Sociétaire de l’Union nationale (UN) dont il est Conseiller municipal, Emmanuel Ntoutoume Ndong, par ailleurs inspecteur général des finances, diplômé de l’École nationale d’administration de Paris et docteur en Philosophie souvent publié par Gabonreview, estime que la Concertation politique s’étant achevée le 23 février dernier à Libreville, est «la tentative d’escroquerie politique la plus grossière de l’histoire du Gabon». Il est urgent pour lui de clarifier les notions «d’opposition» et «d’opposant», les assises politiques dont il est question ayant surtout permis de mettre à nu la duplicité d’une certaine opposition et montré en quoi celle-ci est source de confusion politique et constitue une entrave à l’alternance.

Vue d’une frange de l’«opposition» à l’ouverture de la concertation politique, le 13 février 2023, au palais de la présidence de la République. © Flickr

 

Emmanuel Ntoutoume Ndong est conseiller municipal pour le compte de l’Union nationale (UN). Il es par ailleurs, inspecteur général des finances, diplômé de l’École nationale d’administration de Paris et docteur en Philosophie. © D.R.

La concertation qui s’est tenue à Libreville entre « la majorité » et « l‘opposition » du 13 au 23 février 2023, a constitué la tentative d’escroquerie politique la plus grossière de l’histoire du Gabon. Avant l’ouverture officielle des assises, outre une impréparation manifeste et un amateurisme certain, des signes avant-coureurs tels que la légalisation précipitée d’une trentaine de partis politiques et l’investiture d’un Bureau du Centre Gabonais des Élections (CGE) désigné dans des conditions obscures et contesté par une partie de l’opposition, indiquaient que rien de bon pour le pays ne sortira de ce unième conclave politicien, qu’il ne s’agit que d’une de ces distractions à grands frais dont le Pouvoir Bongo/ PDG nous a accoutumés.

Ces appréhensions de départ se sont confirmées dès le début des travaux, lorsque le Pouvoir a imposé des thématiques en déphasage total avec les attentes de l’opposition et la société civile consignées dans leurs différents mémorandums. Dès lors, il était évident pour ceux qui savent lire entre les lignes que cette concertation était une mascarade, et que son objectif n’était la recherche des solutions au problème des élections, mais une opportunité que le Pouvoir s’est offerte pour préparer les conditions d’un nouveau passage en force. L’irruption dans les négociations des sujets tels que le retour aux scrutins à un tour, l’harmonisation des mandats politiques, ou encore la nomination de sénateurs et autres élus locaux par le chef de l’Exécutif, en plus de n’avoir aucun lien avec la préoccupation du moment, annonce une régression démocratique inacceptable, tout en entérinant une violation du principe de la séparation des pouvoirs.

En effet, conscient de la médiocrité de son bilan et sachant que son candidat, quelqu’il fût, n’aurait aucune chance de s’imposer dans une élection transparente à deux tours, le Pouvoir avait besoin d’un subterfuge pour contourner cette difficulté. Or le scrutin à un tour est réputé a priori défavorable à l’opposition à cause de fragilités intrinsèques de cette dernière, de ses divisions, de l’absence de sincérité de certains acteurs politiques qui s’en réclament, et du manque de patriotisme de certains hommes politiques gabonais. Mais comme il était politiquement risqué pour le Pouvoir d’assumer seul un tel retour en arrière qui implique une révision constitutionnelle taillée aux mesures d’Ali Bongo à quelques mois de l’élection présidentielle, il fallait trouver le moyen d’impliquer l’opposition dans la manœuvre, d’autant que la disponibilité de celle-ci à discuter des questions électorales était connue de tous. C’est donc de bonne grâce que l’opposition a répondu favorablement, d’abord à l’appel du président de la Cour constitutionnelle invitant les partis politiques à formuler leurs propositions en matière de transparence électorale, ensuite à l’appel d’Ali Bongo à une concertation politique nationale sur le même objet.

