Dans la foulée de la publication du communiqué du sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture (SPT) après sa deuxième visite au Gabon, le ministre de la Justice s’est entretenu avec la presse. Répondant à diverses questions liées à l’univers carcéral, le Garde des Sceaux a assuré que le Gabon a accepté que le SPT se rende dans le pays pour faire son propre constat. «Nous n’avons rien à cacher au Gabon et aux yeux du monde», a assuré Paul-Marie Gondjout. Ci-dessous l’intégralité de l’entretien à laquelle participait GabonReview, le 20 mars 2024.

Paul-Marie Gondjout s’exprimant, le 20 mars 2024. © GabonReview

 

Journalistes : Monsieur le Ministre, un commentaire après la deuxième visite sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture (SPT) au Gabon ?

Paul-Marie Gondjout : Le sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture a conclu sa deuxième visite au Gabon. Une visite qui a permis d’aller dans 18 centres de privation de liberté (prisons, commissariats, hôpital psychiatrique de Melen) pour voir dans quelles conditions les personnes privées de liberté sont détenues. L’un des constats est qu’il y a une surpopulation carcérale. À cela nous ne sommes pas surpris parce que depuis que nous avons pris cette charge, nous avons souvent parlé de surpopulation carcérale et c’est un problème que nous avons pris à bras-le-corps. Le président de la Transition avait décidé à la fin de l’année 2023 de gracier 1 000 prisonniers. Ça rentrait dans le cadre d’alléger la surpopulation carcérale, mais d’autres actions sont prévues. Le problème de la surpopulation carcérale, c’est surtout celui de prévenus. C’est-à-dire des personnes incarcérées depuis plusieurs années qui sont en attente de jugement, car les dossiers ne sont toujours pas passés en jugement. Ça nous pose un problème. Nous avons eu la grève des magistrats pendant 10 mois, mais ce n’est pas la cause la plus importante. Les placements en prison sont souvent beaucoup plus importants que ce qui devrait être. Donc s’il n’y a pas de session criminelle, les personnes sont gardées en prison. Ça fait qu’il y ait des quartiers surpeuplés. Ce n’est pas digne d’un pays comme le Gabon. Évidemment nous avons accepté que le sous-comité de la torture vienne au Gabon et le constate. Nous n’avons rien à cacher au Gabon et aux yeux du monde.

La prison centrale de Libreville. © D.R.

Quel est l’état des lieux de la population carcérale ?

De manière générale, nous sommes entre 5 500 et 5 700 détenus sur l’ensemble des prisons du Gabon. Libreville compte entre 65 et 70% de ces détenus. Éventuellement plus de 3 000 prisonniers à Libreville.

Quid de la mesure du président de la Transition sur la grâce présidentielle ?

Elle a été mise en œuvre. Il y un décret qui fixe les conditions de cette grâce présidentielle, car le président s’il gracie, cela doit être encadré par la loi. Quelqu’un qui a commis un homicide ne peut théoriquement pas bénéficier de la grâce présidentielle. Du moins, il pourra bénéficier d’une remise de peine, mais pas d’une sortie de prison. On prend surtout des personnes qui ont commis des fautes moins lourdes pour sortir de prison. Il y a par exemple eu le discours du président à Ndendé sur le conflit homme-faune. Il demandait que les personnes incarcérées dans ce cadre soient sorties de prison. Le ministère de la Justice a fait un communiqué pour préciser les propos du président de la République qui parlait d’un certain nombre de personnes, mais pas des braconniers qui tuent les éléphants pour la vente de l’ivoire. Ceux-là, la loi est claire : ils ne peuvent pas bénéficier de la grâce présidentielle.

1 000 personnes sont donc dehors ?

Non. Dans cette grâce, il y a ceux qui bénéficient d’une remise de peine et ceux qui vont être mis dehors. Mais il y a toute une procédure. Le décret du président est signé, la liste des condamnés est prête. Dans les jours à venir vous les connaîtrez.

Avez-vous une stratégie pour respecter la dignité de ces prisonniers qui seront libérés ?

La première chose c’est déjà de recouvrer sa liberté. Certains sont sortis de prison dernièrement parce qu’ils avaient été emprisonnés de manière tout à fait injuste. Ensuite, il faut pouvoir documenter les raisons pour lesquelles la personne est restée en prison plus longtemps que la normale. Pour nous, c’est déjà le fait que reconnaître qu’au niveau de la Justice il y a des dysfonctionnements que nous pouvons régler.

Paul-Marie Gondjout. © GabonReview

Après cette visite du sous-comité, à quoi s’attendre à court, moyen et long terme dans le cadre de l’amélioration des conditions de détention au Gabon ?

