Casimir Oye Mba dresse ici sa vision du Gabon dans le contexte de la pandémie du Coronavirus et de l’après. Les problèmes sanitaires, les défis économiques, à travers notamment l’éducation et le système financier ou encore les réajustements structurels… tout passe au crible lucide de l’ancien Gouverneur de la BEAC, ancien Premier ministre et vice-président de l’Union nationale qui indique que le Gabon peut très bien s’en sortir… à certaines conditions.  

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Casimir Oye Mba, ancien Gouverneur de la BEAC, ancien Premier ministre, vice-président de l’Union Nationale. © jeuneafrique

Depuis le 12 Mars 2020, à la faveur du retour de France d’un compatriote qui venait d’y séjourner quelques jours pour raisons personnelles, le Gabon est touché par le CORONAVIRUS. Avant cela, reconnaissons que nous en avions très peu entendu parler.

A l’observation des profanes, dont je suis, dans un premier temps, la propagation du virus a semblé modérée, avant de s’accroître au bout d’un mois environ. En tout cas, pour beaucoup de gens, c’est vers la mi-Avril que les Gabonais ont réalisé que la situation était sérieuse. La disparition de personnalités africaines connues (le musicien Manu Dibango, Pape Diouf, ancien Président de l’Olympique de Marseille) y a certainement contribué. Une sorte « d’emballement » semble même se produire depuis fin-Mai – début Juin. Au 15 Juin, le COPIL (Comité de Pilotage du Plan de veille et de riposte contre le CORONAVIRUS) annonce avoir détecté 4033 contaminés. A cette date, le Congo comptait 883 cas pour une population de l’ordre de 5 Millions d’habitants. Au 18 Juin, nous avions 4340 contaminés ; Le 22 Juin, 4740 cas. A la fin Juin, la télévision gabonaise affiche que nous avons largement dépassé les 5000 cas.

 Bien évidemment, ces chiffres nous effraient, même si dans le même temps, les guérisons se sont elles aussi accrues, passant de 1025 au 12 Juin à 1660 au 18 Juin et à 2000 au 22 Juin, ce qui montre les efforts fournis par nos hôpitaux.

 Comme souvent dans notre pays, des censeurs aux intentions variées vont s’élever, pour désigner de manière péremptoire le ou les responsables de la catastrophe qui s’abat sur nous. Loin de moi l’idée de demander le mutisme général : ce serait malsain.

 Personne dans le monde ne peut dire aujourd’hui quand disparaîtra la pandémie. Les spécialistes laissent plutôt entendre qu’elle s’estompera simplement, sans disparaître complètement ; qu’il faut s’attendre à vivre avec elle sous une forme périodique plus ou moins larvée, et s’organiser en conséquence.

Cela pose donc le problème de l’après. Nous devons absolument analyser sereinement ce qui s’est passé pour préparer au mieux l’avenir. Cette réflexion pour l’avenir est commandée par la nature même de la catastrophe que nous subissons. La crise de la COVID 19 se manifeste au plan sanitaire d’abord, au plan économique et social ensuite, mais aussi au plan institutionnel. Des rectificatifs doivent être recherchés à chacun de ces niveaux.

I – LES URGENCES SANITAIRES ET SOCIALES

Le problème sanitaire

 Les Gabonais ne sont pas satisfaits du système sanitaire de leur pays, malgré les efforts importants faits par l’Etat depuis une vingtaine d’années. En effet, trois nouveaux hôpitaux ont été construits à Libreville (l’hôpital Militaire, celui d’Angondjè et celui d’Owendo). L’hôpital Général du Centre-ville, qui date de la colonisation, a été agrandi et rénové. L’hôpital Jeanne EBORI a été rasé et reconstruit.

Des hôpitaux régionaux ont été édifiés dans les chefs-lieux de provinces. Des centres de traitement ambulatoires (C.T.A) ont été également implantés pour la lutte contre le VIH-SIDA.

L’accès « universel » aux soins a été institué depuis une douzaine d’années avec la création de la CNAMGS. Une faculté de Médecine a été ouverte depuis une trentaine d’années ; elle sort chaque année vingt à trente médecins, aussi qualifiés que leurs collègues de pays africains comparables.

Et pourtant, nos compatriotes ne sont pas satisfaits, car ces structures ne fonctionnent pas correctement : matériel médical insuffisant, obsolète ou carrément dégradé, pénurie de médicaments, manque de personnel, sempiternel manque d’eau courante à l’hôpital général, le plus grand du pays, mauvais accueil des patients….

