Prévue pour cette année 2024, la 4e édition des Assises du numérique se tiendra plutôt en 2025. Parrainée par le ministère de l’Économie numérique avec pour promoteur le cabinet français Manstrict consulting, l’objectif est de favoriser les échanges sur les tendances, défis et opportunités liés à la transformation numérique tout en formulant des recommandations. Dans cet entretien, David Mbouroukounda, le président fondateur de Manstrict Consulting, apporte des précisions. S’il se plaint que la digitalisation de l’administration publique n’est pas suffisamment présentée et vulgarisée malgré les différents efforts et les contributions, il brosse un portrait optimiste du numérique au Gabon et rappelle aux nouveaux dirigeants du numérique de se démarquer via la collaboration l’échange et le partage. Ci-dessous l’intégralité de notre entretien.

Consultant international basé à Paris, David Mbouroukounda est architecte urbaniste, expert (Gouvernance, Réseau, Système, Telecom et Cybersécurité). Depuis plus de 24 ans il intervient en Europe, Afrique et en Amérique. © D.R.

 

Titulaire d’un MBA de l’école des Ponts et chaussées à Paris et de la Fox school of business à Philadelphie, d’une maitrise chez Telecom SudParis et d’un master spécialisé en Cybersécurité & Forensic de l’Université technologie de Troyes, il détient plusieurs certifications techniques internationales. © D.R.

GabonReview : Pourquoi reporter cette conférence ?

David Mbouroukounda : Cela fait maintenant six mois que nous n’avons pas eu le retour de l’exécutif suite à notre rapport qui a été présenté au ministre des Technologies de l’information, en présence des administrations sous tutelle (ARCEP, AGEOS, ANINF, SING, DGPEN) à Libreville le 28 octobre 2023.  De plus en lisant le Plan national de développement pour la Transition (PNDT), il n’y a rien de nouveau concernant l’économie numérique. En six ans nous avons fait le point et diagnostiqué l’existant. Nous avons partagé nos expériences, nous avons présenté les solutions à forte valeur ajoutée et enfin nous avons fourni une cinquantaine de recommandations. En clair il est difficile pour nous d’organiser la conférence des assises si nous n’avons pas de cap.

En six ans les Assises du numérique ont produit trois rapports qui ont été mis à disposition. Que veut faire l’exécutif, il a probablement le diagnostic le plus juste. Des études sont-elles toujours nécessaires ou est-ce tout simplement un problème de moyen financier en cours de résolution ?

Déjà nous n’avons pas besoin d’argent pour se mettre en atelier et évaluer ce qui nous manque. Nous devons sortir d’une situation attentiste, nous devons échanger, avancer vers des solutions concrètes et pragmatiques. L’impact du numérique s’applique à tous les secteurs : Mines, Infrastructures, Gouvernance, Société, Santé, Sécurité et surtout sur l’économie de notre pays. Comment passer de centre de coûts à centre de valeur ? On s’accorde à parler de réalisation et de recette, personne ne parle de dépenses.

Tout ne semble pas négatif. Nous voyons la mise en place du NIP (Numéro d’identification personnel), qui permettra d’avoir à la Carte nationale d’identité électronique.

En effet. Le NIP est une excellente initiative pour le Gabon notamment dans son applicabilité et sa traçabilité transverse tant que nous sortons d’une approche verticale. Je m’explique : si l’objectif du NIP est d’être obligatoire dans toutes les démarches administratives cela pourrait être un frein à l’inclusion numérique. Nous avons vu par voie de presse, le parcours du fonctionnaire, un programme qui a pour but d’accompagner le gouvernement dans la mise en place de la feuille de route axée sur la gestion des données administratives. Prenons le cas de la donnée, sa valeur n’est que notionnelle. Plusieurs étapes sont nécessaires pour extraire la valeur de la donnée. Pour cela un modèle d’affaires doit être défini et doit intégrer pleinement l’extraction de la valeur des données dans sa proposition de valeur. Où sont ces données ? Où est cette feuille de route ? Ce genre de programme doit s’insérer dans une démarche d’urbanisation commune, une maitrise des capacités de chaque ministère, l’amélioration du cadre institutionnel, la maitrise de notre existant, la mise en place de notre cyberespace et de notre souveraineté numérique. Il est important d’arrêter de se précipiter sur la technique et les effets d’annonce via des programmes jolis sur le papier et qui flattent l’exécutif. Il est important de s’appuyer sur des comités consultatifs à très forte expertise.

