La cohabitation humains-hippopotames, dans la région des lacs du sud de Lambaréné, au centre du Gabon, est conflictuelle pour des raisons d’occupation d’espace et d’accès aux ressources naturelles. Ce conflit naît d’une concurrence pour des besoins vitaux. La réflexion du socio-environnementaliste Jean-Emery Etoughé-Efé met en exergue quelques conséquences de ce conflit. Il ressort, en effet, que des actions humaines sur les milieux fauniques ont favorisé l’éloignement, voire la disparition d’hippopotames de l’embouchure du lac Ezanga, avec des conséquences sur les plans environnemental et social.

© Gabonreview/Zoobeauval/Oelogabon

 

Jean-Emery Etoughé-Efé est Sociologue, Consultant socio-environnementaliste, Chercheur à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH), au Cenarest. © D.R.

Perchée sur les hauteurs du fleuve Ogooué, la ville de Lambaréné est située dans la province du Moyen-Ogooué, au centre du Gabon, à quelques kilomètres de l’Équateur. Elle est célèbre, à travers le monde, grâce à l’hôpital du Docteur Albert Schweitzer.

Aussi, par sa situation géographique, Lambaréné est-elle caractérisée par une région de lacs, répartis en deux blocs : « lacs du nord » et « lacs du sud ». En mettant l’accent sur la région des lacs du Sud, notre attention porte principalement sur le lac Ezanga, une zone caractérisée par les rôles que jouent les hippopotames sur les plans environnemental et social.

Les hippopotames et leurs couloirs de migrations

Au cours de longues années, la présence des hippopotames était un facteur important dans la qualité visuelle du voyage sur l’Ogooué, surtout en saison dite sèche, période au cours de laquelle le niveau d’eau est en baisse, et où les hippopotames sont le plus visibles.

En effet, les voyages en aval de Lambaréné vers le bas-Ogooué ont souvent été ponctués par des rencontres avec les hippopotames. Ces mammifères se manifestent par des jets d’eau qui signalent leur présence. C’est un avertissement qui s’assimile à un code de conduite à l’endroit des voyageurs, afin d’éviter une collision malheureuse. Ce code est toujours valable et respecté, puisqu’aucun autre mode de signalisation n’est pas intervenu entre-temps, du côté des usagers de la « route Ogooué ».

Aussi, tout au « creux de l’Ogooué », comme au bord du fleuve, des troupeaux d’hippopotames se signalent-ils et indiquent la conduite à tenir afin de ne pas violer leur territoire.

Ces présences, souvent discrètes en saison des pluies se manifestent plus activement en saison sèche, à la faveur de la baisse annuelle des eaux (étiage) qui se place avec régularité entre les mois de juillet et septembre. C’est la saison au cours de laquelle, les hippopotames se concentrent dans des périmètres réduits. Leurs territoires s’étant rétrécis.

C’est le parcours allant de Lambaréné vers le lac Ezanga qui constitue la trame de cette petite réflexion.

En effet, lorsqu’on quitte le village Mpomouana, et que l’on s’enfonce dans les lacs du sud en passant par la rivière Agouma (vers le village Mvamzaman), on entre dans un « no man’s land » marécageux qui isole du fleuve Ogooué. C’est le lac Ezanga. Il a pour principaux villages : « Alongh’an » 1, 2 et ; « Bonne-Espérance (de Laurent Michel Nkye-Mebyam) », Mekogh (chez Antoine Moussadji Dissouva), « Ndama », « Ntchoua », « Nzam- a- ke- Sile » et « Ntam ».

La carte ci-dessous présente le couloir de migrations des hippopotames dans la région des lacs du sud de Lambaréné, dans la région du Moyen-Ogooué.

C’est dans cet espace de vies humaines qu’on se rend compte de l’importance de la présence jadis des hippopotames. En effet, les hippopotames qui étaient disséminés le long du fleuve, jusqu’à l’intérieur du Lac Ezanga. Pendant la journée, ils restaient immergés dans l’eau, à des endroits précis, organisant certainement leur vie communautaire, mais passant leur nuit sur la terre ferme, en quête de pâturages.

Un rôle environnemental perceptible

Actuellement, les apparitions d’hippopotames à la surface de l’eau se font rares. Alors qu’il y a quelques décennies en arrière, les riverains arrivaient à suivre les migrations de ces pachydermes et identifier, tant bien que mal, leurs trajectoires. Aussi, les hippopotames jalonnaient-ils le parcours allant de l’île de Lambaréné vers les trois lacs que sont : Ezanga (52,5 km2), Oguémoué (167,5 km2) et Onangué (46,5 km2)[1].

Grâce à leurs migrations nocturnes, les hippopotames jouaient un rôle environnemental très important à travers les déplacements sous l’eau (principalement) et les autres migrations sur la terre ferme (accessoirement). Ces différents mouvements avaient des effets bénéfiques pour les riverains des lacs en saison sèche.

En effet, les hippopotames libéraient les berges des alluvions et entretenaient, à l’occasion, les voies navigables. Les chenaux et autres couloirs étaient entretenus grâce aux passages réguliers de ces animaux, dont le poids varie entre 1500 kg et 3200 kg. Ce poids considérable, réparti sur des pattes de taille relativement faible, combiné à l’emploi régulier des mêmes parcours, marquent en général les paysages qu’il fréquente.

Les différents mouvements ont eu pour conséquences les creusement et élargissement des couloirs du lac. Lorsqu’un hippopotame cherche à s’alimenter, il suit régulièrement les mêmes parcours, qui le conduisent à la formation de chemins précis et, in fine, bien définis avec le temps. Dans les marais, ces pistes jouent un rôle très important, car ils permettent de canaliser des courants d’eau (Kedl, 2015 : 12). De courtes pattes, agissant comme de petites pelles mécaniques sur le dragage des couloirs des marais, favorisent la bonne circulation des biens et des personnes. Ce qui permet aux riverains d’économiser les efforts les obligeant à pousser leur embarcation sur un épais tapis de boue.

