Ebamangoye Mbondobari, enseignant-chercheur gabonais expatrié, décortique les coulisses de la récente élection gabonaise, marquée par une opacité et des manigances inédites. Plongeant dans l’histoire politique du Gabon et analysant les générations au pouvoir, il dresse, dans cette tribune libre, un portrait sans concession d’un régime qui, à ses yeux, est marqué par l’autoritarisme, la peur de la compétition et une déconnexion de la réalité. Dans ce texte poignant, il souligne comment des décennies de mainmise politique ont culminé dans l’une des élections les plus controversées de l’histoire du pays.

Liesse dans les rues de Libreville, le 30 août 2023. © Betiness Mackosso/AP

 

Ebamangoye Mbondobari, enseignant-chercheur. © D.R.

Les plus optimistes avaient prévu une élection plus ou moins opaque, plus ou moins correcte, plus ou moins impartiale, plus ou moins pacifique, tant le gouvernement gabonais et le PDG au pouvoir nous avaient habitué à des formes de fraudes parmi les plus insolites. A l’arrivée, il s’agira de l’une des élections les moins démocratiques de l’histoire du Gabon qui aura mis en concurrence deux hommes au profil très différents : Ali Bongo Ondimba, un héritier qui continuait l’œuvre de son père commencée depuis une cinquantaine d’années, et Albert Ondo Ossa, un universitaire de carrière, décidé de mettre fin à un demi-siècle d’un des régimes les plus corrompus d’Afrique. Le pari était risqué et l’issue hypothétique. Les nouvelles qui nous parvenaient de Libreville venaient conforter le point de vue des sceptiques et confirmer les scénarios les plus funestes. Pendant plus de 72 heures, le Gabon est resté coupé du monde : le réseau internet coupé, les frontières terrestres et maritimes fermées, l’armée déployée sur l’ensemble du territoire, la diffusion de RFI et France 24 provisoirement suspendue, tout comme la chaine TV5 Monde. Le dépouillement n’avait pas commencé que l’opposant Albert Ondo Ossa et la coalition Alternance 2023 pointaient déjà de nombreuses fraudes documentées par des vidéos.

Pourquoi de telles mesures sécuritaires ? Pourquoi se méfiait-on des observateurs indépendants et de la presse internationale ? Comment le PDG au pouvoir était-il venu à craindre le verdict des urnes d’une élection qu’une administration pourtant aux ordres organisait ? N’était-il pas raisonnable d’espérer qu’avec la crise post-électorale de 2016, les réformes constitutionnelles et la nouvelle loi électorale taillée sur mesure pour le Candidat Ali Bongo Ondimba, cette élection se solderait par une victoire sans contestation du candidat du Parti Démocratique Gabonais ? Qu’est-ce qui peut expliquer cette paranoïa ? Il y a certainement plusieurs raisons.

Pour comprendre la situation actuelle que nous avons vécue la semaine dernière, il est nécessaire se replonger dans l’histoire politique du Gabon post-conférence nationale, d’une part. D’autre part, il est important de considérer le profil et la trajectoire des hommes et des femmes qu’il soit du PDG, de l’Ajev ou de la fameuse Young Team.

La violence politique.

Nous pensions que nous savions déjà tout sur les stratégies de conservation du pouvoir du Parti Démocratique Gabonais. Il nous est très facile d’évoquer des images surréalistes et des souvenirs affligeants des précédentes élections présidentielles depuis 1993 : les meetings et la communication de masse, l’achat des consciences, le clientélisme, l’intimidation, la récupération. Certains symboles visibles de la violence reviennent immédiatement à l’esprit, des images de la répression de 2009 et de 2016. Mais on n’aurait jamais imaginé que cette « dictature fréquentable » irait si loin et de manière si radicale dans la confiscation des libertés fondamentales. Les nombreuses révisions du code électoral et la suppression des centres de vote dans une dizaine de pays participaient sans nul doute de la même rationalité.

Le régime autocratique gabonais s’est toujours représenté lui-même de manière plastique : insignes du parti PDG, manifestations de jeunes et des femmes en pagne aux emblèmes du Parti, défilés militaires, etc. Le PDG se mettait en scène à l’aide de rituels, de slogans, d’étalage de la richesse de ses cadres. Non seulement les symboles visibles, mais aussi le pouvoir inquiétant et invisible de la surveillance des agents des services spéciaux très présents dans le quotidien des Gabonais, tenaient tous les contestataires en respect. On ne chuchotait pas seulement à propos des agents de ces polices politiques ; on craignait surtout de tomber dans leur collimateur. Or le pire dans le cas du Gabon, c’est qu’on était arrivé depuis l’accession au pouvoir d’Ali Bongo Ondimba à une forme de banalité de la violence qui faisait que les atteintes aux libertés fondamentales, les violations des droits de l’Homme, les injustices sociales, l’absence d’une justice impartiale faisaient finalement partie de la norme. L’omniprésence et l’emprise du Parti-Etat dans l’administration et dans le quotidien et la visibilité du régime autoritaire signifiaient aussi que l’on devait s’en accommoder ; qu’au fil des années tout était devenu plus ou moins « normal« . Lorsque l’on s’est habitué à certains modes et normes de vie, parce que l’on a grandi avec eux ou que l’on a vécu longtemps sous certaines conditions, ces modes et normes de vie particuliers semblent « normaux« , tout sauf exceptionnels. Le mal devient banal voire normal. Comment en est-on arrivé là ?

