Alors que le nouvel homme fort du Gabon, le Général Oligui Nguema, vient de prêter serment, pour l’universitaire gabonais Noël Bertrand Boundzanga* la question n’est plus de savoir si l’on doit accepter le vin déjà tiré du palmier, mais comment le boire. Appelant à circonscrire la transition dans un cadre strict, il explore, dans cette tribune libre, les défis de cette période exceptionnelle et l’attente d’une démocratie véritable. Tout en saluant la fin du règne des Bongo, il met en garde contre les risques d’une normalisation des élites de l’ancien régime et presse le Général d’opérer un renouvellement politique en profondeur.

Manifestants dans les rues de Libreville soutenant, le 31 août 2023, les putschistes et célébrant la chute du président Ali Bongo. © Reuters

 

Le professeur Noël Bertrand Boundzanga, enseignant-chercheur à l’Université Omar-Bongo,  auteur de «Le Gabon, une démocratie meurtrière» (2016). © D.R.

La question aujourd’hui n’est plus de savoir si l’on doit boire ce vin qui est déjà extrait du palmier – le vin est tiré, il faut le boire – mais plutôt de savoir comment le boire. Quand on dit que « le vin est tiré et qu’il faut le boire, cela indique que quelque chose ne va pas bien, qu’on est arrivé à une situation qui n’était pas souhaitée et qu’on est contraint d’y faire face, de faire avec, mais sans trop se renier, en y mettant des formes. On est friand du bon vin, mais ce vin provient d’un cambriolage, et donc d’un acte illicite.

Il me semble que cette maxime est le transport d’une morale faible, d’une morale du fait accompli qui oblige à suspendre la critique. Il participe de la même logique manifeste dans cet autre dicton : « le mouton broute où il est attaché ». Mais si ce dernier dicton place l’homme dans ses bas instincts, le définissant par son seul ventre, et l’on sait de quoi le ventre est à la fois la métaphore et la métonymie (Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome, « La politique du ventre » de François Bayart, « le Gabon ventre mou de l’Afrique » d’Auguste Moussirou Mouyama), la métaphore du vin place l’humain face à un choix tragique, que l’on dirait cornélien pour ceux qui, comme moi, ont lu les tragédies de Corneille à l’école coloniale de la République gabonaise. C’est la hauteur de l’idée, la grandeur de l’esprit, la noblesse du discernement.

L’alternance en quête de démocratie

Depuis, je voyais un pistolet pointé sur le bulletin de vote[1], mais je ne savais pas d’où il viendrait. Le peuple veut l’alternance démocratique, pas seulement de l’alternance, mais d’une alternance démocratique. Mais voici qu’on nous sert une alternance sans démocratie qu’on appelle « transition ». Pas plus que je n’ai condamné les coups d’Etat au Mali, au Burkina Faso et au Niger, je ne condamnerai pas le coup d’Etat au Gabon[2]. L’acte est litigieux, mais il a plusieurs vertus. La première est qu’il nous fait sortir du cycle dynastique des Bongo en vogue depuis 1967 ; la seconde est qu’il ruine la domination du PDG sur les structures de l’Etat ; la troisième est qu’il nous a évité un bain de sang inutile. La quatrième est qu’il redonne goût à une forme d’unité nationale. Comme quoi, « à quelque chose, malheur est bon ».

Notre transition procède d’un acte illicite s’étant revêtu de caractères héroïques parce qu’il a sauvé la République. Même si elle est censée nous conduire au droit, elle n’est pas moins un non-droit. Elle est un moment qui suspend la norme, mais elle se déclare comme un instant de Restauration des institutions dans leur identité républicaine pour les sortir du joug de la patrimonialisation bongoïste.

