exégèse de la chose politique, trouveront des mots pour dire que ce plan a été formidable alors qu’en réalité, cela a été un échec. Et à la suite du Covid-19, le Gabon va mettre sur les rails un deuxième plan de relance de l’économie, sans avoir fait un bilan du précédent, oubliant parfois que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce que je pense, c’est qu’il faut réfléchir prospectivement pour le pays, construire un avenir en allant sur des bases saines et apaisées dans la Nation.
Une plus grande démocratisation peut-elle favoriser l’économie du Gabon ?
Quoiqu’on en dise, le Gabon reste un pays très peu démocratique. Toutes les élections depuis 1990 sont contestées. Les institutions de la République même, à l’instar de la présidence ou la Cour constitutionnelle, sont souvent contestées dans leurs décisions. Il faut démocratiser pour redonner un peu d’espérance à la population, en faisant notamment en sorte que les gens pensent qu’ils ont le choix et la maitrise du destin de leur pays.
Propos retranscris par Stevie Mounombou
5 Commentaires
Très PEU ou même PAS DU TOUT.
Tout ira bien une fois les Bongo-Valentin dehors.
Pourquoi on ne nous laisse pas vivre au moins une fois une vraie alternance dans ce pays ? Qu’on laisse aussi l’opposition Gabonaise qui gagne toujours les élections présidentielles s’exprimer svp. C’est ça la vraie démocratie dans un pays. Or cette démocratie est totalement étouffée par ke régime sanguinaire des Bongo.
Il faudrait une débongoïsation du pays par tous les moyens pour que le Gabon se mette sur la route du développement.
Mr Mouissi est un analyste économique. Il ne lui aura pas échappé que sans souveraineté monétaire, tout développement est impossible et sans souveraineté politique, toute démocratie est impossible.
La France est peut être en recul sur le plan économique ( mais j’en doute car elle aurait déjà fermé ses multinationales) mais elle reste omniprésente sur le plan monétaire et politique. Cette omniprésence est l’héritage continuel de la FrançAfrique.
Le Gabon n’a jamais été indépendant, il n’a jamais été souverain. Nous avons derrière nous 60 ans de dépendance. Que dire des 60 prochaines années! Stop nous ne voulons plus d’une politique ou d’une économique décidée par la cellule africaine de l’Élysée. Stop à la FrançAfrique.
Bongo lui même l’avait dit dans son premier discours de président(la France nous a donné l’indépendance) il dit bien donné. Ce qui veut dire que, cette emprise française sur le Gabon, ne quittera jamais. Regardons les pays qui ce sont battus pour obtenir leurs indépendance en décident eux même de leurs eux même de leurs pleins gré, comment leurs colonisateurs reste distant. Le cas du Ghana, Afrique du Sud et bien d’autres. Ce qui viens à comprendre que nous n’avons jamais été indépendant. Pour koi fêtée cette indépendance qui nous a été donné ? et pas mérité de nous même,en le décident de gré où de force. La présence française est toujours présente au gabon à 95%. Nous avons le bois c’est sont les française qui bénéficie avec CBG à port gentil, Perenco avec le pétrole c’est aussi la France, avec comilog pour le manganèse. De celà nous n’avons que des marionnettes qui viennes au pouvoir perpétuer le cycle du semblant d’indépendance, qui n’a rien bénéficié au peuple gabonaise, depuis 60 ans.En 60 ans,c’est comme si nous étions dans les années 70 et 80. Ce qui nous fait savoir que nous sommes en 2020.. donc 60 ans passé, cest l’évolution des autres pays Africains, et ce que nous voyons chez les autres qui nous rappelle que le Gabon vie toujours dans le passée. Regrettable de faire des bilans négatifs chaque 17 Août.