Femme politique, enseignante, chercheuse, conférencière, auteure de «Gabon, pourquoi j’accuse…» aux éditions L’Harmattan, Laurence Ndong partage, ici, son analyse sur le rôle de l’eau comme levier de développement. Pointant « les manquements de l’Etat dans la mise à disposition des services essentiels au bien-être des populations », elle rappelle que « Parmi les besoins primaires, l’accès à l’eau potable est vital et il l’est davantage en ces temps de crise sanitaire ». Elle porte également l’idée que « L’accès à l’eau potable pour tous les gabonais, partout et tout le temps est un droit, il doit donc être constant et non intermittent car, priver délibérément un peuple d’eau potable est une atteinte à ses droits fondamentaux ».

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Laurence Ndong, femme politique, enseignante, chercheuse, conférencière, écrivaine. © D.R.

La Covid-19 est arrivée avec son train de désolations et de révélations. Elle a cloué au pilori tous les engagements non tenus et les manquements de l’Etat dans la mise à disposition des services essentiels au bien-être des populations. La fourniture des services publics de base, notamment, le système de santé, la capacité à assurer la continuité pédagogique et l’accès à eau et à l’électricité est assurément une chimère.

L’accès à l’eau potable est vital en tout temps et en tout lieu

Parmi les besoins primaires, l’accès à l’eau est vital et il l’est davantage en ces temps de crise sanitaire. En effet, l’eau constitue l’une des principales ressources dans le cadre des gestes barrières à appliquer pour lutter contre la propagation de la Covid-19. Se laver les mains avec de l’eau et du savon est même la première mesure préventive pour se protéger contre ce virus. Mais au Gabon, le respect de cette consigne qui semble pourtant simple n’est pas une évidence. Se procurer de l’eau relève du parcours du combattant du fait de l’inaccessibilité de ce service pour la grande majorité de la population. Les Gabonais se ravitaillent en eau potable dans ce qu’on appelle communément « les pompes publiques » ou à la faveur des camions citernes qui apportent de l’eau par intermittence. On peut voir le désespoir des gabonais dans de longues files d’attente qui durent des heures juste pour recevoir quelques litres d’eau.  Pour la minorité qui possède des installations de fourniture d’eau à domicile ou à proximité, elle en est régulièrement privée par des délestages incessants qui compliquent son quotidien et qui peuvent durer plusieurs jours.

En pleine crise de la Covid-19 où l’une première mesure barrière pour se protéger du virus consiste à se laver les mains avec savons, les difficultés d’accès à l’eau n’ont jamais été évoquées dans les communications officielles. Or, l’une des premières mesures à prendre aurait été de faciliter l’accès à l’eau potable avant de proposer sa gratuité. Proposer de rendre gratuit un service aussi indispensable qu’indisponible est une incohérence absolue.

L’absence d’eau potable au quotidien, relativise la conception de la pauvreté et du bien-être au Gabon.  Assurément, les revenus financiers ne suffisent plus pour garantir le confort et la qualité de vie. N’est-il pas une aberration de posséder des biens immobiliers sans alimentation en eau potable ? N’est-il pas paradoxal qu’il soit plus facile pour certains de trouver du carburant pour leurs véhicules que de l’eau potable pour leur domicile ? N’est-il pas un drame qu’en 2020 au Gabon, l’accès à l’eau potable et à l’électricité soient des privilèges ? Ces incongruités sont le terreau du bilan désastreux de ces dix dernières années.

Des annonces intempestives et des investissements non réalisés

Des annonces intempestives d’investissements massifs sont faites mais les réalisations sont aussi improbables qu’invisibles et il est question de tout sauf de l’essentiel. Au-delà de toute autre considération, l’accès à l’eau potable au quotidien et sa disponibilité pour faire face dans le contexte de crise sanitaire, sont une impérieuse nécessité. Peu importe le cas de figure, confinement ou déconfiniment, partiel ou total, l’eau potable est primordiale à la riposte contre la Covid-19 et à la vie courante des populations. Les gabonais veulent de l’eau et cela doit être entendu. Ils veulent de l’eau pour leurs besoins quotidiens. Ils veulent de l’eau potable pour maintenir leur hygiène, leur santé et refusent que ce besoin primaire soit un luxe dans leur pays, au demeurant, relativement riche.

Au Gabon, l’indisponibilité de l’eau potable n’est pas la conséquence de sa rareté, mais celle de l’inconséquence de ceux qui sont au pouvoir. Il y a tout juste un an, la Banque Africaine de Développement a accordé au Gabon une enveloppe de 77 milliards de FCFA pour améliorer le réseau de d’eau potable à Libreville.

Sur chaque facture d’eau émise par la Société d’Energie et d’Eau du Gabon (SEEG), une majoration est prévue pour le financement de la production, du maintien et l’élargissement du réseau de distribution. Chaque année, au budget de l’Etat, des ressources sont affectées au Ministère en charge de l’Eau pour améliorer le quotidien des gabonais en la matière. Il est scandaleux que des sommes aussi importantes aient été allouées sans qu’aucune amélioration ne soit perceptible et que des travaux n’aient été réalisés.