Ce moment hors-la-loi ne peut pas durer. Et ceux qui en sont à la tête doivent être assujettis à un texte que l’on pourrait appeler « Charte de la Transition ». Il est la condition même de l’acceptabilité du hors-la-loi, sinon se détourner de la loi devient la règle. Cela signifie que, pour que les libérateurs soient vraiment des libérateurs, ils doivent circonscrire leur acte dans un temps court et sous l’autorité d’un texte qui les contraint à réaliser la restauration des institutions pour ramener la communauté dans la normativité républicaine et démocratique.

« Sa conscience n’a pas d’yeux, c’est pour ça qu’il ne voit pas Dieu » (Pierre Claver Akendengué)

Qu’était-il arrivé à tant de compatriotes intellectuels ou lettrés, élites politiques et administratives pour soutenir ce Mal associant « bongoïsme » et « pédégisme » ? Des figurations de l’illettrisme. C’est un violent paradoxe. Ceux qui savaient lire ne comprenaient plus l’esprit de la lettre, c’est-à-dire le pourquoi de la connaissance. Ils ne savaient plus à quoi sert la connaissance, ils s’étaient enclavés dans leurs ventres corrompus par un Evus toujours demandeur, parce qu’ils étaient toujours en crise de portemonnaie et de prestige. Et l’Evus demandait voiture, maison, etc. Et devenus arrogants, ils croyaient que l’arrogance dissimulait leur illettrisme alors qu’elle en était la manifestation. On les a vus circuler partout, scandant les hauts faits d’un chef devenu l’ombre de lui-même, avec costume, cravate, grosse voiture, le français à la bouche. Ils parlaient bien, mais leur langue était mensongère. Etre de la famille était devenu le critère pour commander ; être proche du DCP était le critère pour écraser les autres ; avoir la carte du parti équivalait presqu’à un diplôme universitaire puisque l’adhésion au parti des masses pour espérer un emploi ou propulser sa carrière ; verrouiller les yeux était la condition pour vivre dans l’opulence et tant pis si on faisait peu de cas de la morale. Ils disaient même que la politique, ce n’est pas la morale comme si une société pouvait exister en dehors de toute moralité.

Que faut-il faire de ces clercs qui écument les académies, les administrations, les partis politiques, les banques ? Parce que ceux qui se sont trompés brandiront bientôt leur expérience dans la haute administration. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ils ont eu l’expérience du Mal. Et comme l’on dit, « celui qui a trahi trahira encore ». Ces hommes d’expérience se sont trompés parce que leurs consciences n’ont pas d’yeux, c’est pourquoi ils ne peuvent voir Dieu, c’est-à-dire le peuple et la patrie. Ils ne se trompent même pas, ils croient juste le mal qu’ils opèrent. C’est pourquoi, dans la Transition, et pour que ce temps soit vraiment transitionnel, il faudra séparer de bon grain de l’ivraie. Sinon on aura mal fait de boire le vin du putsch.

Dissoudre le PDG

Comme le pétainisme en France, le nazisme en Allemagne, le franquisme en Espagne, le bongoïsme-pédégisme doit être traité avec la plus grande sévérité pour que l’hydre ne renaisse jamais de ses cendres. Car le PDG est, à l’observation, une organisation criminelle, une vraie association de malfaiteurs : crimes rituels, crimes économiques, crimes contre la démocratie, crime contre la République… Tous les crimes y sont passés et ont été exécutés par des bandes organisées qui se sont succédé au sommet de l’Etat. En tant qu’organisation criminelle, le PDG a toujours recruté, sous la houlette des « Distingués Camarades Présidents », du personnel pour truander l’Etat et se mettre sous la protection de la loi.