Les ouvertures ainsi créées sont, par ailleurs, enrichies des déjections laissées sur les parcours, attirent du poisson et constituent d’importantes niches. Ce sont des zones qui permettent aux pêcheurs d’accéder facilement à un lit du lac et installer aisément les filets de pêche.

Impacts environnementaux et sociaux du déclin de l’espèce

On suppose que ce sont le braconnage régulièrement pratiqué, ainsi que les bruits assourdissants des engins motorisés qui sont à l’origine du désert écologique laissé par les hippopotames du lac Ezanga, suite à leurs migrations vers d’autres zones humides plus propices à leur quiétude.

Selon Abernethy et Ndong Obiang (2010), les hippopotames ont rapidement décliné au Gabon, peu après que les méthodes de chasses aient évolué, avec l’utilisation des fusils.

En effet, une enquête menée par une équipe mandatée par le Ministère des Eaux et Forêts, en partenariat avec le Fonds Mondial pour la Nature (WWF), entre 2005 et 2008, révèle l’ampleur du braconnage sur les populations d’hippopotames dans la région de l’Ogooué et des lacs de manière générale. Il y est révélé qu’un hippopotame est tué chaque mois dans les lacs du sud de Lambaréné.

Si Michez (2006) considère que l’hippopotame, espèce notoirement menacée, est encore représentée au Gabon par une population faible, constituée de sous-populations également de tailles faibles, on peut constater qu’il n’y a presque plus d’hippopotames au niveau du marais du Lac Ezanga pour maintenir l’équilibre environnemental dont ils étaient porteurs.

Une des principales conséquences est le rétrécissement constant de l’espace navigable dans le chenal qui mène au lac Ezanga. Un bouchon marécageux s‘est progressivement installé dans ce canal, obligeant les riverains à descendre dans la vase pour faire glisser leur embarcation.

Las de ces désagréments, certains voyageurs se résignent à emprunter le long détour qui passe par le lac Onangué, plus long et plus onéreux en matière de carburant, généralement constitué de l’essence et/ ou du pétrole (Etoughé-Efé, 2017).

En effet, on compte 17 km entre la confluence de la rivière Agouma, jusqu’au village Bonne Espérance, alors que le détour par la même jonction d’Agouma, en passant par le lac Onangué, pour aboutir au village Ntam fait 34 km. C’est le double du précédent itinéraire. Un détour qui nécessite deux fois plus temps et trois fois plus de carburant.

De la nécessité d’une prise de conscience écologique

Il semble évident qu’une disparition progressive des hippopotames dans le marais d’Ezanga va, certainement accélérer, sur le long terme, le processus d’envasement et de végétalisation du lac, et peut-être même sa disparition.

En effet, les populations riveraines du lac Ezanga ont longtemps ignoré le rôle joué par les hippopotames sur l’équilibre hydrographique de ce marais. Avec les difficultés du passage actuel, peut-être que ces mêmes riverains se rendront-ils compte de l’importance du travail de dragage que menaient ces mammifères, afin de permettre de relier facilement le fleuve Ogooué et le lac Ezanga.

Aussi, pensons-nous que le développement durable condamne chaque peuple à se gouverner en tenant compte d’un déterminisme écologique, afin que les comportements se stabilisent dans des formes distinctives d’interaction. De ce point de vue, le temps est une dimension essentielle à prendre en compte pour toucher le maximum d’acteurs concernés par la question. C’est pourquoi, il serait indispensable, comme le souligne le philosophe éthiopien Workineh Kelbessa (2004), de favoriser une compréhension mutuelle entre les villageois, les citadins, les tenants de l’éthique environnementale et les scientifiques pour générer un grand nombre de principes communs et ouvrir des champs de coopération sue la question écologique dans notre pays.

JEAN-EMERY ETOUGHÉ-EFÉ,

Sociologue, Consultant socio-environnementaliste, Chercheur à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) au Cenarest

 

Références

Abernethy K. et Ndong Obiang A. M., 2010, La Viande de Brousse au Gabon. Synthèse des pratiques de chasse, du commerce, de la consommation et l’état de la faune sauvage, Rapport Technique, 133 p.

Etoughé-Efé J.-E., 2017, Au temps où les « hippos » entretenaient les routes navigables du lac Ezanga, Gabon Magazine, n° 32, pp. 40 – 43.

Etoughé-Efé J.-E., 2020, « Enjeux du conflit humains- hippopotames dans le lac Ezanga (Lambaréné-Gabon) », Revue Africaine de sociologie, 24-2-2020, pp. 184-211.

Kelbessa W., 2004, La réhabilitation de l’éthique environnementale traditionnelle en Afrique, Diogène, N° 207, pp. 20- 42.

Kedl G., 2015, Impacts des barrages sur les populations d’hippopotames et gestion du conflit avec l’homme : le cas du barrage de Kandadji sur le fleuve Niger, Maîtrise en environnement et écologie internationale, Université de Sherbrooke, 81 p.

Michez A., 2006, Etude de la population d’hippopotames (Hippopotamus Amphibius L.) de la rivière Mouena Mouele au Parc National du Loango-Sud (Gabon), Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux, 113 p.

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[1] Ce sont des superficies estimées en saison sèche.

 

 

 

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GR
 

1 Commentaire

  1. Pour aller plus loin, retrouvez nous sur notre blog.

    Les hippopotames sont une clef de voute de l’écosytème
    https://h2ogabon.blogspot.com/2021/02/les-hippopotames-sont-une-clef-de-voute.html

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