Le Conseil National de l’Eau et de l’Électricité (CNEE) chargé de la gestion du réseau d’eau potable et de l’éclairage public à travers tout le pays est contraint de limiter ses activités au strict fonctionnement faute de budget. Il faut noter que le CNEE est financé par un prélèvement de 1% sur les factures émises par la SEEG aux usagers. Mais, malheureusement, ces ressources ne lui sont pas reversées intégralement.

En ce qui concerne La Société de Patrimoine chargée des investissements structurants en matière d’eau et d’électricité, elle ne que l’ombre d’elle-même. On se demande à juste titre à quoi servent les financements publics inscrits au budget de l’État et les apports des partenaires extérieurs.

La sulfureuse Agence Nationale des Grands Travaux (ANGT) à laquelle ils ont rajouté les infrastructures, principal outil au service de la captation et de la prédation des ressources financières de l’Etat au cours des dix dernières années, a disparu du paysage institutionnel et administratif. Cela sans que l’on ne sache à quoi ont servi les budgets d’investissements qui ont été placés sous sa gestion. Sous sa responsabilité et sous l’autorité de la Présidence de la République, près de 20 000 milliards de FCFA ont été alloués ces dix dernières années au titre de l’investissement, sans qu’aucun chantier ne voit le jour ou n’arrive à son terme. Ces chantiers non réalisés auraient facilité l’organisation et la mise en œuvre de la riposte face à la Covid-19, et c’est tout le sens des investissements structurants dans un pays normal.

Un marché spéculatif de l’eau au détriment des gabonais

Cette gestion scabreuse du service public d’eau potable qui profite bien évidement à quelques heureux, ne manque pas d’entretenir, à juste titre, le questionnement soupçonneux des gabonais. Qui trouve son intérêt dans la hausse de la production, des importations et de la consommation de l’eau de source en bouteille au Gabon ? A qui profite la vente des cuves et des surpresseurs pour s’alimenter en eau ? A qui profitent la corruption, la concussion, l’investissement à minima et les projets inachevés en matière de production et de distribution d’eau potable au Gabon ?

En réalité, à l’évaluation de l’offre et la demande en eau potable, le Gabon est largement déficitaire. Les cuvettes, les seaux, les bidons, et autres bouteilles en plastique, en file d’attente devant « les pompes publiques » ou les camions citernes qui ressemblent à des oasis dans le désert, illustrent parfaitement ce désastre. Pour pallier aux limites du réseau de distribution et aux récurrentes coupures d’eau et autres délestages, certains compatriotes ont fait installer à leur domicile des cuves équipées de surpresseurs et pour les alimenter, une filière informelle de livraison d’eau se développe à Libreville et sa région. Une véritable niche ou la rareté nourrit la surenchère et fait monter le prix du mètre cube d’eau, c’est-à-dire 1000 litres, à 15000 FCFA. Une folie, quand on sait qu’au tarif de la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), le mètre cube d’eau coûte 470 FCFA, soit 33 fois moins cher. L’eau en bouteille produite sur place ou importée, quant à elle, se vend en moyenne 450 FCFA le litre, soit 1000 fois plus cher que l’eau distribuée par la SEEG qui est à 0, 47 FCFA le litre.

Les connivences et les bénéfices de ceux qui sont à la tête de l’Etat

Aussi, il n’est pas vain de rappeler qu’au registre des difficultés de la SEEG, figure l’énorme dette de l’État et le non-respect de ses engagements envers cette entreprise, notamment dans la construction et l’entretien des infrastructures structurantes. Plus grave, il apparaît que certains hauts commis de l’État entretiennent et s’engraissent en favorisant le développement du secteur informel de la distribution d’eau. Ces derniers, au lieu d’être au service des gabonais, les spolient et leur rendent la vie difficile. En effet, ce cynisme qui contribue à priver les populations d’une ressource aussi essentielle à leur vie au quotidien, ajoute de la misère à la misère et confirme que le régime au pouvoir au Gabon excelle dans l’ingéniosité à causer de la souffrance aux gabonais.

Comme se soigner, se nourrir est un droit et l’eau est à la fois un aliment vital et une ressource primordiale au bien-être de chaque individu. Le rôle et les missions régaliennes de l’Etat ne sont pas des variables d’ajustement et il ne peut se délester de ses engagements au profit des petites connivences et des grands bénéfices personnels de ceux qui sont à sa tête. Comme chacun, l’Etat a des droits et des devoirs et il ne doit pas user de son autorité sans assumer ses responsabilités. L’accès à l’eau potable pour tous les gabonais, partout et tout le temps, est un droit, il doit donc être constant et non intermittent car, priver délibérément un peuple d’eau potable est une atteinte à ses droits fondamentaux.

Laurence NDONG

Femme politique, enseignante, chercheuse, conférencière, écrivaine.

 

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GR
 

2 Commentaires

  1. Espérance dit :

    Il faut citer aussi les surfacturations de la SEEG et le diktat du monopole.

  2. HERNANDEZ Y. dit :

    Article très intéressant et hélas criant de Vérité.
    Mais qu’en est-il en 2021 ?

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