Je sais que plusieurs colloques et séminaires ont déjà été réunis et dégagé des pistes de solutions. Les autorités doivent les mettre en œuvre. Ce n’est pas leur faire injure que de penser que leur détermination à le faire n’est pas évidente aux yeux de beaucoup. A cet égard, les dotations budgétaires de la santé publique doivent être relevées substantiellement et figurer pendant dix ans au moins dans les priorités stratégiques. Nous devons viser à rendre « majeur » notre système sanitaire, de façon à nous passer progressivement des évacuations à l’extérieur. Nous devons en particulier faire en sorte que nos hôpitaux soient à tout moment en capacité d’absorber des évènements comme le Coronavirus ou Ebola. Une commission d’enquête parlementaire est annoncée sur la gestion de la crise du COVID 19 ; c’est une bonne chose que les représentants du peuple se penchent là-dessus : ils auront ainsi l’occasion d’avancer des propositions utiles pour l’avenir.

Enfin, notre vécu récent m’amène à suggérer la création au ministère de la Santé, si elle n’existe pas déjà, d’une « cellule de veille » qui observerait en permanence la situation sanitaire du pays pour détecter les menaces et alerter l’Etat.

L’éducation

 L’extension de notre appareil de formation et la massification des effectifs d’apprenants ont entrainé une nette dégradation de la qualité des enseignements et une baisse du niveau des diplômés. Certes, ces phénomènes ne sont pas particuliers au Gabon. On les constate presque partout dans le monde, y compris dans les pays avancés.

Des « états généraux » ont été organisés sur les problèmes de l’éducation depuis bien longtemps. On sait donc ce qu’on doit faire, mais la volonté n’est pas suffisamment affirmée et les initiatives manquent de constance.

Là aussi, comme pour la santé, on doit commencer par relever fortement les crédits budgétaires du secteur de l’éducation et maintenir cet effort sur une longue période.

Les actions à mener sont multiformes : construire et équiper des écoles, les doter en matériels didactiques appropriés, former des enseignants, leur assurer des conditions de travail et de vie décentes, avec une attention particulière pour ceux qui servent dans des localités éloignées, réadapter les programmes etc….

Un tel effort sera forcément payant. Dans l’immédiat, les importantes dépenses que l’Etat et les familles font pour envoyer des jeunes se former à l’étranger vont diminuer.

Mais un enjeu encore plus important pour le Gabon est attaché au défi de l’éducation. Notre pays est sous-peuplé ; nous ne pouvons pas exister par le nombre. Quand nous aurons 5 Millions d’habitants, le Cameroun en aura 50 et la RDC 120 Millions. Si nous voulons exister, compter dans le jeu des nations, ce ne peut être que par la qualité et la performance, à commencer, bien sûr, par celle de la formation de notre population. « l’àpeuprès » ne peut pas nous convenir. Il nous conduit à être négligés, sinon méprisés par les autres. Nous devons viser le meilleur, l’excellence. De la sorte, nous serons « grands » et respectés.

 Un mot sur le recours au télé-enseignement pendant la crise du CORONAVIRUS. Les tentatives menées sont méritoires, en ce sens qu’elles visaient à faire face à une urgence. Mais elles n’ont concerné qu’une petite partie des apprenants, la majorité de ceux-ci ne pouvant pas bénéficier d’un accès à l’internet. Cela dit, les rigidités qui obèrent l’enseignement à tous les niveaux (manque de locaux, de matériel, d’enseignants) obligent à prendre pour l’avenir des mesures pour développer et utiliser davantage et mieux le télé-enseignement.

II – LES DÉFIS ÉCONOMIQUES

Sans occulter quelques couacs et incohérences, le combat contre le coronavirus était rendu difficile par la méconnaissance mondiale de la maladie. N’offrant aucun repère ni antécédent, la pandémie a immanquablement impacté sévèrement les activités économiques et la vie quotidienne.

 Tous les secteurs sont touchés, mais je n’en évoquerai que deux : l’agriculture et le système financier.

L’agriculture

Le Gabon est largement dépendant de l’extérieur – proche et lointain – pour son alimentation. Les services officiels situent autour de 300 Milliards de Francs par an nos importations de produits alimentaires divers. Ce chiffre colossal nous impose pour l’avenir d’orienter davantage notre stratégie agricole vers les produits vivriers que consomment les Gabonais. Dans ma jeunesse, la majorité des Gabonais se nourrissaient de manioc, de bananes plantain, de tarots, d’ignames, cultivés au Gabon. Le riz par exemple était un aliment de luxe, cher, donc réservé aux jours de fête. Il n’en est plus de même. C’est le bâton de manioc qui est devenu un aliment de « luxe », parce que trop cher. Il est pour cela de moins en moins consommé, au profit du pain et du riz.