En dehors de la grâce présidentielle, il y a une commission ad hoc qui a été mise en place au sein du ministère. Elle travaille avec les juridictions et les services pénitentiaires pour voir le point de toutes les personnes incarcérées qui doivent normalement être dehors. Celles qui ne doivent plus être en prison parce qu’elles ont dépassé le temps légal. Mais nous avons pas mal de dysfonctionnements dans les services de la Justice. Ils vont de la prison aux juridictions en passant par le ministère. Ce sont des problèmes que nous devons régler, car s’il y a une lenteur dans le cadre des procédures judiciaires, c’est parce que cette lenteur soit est due à la loi, soit aux comportements des personnes qui ont la charge d’administrer la loi. Ce sont ces questions que nous sommes en train de régler. La commission ad hoc va rendre ses résultats très bientôt. Sur le moyen et long terme, c’est la construction des nouvelles prisons pour augmenter la capacité. Mais ce n’est pas parce qu’on aura construit de nouvelles prisons qu’il n’y aura pas de surpopulation carcérale. Il faut régler le problème de ceux qui sont placés sous mandat de dépôt trop souvent alors qu’ils peuvent faire autre chose que d’aller en prison. Au Gabon, la loi existe sur les travaux d’intérêt général, donc il faut les y emmener. Il y a aussi la composition pénale. C’est-à-dire, avant d’aller en prison la possibilité de faire une espèce de négociation plutôt que d’aller en prison. Ce sont des choses que la loi permet. Faire comprendre aux cabinets d’instruction et tous les parquets qu’il y a d’autres possibilités que de mettre les gens en prison.

En matière de détention préventive, les délais sont souvent trop longs. Qu’allez-vous faire ?

La commission ad hoc mise en place travaille sur cette question. Nous allons étudier au cas par cas. Il y a des détentions longues à cause des pertes de dossiers ce n’est pas une bonne chose ; il y a des personnes en prison parce qu’il n’y a pas eu de session criminelle et les personnes ne sont pas passées en jugement. Nous allons traiter chaque cas et faire en sorte que dans les plus brefs délais, le nombre de personnes qui doivent bénéficier d’une relaxe en bénéficient parce que le temps de la détention est largement dépassé. Dans d’autres pays, ce sont des procès qui sont faits contre l’État. Il faudra l’éviter au Gabon parce que le Gabon est suffisamment condamné pour beaucoup de choses.

N’y a-t-il pas nécessité d’envisager la construction d’un autre palais de justice dans le Grand Libreville ?

Le Grand Libreville est effectivement grand. Il y a le palais de justice de Ntoum que je n’ai pas encore visité et qui est en voie de finition. Mais, il ne suffit pas d’avoir des palais de justice. Il faut avoir des magistrats formés et des moyens mis à disposition de la justice. Les sessions criminelles par exemple, coûtent beaucoup d’argent et quand vous avez un budget extrêmement limité, vous comprenez qu’on ne peut pas en faire. Nous devons sensibiliser au niveau du gouvernement pour qu’il y ait plus de moyens pour que les sessions se tiennent. Mais surtout avoir des palais plus fonctionnels. J’ai fait le tour à Port-Gentil, Lambaréné, Franceville, Oyem : ce sont des tribunaux et cours qui ne ressemblent plus à ce qu’ils doivent être. Il y a nécessité de les réhabiliter, de construire de nouvelles plus grandes parce que les affaires augmentent. Ce sont des tribunaux construits dans les années 70 et aujourd’hui ils ne répondent plus aux normes.

La prison centrale d’Oyem. © D.R.

Avez-vous les moyens de construire de nouvelles prisons ?

La loi de finances 2024 accorde à la Sécurité pénitentiaire une ligne budgétaire de 3 milliards de francs CFA pour la construction de la prison de la Pleine Ayémé à Nkoltang. On ne fait pas une prison avec 3 milliards. 3 milliards c’est largement insuffisant pour faire une prison. Ce que nous allons, faire (Sécurité pénitentiaire/ministère de la Justice) c’est de pouvoir utiliser cette ligne pour des études qui vont nous permettre de commencer les constructions dès 2025. Mais aussi, trouver des financements. Qu’ils soient locaux ou extérieurs, nous allons tout faire pour que cette prison soit construite : c’est dans l’intérêt de la République gabonaise.

En termes de partenariat avec le sous-comité, qu’est-ce qui est prévu pour prendre en compte les structures de l’arrière-pays ?