Beaucoup de gabonais ont salué ces initiatives, notamment la soudaine bienveillance de la Cour Constitutionnelle à l’égard de l’opposition. Ils ont pensé que la haute juridiction avait enfin décidé de se départir de l’image de tour de Pise qui lui colle à la peau depuis qu’elle s’est révélée comme la gardienne du pouvoir familial en place au Gabon. La suite des événements oblige malheureusement à reconnaître que cet élan de sympathie à l’égard de l’opposition était une manœuvre de diversion s’inscrivant dans le cadre d’une stratégie globale d’endormissement de l’opposition.

Prenant le président de la haute juridiction au mot, les partis politiques de l’opposition, en tête desquels l’Union Nationale, et plusieurs représentants d’organisations de la société civile, ont produit et transmis aux autorités compétentes des mémorandums détaillant les changements qu’ils fallait apporter au Code électoral pour parvenir à des élections aux lendemains apaisées.

Pour que nul n’en ignore, il est important de préciser que ce que l’on désigne au Gabon sous l’appellation générique « d’opposition » ne présente aucune homogénéité, ni idéologique, ni programmatique, ni stratégique. L’opposition gabonaise est une nébuleuse hétéroclite à vocation essentiellement tactique que l’on peut figurer par une taxinomie tripartite :

  • ceux qui sont sincères dans leur positionnement politique et qui concurrent régulièrement à l’expression du suffrage. Ils ont vu dans cette concertation, une opportunité susceptible d’apporter des améliorations à un dispositif électoral dont les manquements sont relevés, y compris par les missions internationales d’observation des élections. Ce sont principalement ces partis politiques qui ont suspendu leur participation à la concertation lorsque les représentants du Pouvoir ont présenté des sujets sans rapport avec la transparence électorale,et en décalage total avec leurs attentes de l’opposition consignées dans leurs mémorandums;
  • ceux qui, bien que se réclamant de l’opposition, oeuvrent en coulisses pour le statu quo. Ces derniers n’ont éprouvé aucune gêne à cautionner l’imposture en s’inclinant devant des termes de référence imposés, se contentant de concessions marginales et sans intérêt pour le pays. Ces partis politiques se caractérisent en outre par leur élasticité et leur capacité à effectuer des allers- retours entre la majorité présidentielle et l’opposition;
  • ceux qui n’existent que sur le papier et qui n’ont jamais présenté de candidats à une quelconque élection. Leur vocation est d’infiltrer la véritable opposition et à brouiller les cartes. La participation de ces partis politiques à la concertation ne s’explique que par la perspective de toucher les perdiems.

Mais à quelque chose malheur est bon. L’entêtement du Pouvoir a le mérite d’avoir ouvert les yeux de ceux donnaient encore du crédit à ce Pouvoir décadent. En refusant obstinément de s’attaquer à la réforme du Code électoral, les tenants du pouvoir ont révélé leur véritable intention qui est de se maintenir par tous les moyens, quitte à mettre le pays à feu et à sang. En effet, si la conservation du pouvoir est, selon Machiavel, le but recherché par tout régime politique, au Gabon cette quête d’éternité tourne à l’obsession. C’est elle qui est responsable de l’instabilité constitutionnelle qui prévaut dans notre pays. Entre 1991 et 2018 la constitution gabonaise a connu 10 révisions, adoptées presque toutes par la voie parlementaire. La fréquence des révisions est telle que l’on se demande si le mot « constitution » a encore un sens au Gabon.

Certes une constitution n’est pas un document figé et clos, car elle doit s’efforcer d’intégrer les dispositions qui consacrent l’adaptation du droit aux évolutions politiques et sociales de la nation, à celles qui en assurent la permanence et la stabilité. Mais les modalités de son adoption doivent être entourées des conditions qui en fondent la légitimité. Faut-il rappeler que la constitution repose sur le principe selon lequel les dirigeants ne sont pas libres d’acquérir le pouvoir, ni de l’exercer à leur guise, mais qu’ils sont soumis aux règles édictées par la nation. Sous le régime Bongo/PDG, la constitution est un gadget, une variable d’ajustement politique modulable au gré de convenances politiques personnelles.