Et puisque la justice ne peut pas poursuivre tous les criminels, d’aucuns craindront de mettre l’unité nationale en péril, il faut dissoudre le Parti Démocratique Gabonais. Il est le fer de lance de la dégénérescence des esprits, de l’asservissement de pères et mères, de la corruption de la jeunesse, de la propagation de l’immoralité dans la culture générale ; il est un repaire de voyous. Le PDG a voulu faire du mal au pays jusqu’au 30 août dernier lorsque Stéphane Bonda a annoncé Ali Bongo vainqueur de la présidentielle et que ses ouailles ont commencé à chanter. N’eût été la vigilance de l’armée, le sang aurait coulé à flots dans ce pays, dans l’indifférence des PDGistes, organisateurs et laudateurs des crimes. Les militants du PDG, conditionnés dans la discipline et la fidélité, doivent avoir un sentiment coupable, un sentiment d’indignité pour avoir soutenu l’ignominie, même quand Ali Bongo était malade et que le collectif Appel à agir a alerté sur l’imposture qui se trémoussait au sommet de l’Etat. Le PDG envoûte ses militants, ruine la raison et cultive l’ethnisme à haute échelle. La repentance des PDGistes n’est possible qu’avec la dissolution pure et simple de ce parti.

Les biens mal acquis

Ce concept est utilisé exclusivement pour les biens mobiliers et immobiliers issus des transactions mafieuses transnationales, relatives aux richesses des dictateurs africains dans les anciennes métropoles. Il y aurait du sens à l’étendre jusqu’au Gabon, parce que « le détournement des deniers publics » n’est pas suffisant pour couvrir l’ensemble des opérations illicites et malignes des éminents membres du PDG et du régime Bongo.

L’opulence de certains fonctionnaires et autres agents de l’Etat ne s’explique point au regard de la grille des rémunérations à la fonction publique. Les primes et autres profits illégitimes que se sont octroyés tant de chefs d’administration demandent une visitation pour s’assurer qu’elles ont été bien acquises. Le plus sûr est que des mécanismes subtiles et cyniques ont été mis en place, et pas que des cumuls de fonctions, pour grever les budgets publics en revêtant le sceau de la légalité. Trop de biens sont mal acquis, preuve de la corruption générale qui gangrène le pays et qui aspire la petite élite locale au PDG. Et il ne s’agirait guère d’une chasse aux sorcières si la nouvelle République que voudrait incarner le général Oligui ouvrait ce chapitre.

Le vin pourrait coincer à la gorge

La cérémonie d’investiture réunit tous les ingrédients pour préparer une déception nationale. Il ne fait guère bon goût d’être un oiseau de mauvais augure dans l’euphorie générale qui n’a pas touché le fond du Komo. Le général Oligui que l’on sait gré de nous avoir libéré des Bongo et du PDG, a dit vouloir préserver les acquis de la démocratie. Accordons-lui ces phrases dans un moment euphorique. Mais où est la Charte de la Transition ? Va-t-on continuer avec l’opacité du monde ? Quelle est la durée de la transition ? Et que font tous ces membres de l’organisation criminelle à la table du nouveau monde alors qu’ils sont les acteurs du Mal ? Même Dieu n’a pas encore accordé son pardon à Satan, que déjà notre président de la Transition a pardonné à ceux qui ont torturé les Gabonais ! Il faut séparer le bon grain de l’ivraie, mon général ! Le vin est tiré, je n’ai pas commencé à le boire, mais j’en meurs d’envie. Je ne sais juste pas comment le boire… J’attends encore la démocratie ! Parce que « tout est bien qui finit bien », voici mon serment : « Je jure de rire avec le général Oligui à la fin de la Transition lorsqu’il aura remis le pouvoir aux civils dans les formes démocratiques ».

*Maître de conférence, écrivain, membre de la société civile

_________________________________________________________

[1] Boundzanga N. B., « Un pistolet pointé sur le bulletin de vote » dans Gabonreview, 16 juillet 2023

[2] Boundzanga N. B., « Coup d’Etat et langue de bois : la démocratie aux abois », dans Gabonreview, 9 août 2023

 
GR
 

7 Commentaires

  1. Akoma Mba dit :

    Mon Général Président. De grâce, qu’aucune personalité ayant collaboré de près ou de loin avec la famille Bongo ne rentre au Gouvernement de transition.Chasser le naturel,il revient au galop.
    Je vous invite à lire Akoma Mba. Il y en a plein au Gabon qui avons préféré faire autre chose que se mélanger avec cette honte qui gouverné et pillé notre pays. Pas besoin de faire du neuf avec du vieux. Suivez mon regard.