C’est déjà, respecter les conventions ratifiées par le Gabon en matière de lutte contre les tortures et les comportements dégradants. Lorsque le sous-comité était à Libreville, ils ont rencontré dans une structure un citoyen qui avait une fracture du pied. Cette personne devait être prise en charge. Le lendemain ils sont repartis et ont constaté que la personne n’avait toujours pas été prise en charge. Il y a certainement là un dysfonctionnement. La loi est là pour tout le monde. Il faut permettre à tout le monde d’être traité de manière décente. Qu’à cela ne tienne, nous n’avons pas à rougir au Gabon de la manière dont nous traitons nos justiciables parce que dans d’autres pays c’est bien pire. Par contre, nous devons prendre à bras-le-corps ce problème de manière à ce que les gens soient traités conformément à la loi, aux prescriptions des Droits de l’Homme.

Comment le Gabonais lambda devrait-il prendre cet avis du sous-comité ?

Il faut savoir que nous ne cachons rien. Aussitôt le sous-comité est passé au Gabon, aussitôt un rapport a été fait en Conseil des ministres et le sous-comité lui-même a fait un communiqué. Un rapport va être publié, le Gabon publiera de son côté ce rapport. Nous ne devons rien cacher parce qu’il en va de la crédibilité de notre pays sur le plan international. Nous avons eu un changement de régime grâce au coup de la liberté fait par le CTRI et les Gabonais attendent un changement. Ce changement doit pouvoir s’opérer déjà à ce niveau. Il faut aussi savoir que ceux qui ont des comportements adoptés pendant plusieurs années ne changeront pas en un jour. Il faudra être patient et surtout déterminé sur la volonté de faire changer les choses.

Le Conseil des ministres du 20 mars a adopté le projet de loi modifiant le Code de procédure pénale. Qu’est-ce qui va concrètement changer ?

Je parlais tantôt des conventions ratifiées par que le Gabon. Dans ce Code de procédure pénale, il y a effectivement des dispositions qui nous emmènent à tenir compte de ces conventions que le Gabon a signées et ratifiées. Il y a aussi d’autres points assez techniques, mais c’est pour de manière générale, prendre en compte ces dispositions.

© GabonReview

Quelle relation votre ministère entretient-il avec l’association SOS Prisonniers ?

Nous n’avons pas de relation particulière. Dans le cadre des visites en prison, c’est réglementé. Généralement on visite des prisonniers parce qu’il y a un lien de parenté ou un lien professionnel (avocat/client). Pour les associations, elles doivent recevoir du ministère de la Justice des autorisations et on ne peut pas le faire pour toutes les associations. Dans d’autres pays, on choisit les personnes et généralement c’est pour aider à la réinsertion des prisonniers une fois sortie, mais ce n’est pas pour se mettre en opposition avec les services pénitentiaires. Il y a des organes pour ça. Au sein du ministère de la Justice, il y a l’Inspection générale des services judiciaires pour les juridictions, l’Inspection générale des services pénitentiaires pour les services pénitentiaires. Ceux-là sont les organes habilités à faire ce travail. Nous n’avons pas de problème avec cette association.

Un mot au terme de cet entretien ?

Nous voulons voir et toucher du doigt les vrais problèmes de ce pays en termes de justice et à notre niveau commencer à trouver des solutions à ces problèmes. Ce sont des situations héritées de plusieurs dizaines d’années et nous allons nous battre pour commencer à les changer une à une. La dignité humaine, la condition humaine, est la première chose à respecter si on veut changer notre pays. Ça le vaut pour la Justice comme pour d’autres secteurs. Nous devons y travailler. Ce n’est pas la chose la plus simple, mais il faut commencer quelque part. Nous avons fait un symposium sur les questions d’administration de la Justice. Après ce symposium il y a eu une commission mise en place pour traduire en politiques publiques et en actes les recommandations, je recevrai le 26 mars les conclusions des travaux de cette commission. Il y a un Code de procédure pénale adopté en Conseil des ministres et il y a d’autres textes qui vont arriver pour améliorer la gestion de l’administration de la Justice. Je demande que chacun de nous, nous puissions avoir confiance en nous-mêmes, avoir à l’esprit que tous les Gabonais ensemble devraient changer ce pays.

Propos recueillis par Alix-Ida Mussavu Kombila

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Jean Jacques dit :

    Ton maître et sa bande sont dans le viseur du TPI.

  2. Rembourakinda dit :

    J’ai honte, c’est parler pour ne rien dire. Un conclave ve se tenir le mois prochain et d’éminents compatriotes croupissent dans les geôles de la dictature Bongo PDG. Ils doivent tous sortir de prison. Kelly Ondo, Tony Ondo MBA, Ike Ngouonni Oyouomi, et les autres. Libérez les tous un point c ‘est tout.

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