Du même coup se dévoile le véritable rôle des « dialogues » dans la vie politique de notre pays : faire baisser les tensions politiques consécutives aux coups d’Etat électoraux, et assurer la pérennité du Pouvoir. C’est pour adoucir la colère des populations frustrées de voir leur souveraineté bafouée à chaque élection présidentielle que le Pouvoir a inventé l’arme du « dialogue politique ». Les Accords de Paris de 1994 sont intervenus à la suite des violences ayant suivi le coup d’Etat électoral de 1993, et ceux d’Arambo et d’Angondje ont sanctionné les coups d’Etat électoraux de 2005 et de 2016. La nouveauté de la concertation de 2023 est qu’elle s’est tenue avant les élections. Mais la persistance des crises post-électorales en dépit des dialogues montre leur inefficacité, le Pouvoir ayant toute la latitude d’en détricoter le contenu après coup.

La mascarade à laquelle nous venons d’assister a permis de mettre à nu, une fois pour toutes, la duplicité d’une certaine opposition et montré en quoi cette duplicité est source de confusion politique, et en quoi elle constitue une entrave à l’alternance, d’où l’urgence de clarifier les notions « d’opposition » et « d’opposant ». À quoi reconnait-on un opposant ? Peut-on se réclamer de l’opposition et participer périodiquement à des gouvernements auxquels on est sensé s’opposer ? Comment espérer bâtir une démocratie viable s’il n’y a pas de distinction claire entre la majorité et l’opposition ? L’ambivalence de certains acteurs de la vie politique de notre pays brouille l’image de l’opposition gabonaise et désoriente les populations qui ne savent plus sur quel pied danser, ni comment séparer le bon grain de l’ivraie.

Mais l’attitude du Pouvoir doit être pour l’opposition l’occasion de la prise de conscience des limites de la crédulité dans un environnement politique marqué par la malice, l’absence de sincérité et la corruption. Certes nous subodorions l’entourloupe, mais nous avons accepté de jouer le jeu parce que nous plaçons l’intérêt du Gabon au-dessus tout, y compris de nos propres certitudes. Nous avons fait le pari de l’intelligence et du patriotisme en faisant confiance à des institutions domestiques dont nous connaissons les failles et les faiblesses.

C’est donc avec regret que nous avons, dans un premier temps, menacé de suspendre notre participation si le problème de la transparence électorale ne figurait pas au centre des débats, puis de claquer définitivement la porte face à l’intransigeance du Pouvoir. Nous avons alors compris, à notre corps défendant, que la transparence électorale n’était qu’un prétexte utilisé par le Pouvoir pour appâter l’opposition, duper l’opinion nationale et internationale, et se donner les moyens d’assurer la réélection d’Ali Bongo.

En attendant le nouveau passage en force qui se prépare, la responsabilité de l’opposition véritable aujourd’hui est d’appeler le peuple souverain à prendre ses responsabilités pour faire échec à un dessein diabolique qui risque d’ensanglanter encore notre pays. Pour cela, une vaste campagne d’explication en direction des populations est nécessaire pour les éclairer, à la fois sur les enjeux qui se cachent dernière les décisions issues de cette soi-disant concertation politique, et sur les moyens légaux de leur faire échec. Dans leur opération de sauvetage du soldat Ali Bongo plombé par un bilan apocalyptique, le Pouvoir et ses alliés naturels et objectifs font preuve d’une double cécité, en minimisant leur cuisant échec, et en sous- estimant l’intelligence et la détermination des Gabonais plus que jamais décidés à reprendre leur pays en mains.

Emmanuel Ntoutoume Ndong

Conseiller municipal, Inspecteur général des finances, diplômé de l’École nationale d’administration de Paris et docteur en Philosophie. © D.R.

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GR
 

1 Commentaire

  1. Rembourakinda dit :

    Que chaque gabonais prenne ses responsabilités, cad inscriptions massives sur les listes électorales, avec la société civile, plébisciter un candidat unique du peuple,et imposer un rapport de force sorti des urnes,avec des assesseurs incorruptibles. Le PDG a été au maximum de la fraude en 2016,ils ne pourront pas rééditer leur forfaiture.

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