  2. Tata Nzame dit :

    Et oui, le vin est tiré et il faut le boire.
    Bon texte, je suis en plein accord avec celui-ci.

  3. Lavue dit :

    Les pédégistes formatés depuis 55 ans dans la négativité et la bêtise ne vont pas se transformer aujourd’hui, on espère tous que le CTRI ne se montrera pays naïf. Ils ont leur conception de la politique. Les effets ont les a subi durant 55 ans et surtout durant les 14 dernières années ou ils se sont crus éternels à la tête du pays. Leur solidarité basée sur l’appartenance aux cercles ésotériques tue toute sorte de réflexion et d’humanisme, tous sont derrière le DCP comme des moutons de pâture. Ils sont tous pourris, opportunistes de tous poils, faux. Chercher a en repêcher quelques uns serait une très très grave erreur. Il faut repartir avec des nouvelles personnes et punir sévèrement ceux qui ont commis les les plus grosses forfaitures financières et humaines car il y a beaucoup de criminels de sang dans le PDG et ça ne date pas d’aujourd’hui. Abandonné et livré à son sort, le PDG disparaitra sous peu de sa propre mort. Je ne vois pas qui pourrait avoir le courage de proposer aux Gabonais un tel machin politique après tous les dégâts qu’il a généré.

  4. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour cher compatriote,

    Non, le vin n’est pas tiré. Le raisin n’a pas le degré qu’il faut pour être vendangé. Il n’est pas arrivé à maturation. Il est plein de vert jus et le climat pluvieux ne s’y prête pas pour sa récolte. Donc, il n’y a pas de vin à boire, même bourru.

    Prudence est mère de sureté dit l’adage. Il faut observer le CTRI dans ses actions et juger ceux-ci au pied du mur jusqu’à la fin de la Transition. Je suis d’avis comme vous de dissoudre le PDG. Ses symboles. Ses mécanismes. Ses mauvaises pratiques. Ses schémas mentaux partagés et contagieux.

    Il faut expliquer aux jeunes générations que le travail est une vertu. Que l’honnêteté intellectuelle est une valeur cardinale. L’opportunisme un danger. L’enrichissement illicite (biens mal acquis) une honte. Car « pierre qui mousse n’amasse pas mousse ». Ce qui m’amène à dire, contrairement à vous, que : »Le mouton s’attache plutôt là où il veut brouter ».

    Il a une attitude très opportuniste. L’idée de dissoudre le PDG est-il inclus dans la charte de la Transition? Je ne sais pas. Quelqu’un l’a lu?

    Pour la suite, rien avec le PDG. Aucune association. Il n’y a rien de bon avec ce parti de voyous, de cas sociaux, de mercantilistes, etc. Ce sont des irresponsables. « chasser le naturel il revient au galop ». La politique n’est pas un métier! Certains y voit une carrière facile. Non, Président(e), député(e)s, sénateurs (sénatrices), conseillers municipaux (conseillères municipales) est un mandat accordé de manière limités (2 maximum) par le peuple. Toute stratégie d’enracinement peut entraîner des coûts.

    Pour finir, bien retenir ceci: D’UN ANE (s’agissant du PDG), TU NE FERAS JAMAIS UN CHEVAL DE COURSE.

    Salutations.

  5. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour,

    « Pierre qui mousse n’amasse pas mousse »= lire « Pierre qui roule n’amasse pas mousse ». il faut comprendre qu’une vie insouciante et instable ne permet pas la construction d’un patrimoine consistant.

    Cordialement.

  6. […] Noël Bertrand Boundzanga, « Le vin est tiré, comment il faut le boire », dans Gabonreview, le 6 septembre […]

  7. […] Noël Bertrand Boundzanga, « Le vin est tiré, comment il faut le boire », dans Gabonreview, le 6 septembre […]

Poster un commentaire