Il y a pourtant des programmes en cours de développement en ce moment : des projets de transformation numérique, la mise en place de eGabon, Digital Gabon, la nouvelle version de l’eTax. L’incubateur SING est très actif également.

Vous avez raison, mais plusieurs projets étaient déjà en cours et nous devons faire mieux. Revenons sur les fonctionnaires, nous avons évoqué dans le rapport des Assises la révision des articles 492 à 500 du Code pénal. Ces articles encadrent l’utilisation des données souveraines, cela n’est pas consigné dans le contrat de travail des fonctionnaires actuellement.  Nous avons également recommandé le droit à la souveraineté sur les données qui permettrait de booster l’économie via plusieurs leviers comme le développement d’actifs numériques localement et l’éclosion d’un écosystème 100% Made in Gabon. Nous avons précisé qu’il est nécessaire de mettre en place un cadre réglementaire et un contrôle sur les opérateurs critiques. Ainsi il faut recenser et classer les Opérateurs de services essentiels (OSE) et les Opérateurs d’importance vitale (OIV). Pour cela ces opérateurs suivront les règles de sécurité imposées par le gouvernement et ils informeront sans délai le gouvernement des incidents affectant le fonctionnement ou la sécurité des systèmes d’information. Mais surtout et enfin ils devront soumettre leurs systèmes d’information à des contrôles destinés à vérifier le niveau de sécurité et le respect des règles de sécurité sur demande du gouvernement.

En octobre 2023, David Mbouroukounda présentait puis remettait au ministre des NTIC, Laurence Ndong, le rapport des assises du numérique en présence des acteurs publiques du numérique. © D.R.

Que pensez-vous de la stratégie numérique présentée dans le Plan national de développement de la Transition (PNDT) ?

La stratégie numérique présentée dans le PNDT mentionne l’optimisation des infrastructures numériques. Attention, optimiser une infrastructure ne veut pas dire qu’on la valorise systématiquement. Si ces optimisations augmentent nos coûts d’exploitation et donc nos dépenses et que nous n’en tirons pas profit, ce n’est nullement de l’économie numérique. Il est mentionné également la mise en place d’un CSIRT/SOC (Security operation center) sur quelle base ? Où sont les textes et le cadre pour le gérer ? Que voulons-nous sécuriser : nos actifs numériques ? Notre maillon le plus faible aujourd’hui est l’Humain notamment via l’ingénierie sociale, terme qui désigne l’art de manipuler les individus pour les amener à divulguer des informations sensibles ou à effectuer certaines actions susceptibles de compromettre leur sécurité. En 2023 l’hameçonnage représentait 80% des attaques en ingénierie sociale, plus de 70% des violations de données sont imputables à l’ingénierie sociale. Le PNDT évoque également la construction de deux Datacenters. Nous avons donné notre avis et l’approche la plus raisonnable pour mettre en place des infrastructures pérennes, accessibles en un temps record notamment en commençant par le Edge computing (informatique en périphérie) qui représentera en 2025 plus de 75% de la consommation de données au détriment des Cloud computing en Datacenters.

Que préconisez-vous ?

Depuis 2018 nous demandons au Gabon les schémas directeurs du numérique, nous demandons la cartographie numérique et la stratégie d’urbanisation numérique nationale. Aujourd’hui plus que jamais nous en avons besoin, les DCSI et DSI ont confirmé ces besoins à la dernière conférence.  Les nouveaux dirigeants du numérique doivent prendre la mesure et avoir le recul de présenter les feuilles de route stratégiques et opérationnelles comme il est fait partout dans le monde. C’est bien pour le pays, c’est bien pour son écosystème numérique, cela envoie des signaux forts aux investisseurs et surtout cela apporte des points de PIB à notre économie à travers l’employabilité dans les secteurs qui ont des opportunités de croissance. Si nos dirigeants sont en difficultés, il faut qu’ils élargissent le débat et qu’ils mettent en place des ateliers d’échanges. Le Gabon est aussi notre pays et je ne vois pas pourquoi nous serons en marge sauf si c’est voulu.

 
GR
 

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