Je ne préconise nullement d’abandonner les cultures de rente (cacao, café, hévéa, huile de palme). Je pense néanmoins qu’on doit consacrer beaucoup plus de moyens (techniques, financiers, humains) à l’agriculture vivrière. Imaginons que sur les 300 Milliards que nous dépensons en importations, le tiers seulement aille à des cultivateurs gabonais ; ce serait un formidable levier pour le développement de nos villages et l’élévation du niveau de vie des populations de l’arrière-pays. A terme cela contribuerait à freiner l’exode rural et à rééquilibrer quelque peu la répartition spatiale des habitants. Le visage du Gabon en serait modifié avantageusement.

Le système financier

 La COVID 19 a affecté durement les activités économiques du pays.

Avant son apparition, on tablait sur un taux de croissance d’un peu plus de 3,5% pour 2020. Maintenant, on s’attend plutôt à un taux de croissance légèrement négatif.

Pour éviter l’effondrement complet de l’économie, les pouvoirs publics ont pris des décisions, tendant d’abord à préserver les secteurs vitaux, pourvoyeurs de recettes publiques et de devises : les mines, le pétrole, le bois, l’agriculture de rente. Des dispositions ont été prévues aussi pour les secteurs qui les accompagnent : les télécommunications, l’énergie, les transports de marchandises.

Au plan social, le maintien des salaires jusqu’à 150.000 Francs, le Fonds de 2,5 Milliards de francs d’aide aux petits propriétaires, l’allocation de chômage technique à concurrence de 70% maximum du salaire brut. Mentionnons aussi la réduction de moitié des impôts et patentes pour les petits commerces, les bons alimentaires.

La gestion de toutes ces mesures n’a pas été exempte de plaintes et critiques fondées. Mais laissons cela de côté, pour revenir au substantiel.

Le Gouvernement a donné sa garantie aux banques pour des crédits d’urgence qu’elles accorderaient aux entreprises, à concurrence de 225 Milliards de francs CFA. Des possibilités de reports d’échéances de dettes bancaires sans pénalités sont prévues en faveur des entreprises fragilisées par les conséquences du coronavirus. En direction des PME, une enveloppe de 7 Milliards de francs a été dégagée pour apurer une partie de leurs créances sur l’Etat ne dépassant pas 100 Millions de francs.

 Tout ce dispositif national est complété par des mesures de politique monétaire inédites, mais quelque peu timorées, prises par la BEAC : ouverture d’un plafond de refinancement des banques de 500 Milliards, avec possibilité de relèvement si nécessaire, baisse des taux d’intervention.

 Ces initiatives doivent être saluées, bien sûr. Mais leur efficacité est limitée par des faiblesses dans le fonctionnement même de notre système financier.

 Tout d’abord, on peut comprendre qu’une banque marque une certaine hésitation devant une entreprise déjà peu rassurante en temps normal, malgré la « garantie coronavirus » offerte par l’Etat.

D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que l’Etat lui-même est déjà engagé auprès des banques et que l’apurement de ses dettes ne se caractérise pas toujours par une grande fluidité. Autrement dit, la « garantie coronavirus » offerte par l’Etat n’apparait pas aux banques comme étant de première qualité.

 L’architecture même de notre système bancaire actuel recèle d’autres obstacles.

Depuis la disparition de la Banque Gabonaise de Développement du fait de nos propres turpitudes, et la sortie de l’Etat du capital des banques commerciales, nous n’avons plus de « relais » dans ce secteur pour faire appliquer notre stratégie de développement. Je pense par exemple à l’insertion des jeunes gabonais dans l’entreprenariat, à la promotion des PME, au financement des agriculteurs gabonais, au financement de l’habitat. Toutes ces activités, importantes pour le développement général du Gabon, ne sont pas, quoi qu’elles disent, des domaines d’intervention privilégiés des banques.

J’estime donc que, nous devrions envisager un retour de l’Etat dans l’actionnariat des banques, à un niveau lui permettant au moins de faire entendre sa voix. Notre absence complète de leurs conseils d’administration fait que les stratégies de ces banques (distribution des crédits, politique d’implantation spatiale, équipement, formation du personnel) sont déterminées en fonction des objectifs des actionnaires dominants, qui sont souvent des étrangers.

 De même il me paraît souhaitable de disposer d’établissements bancaires dédiés au financement des investissements et des entrepreneurs nationaux, notamment des jeunes. Pour parler simple, je dirais qu’il faudra recréer une sorte de BGD. Le Fond Gabonais d’investissements stratégiques, la Caisse des Dépôts et Consignations sont assurément des créations utiles, mais ils ne peuvent pas réellement jouer le rôle de banque. Si cette « nouvelle BGD » veut remplir efficacement sa mission, elle devra, pour constituer ses ressources, ne pas se contenter de recevoir des subventions de l’Etat, mais viser à être capable d’emprunter au Fond Gabonais d’Investissements Stratégiques, à la CDC, et pourquoi pas sur le marché financier régional. Cela dépendra de ses propres performances.