Des Rénovateurs et de la Young Team

Plus que la génération des indépendances, la génération au pouvoir au Gabon depuis au moins deux décennies, celle qui a grandi sous le parti unique est celle qui a reçu la socialisation la moins parfaite mais aussi la moins ancrée dans les valeurs démocratiques. En cela, elle s’oppose à la génération post-parti unique qui lui conteste sa légitimité. La génération au pouvoir qui naît à la fin des années 1950 largement inféodé au PDG à partir de la fin des années 1970 n’a pas réussi à intégrer les valeurs des sociétés libérales axées sur la compétitivité, le culte de l’excellence et de la compétence. Si bien que les hommes et les femmes issus de cette génération ne savent pas souvent où est le Bien ou le Mal. Dans leur enfance et leur jeunesse, ils n’ont connu que la pression et l’idéologie du parti unique. Cette génération qui forme la classe moyenne et l’essentiel des cadres du PDG aujourd’hui a été victime d’une sorte d’hétéroconditionnement, où l’essentiel est de faire comme les autres. Les autres étant les membres du Parti ou les membres de la fratrie. Surtout ne pas sortir des rangs. Cela était particulièrement perceptible dans le Haut-Ogooué où être opposant vous exposait à des mesures de rétorsions d’une violence inouïe.

Observez que cette génération qui est la plus laxiste est celle qui a littéralement ruiné le pays par des détournement massif de deniers publics ; c’est elle qui a voté les lois les plus permissives et mis à mal les traditions bantoues. Elle a d’une manière ou une autre subi ou profité de la déliquescence du système. Elle fait partie de cette génération pour laquelle le clientélisme, les passe-droits, les obédiences sont une voie de réussite parmi tant d’autres, sinon la Voie royale. On ne passe pas un concours, on s’inscrit sur une liste, on ne se soumet pas à une discipline, on choisit les voies de contournement. C’est dire combien cette génération est réfractaire à toute forme de compétition préférant souvent la nomination et la promotion canapée à la compétition. On a assisté parfois à une sorte de revanche des cancres. Voilà ce qui rassurait les joueurs d’accordéons, ces virtuoses qui ne rêvent pas aux premiers bancs pour reprendre une rhétorique bien connue des amphithéâtres de nos universités.

Le refus de l’autorité, les mauvais résultats scolaires ou universitaires, n’ont pas empêché quelques élus de cette génération d’occuper des postes importants dans l’administration et dans l’armée, d’être ministre et même premier ministre. Succédant ou côtoyant la génération qui a mis en place ce système, dont quelques spécimens peinaient jusqu’à présent à s’effacer de l’espace public (Habermas), elle a été à la bonne école. Anciens membres de l’UJPDG ou des différentes associations proches du pouvoir, cette génération qui a souvent bénéficié des largesses de l’Etat, a restreint l’accès aux bourses d’études, fermés les campus et les restaurants universitaires. C’est aussi elle qui est en grande partie responsable de la déliquescence du système scolaire et universitaire. Elle n’a pas su préserver les quelques acquis des Pères fondateurs. Les héritiers des Rénovateurs qui composent en grande partie la galaxie autour de la fameuse Young Team est surtout marquée par une forme de solipsisme individualiste ; mieux elle refuse toute forme de critique et d’examen de conscience. Logiquement, c’est elle qui avait le plus peur de la compétition et des élections d’août 2023 parce qu’elle risquait de perdre ses privilèges. les Rénovateurs d’hier et leurs héritiers avaient pour eux-mêmes et pour la Nation inventé d’autres formes de compétition souvent pernicieuses, amorales voire immorales. Ils préféraient soumettre les Gabonais à la barbarie la plus abjecte que de quitter la scène.

Pour le malheur du Gabon et des Gabonais, les Rénovateurs d’hier et leurs héritiers vivaient dans un hors-monde, dans un hors-temps, en décalage et en dehors de toute réalité concrète, avec ce sentiment cruel et absolu d’avoir toujours raison quand bien même une lecture du réel économique et social exigerait le contraire. Le putsch du 30 août 2023 les a ramené à la réalité « concrète » !

Ebamangoye Mbondobari, enseignant-chercheur.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Akoma Mba dit :

    Si cette merde tente de revenir au pouvoir, on les abattera comme des moins que chiens!

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