III – LES RÉAJUSTEMENTS INSTITUTIONNELS

 Au-delà de ces questions sanitaires et économiques, la crise du coronavirus a aussi mis au jour la nécessité de procéder à des réajustements dans le fonctionnement de l’Etat. Sans nous étendre, nous dirons simplement que la gestion de la pandémie a montré l’impuissance des démembrements locaux de l’Etat (Services administratifs et collectivités locales) qui étaient réellement démunis. Elle a montré clairement aussi que tout ne peut pas toujours se décider à Libreville, qu’il faut donc « desserrer » quelque peu le carcan de l’administration centrale et mettre en place une décentralisation intelligente et responsable.

De même, il a été vérifié que le Gabon n’est pas seul au monde et qu’il doit développer des actions de fructueuse coopération avec les autres pays de son espace régional d’abord, mais aussi ceux de contrées plus éloignées. Le manque de masques, de tests, de médicaments, suggère des initiatives communes, ou à tout le moins concertées, en Afrique Centrale.

La pandémie du COVID 19 nous a surpris par sa soudaineté, par son ampleur et par la rapidité de sa propagation. L’expérience d’EBOLA nous a été utile. Les experts médicaux semblent dire que le virus du COVID 19 ne sera pas complètement éradiqué, mais que le monde devra apprendre à vivre avec.

Je sais bien que nous sommes assaillis de contraintes quotidiennes très pressantes, qui font que nous avons de façon quasi-permanente « le nez dans le guidon ». Mais il est essentiel de s’extraire de la dictature de l’immédiat pour essayer de regarder au loin, d’anticiper. J’en appelle ici à la création d’un institut de la PROSPECTIVE, correctement dôté, à placer par exemple à la Primature. Il serait chargé de recueillir des données sur tous les compartiments importants de la vie du pays, de les analyser, d’entrevoir les interactions entre les différents phénomènes, d’anticiper les évolutions possibles. Ces éléments serviront à la prise de décision de l’Etat.

 A l’évidence, le Gabon, comme tous les pays, a été sérieusement affecté par le CORONAVIRUS, y compris dans nos habitudes de vie les plus courantes. Nous en avons souffert ; nous continuons d’en souffrir. Mais nous pouvons aussi tirer de cette crise d’utiles leçons pour nous réformer dans divers domaines. Nous avons évoqué ci-dessus quelques secteurs, mais il y en a bien d’autres. L’essentiel est que de ce mal qu’est le CORONAVIRUS nous puissions, par les changements et innovations que nous pourrons apporter dans la gestion du pays, en faire un bien, en veillant à ce que nous comptions d’abord sur nous-mêmes.

Casimir Oye Mba, ancien Gouverneur de la BEAC, ancien Premier ministre, vice-président de l’Union Nationale

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Jacqueline Wilson dit :

    Excellent article monsieur le Premier Ministre. Je vous ai plus connu sous le nom de Cam IV avec Wilson IV
    Ce plan devrait être mis en place , avec un accent sur les Provinces.
    Félicitations.

  2. actu dit :

    Il n’y a pas de doute sur la pertinence de cet etat des Lieux.

    Monsieur Casimir Oye Mba aurait due a la fin de cette tribune poser la question du Franc CFA dont le contrat est arrive a son terme.

    Car Beaucoup d’aspects souleves ici ne pourront etre resolus tant que nous sommes toujours esclave du CFA. Une monnaie dont nous ne maitrisons pas la politique et dont les mecanismes nous privent de souverainete monetaire et de politiques economiques ambitieuses.

    Ni la garantie du gouvernement des 225 milliard aux banques,ni le refinancement des 100 milliards promis par la BEAC(i.e 600 milliards pour 6 pays) ne pourront suffir a amortir le choc avenir.

    Oui aucun pays n’etait prepare a l’arrivee du Coronavirus.Mais les etats qui ont la maitrise de leurs politiques economiques et monetaires s’en sortiront mieux que nous..

    Nous clamons haut et fort la fin du franc Cfa et la nationalisation des banques et autres secteurs strategiques tels que la Poste, la SEEG…

  3. BIGNOUMBA dit :

    Monsieur le Premier Ministre,
    Merci pour cette belle analyse.
    L’autre étape est que chaque gabonais se l’approprie.
    Et au-delà des citoyens, que le gouvernement en ait conscience.
    Je voulais dire « qu’il en ait connaissance » mais en réalité comme vous l’avez mentionné, on connaît le mal et la solution. Le problème est la mise en application.

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