La chute des cours du baril du pétrole, l’arrêt de l’économie nationale et des économies des grandes nations, à travers les mesures de confinement en cours, éprouveront cruellement l’économie gabonaise. Telle est la perspective sombre mais lucide qu’entrevoit Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, non sans proposer des pistes de solutions. Inspecteur des Finances, diplômé de l’Institut de l’Économie et des Finances, puis de l’ENA de France, ce militant de l’Union Nationale et membre du collectif Citoyen Appel à Agir, nous rappelle qu’au-delà son engagement politique son métier ce sont les Finances publiques.

© Gabonreview/Shutterstock

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Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, Inspecteur des Finances. © Droits réservés

Les premiers rapports sur les incidences économiques et financières du Covid-19, publiés le 13 mars 2020 par la Commission économique pour l’Afrique (CEA), et le 24 mars 2020 par la Commission économique des États de l’Afrique centrale (CEMAC), confirment la gravité de la crise économique et financière à laquelle le Gabon, à l’image des autres pays africains, va devoir faire face.

Depuis 2015, notre pays traverse la plus grave crise économique de son histoire. Le programme d’ajustement structurel signé avec le FMI et soutenu par la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et la France (sous le couvert de l’AFD) n’a eu pour effet que de blanchir et alourdir l’endettement du Gabon. La chute de 60% des cours du baril du pétrole, de janvier à mars 2020, ajoutée à la mise à l’arrêt de l’économie nationale et des économies des grandes nations, à travers les mesures de confinement qui sont prises, éprouveront indubitablement encore plus l’économie gabonaise.

Devant cette situation, et si aucune démarche courageuse n’est entreprise, les recettes budgétaires ne permettront pas à l’État de continuer à assurer financièrement le fonctionnement régulier des pouvoirs et administrations publics, de respecter ses obligations financières auprès des créanciers nationaux et internationaux, de répondre à l’urgence sanitaire et assurer l’accompagnement économique et social des entreprises et des populations. La loi de finances rectificative qui doit être présentée dans les meilleurs délais est donc d’une importance particulière pour permettre au pays de construire sa résilience sanitaire, économique et sociale face à cette crise.

La première exigence à laquelle le Gouvernement ne saurait se soustraire est l’obligation de transparence. Il est en effet impératif que le Ministre de l’économie présente de manière transparente, sans aucune dissimulation, la situation budgétaire et financière de l’État. Il importe en particulier de présenter de manière exhaustive la situation d’exécution du budget de l’État à date, y compris la gestion des 180 milliards de Fcfa de ressources supplémentaires obtenues lors de l’opération de l’emprunt obligataire international (Eurobond) conclu en janvier dernier.

Le Ministre de l’Économie devra également présenter les estimations de recettes les plus prudentes possibles afin d’éviter d’engager l’État au-delà de ses possibilités. Il sera aussi tenu de faire toute la lumière sur les ressources de l’État régulièrement dissimulées, notamment les ressources des secteurs miniers et pétroliers.

Toutefois, nous devons à la vérité de reconnaitre que l’État ne disposera pas de ressources suffisantes pour faire face à cette situation. Et le recours aux mesures classiques d’ajustements budgétaires aurait des effets dévastateurs s’il venait à être retenu. En effet, un ajustement classique par la dépense aurait pour conséquence de priver l’État de toute possibilité de soutenir vigoureusement les entreprises et les populations fragilisées par les mesures de confinement. De même, un ajustement classique par l’emprunt ou le rééchelonnement de la dette viendrait aggraver le niveau déjà élevé de l’endettement du Gabon. Il est donc à exclure la trompeuse facilité du recours aux nombreux financements proposés par les bailleurs de fond.

Dans cette situation, que faire ?

À situation exceptionnelle, mesure courageuse. La mesure courageuse à prendre dans cette situation est celle d’opérer une translation sans frais, au 1er janvier 2021, du paiement du service de la dette des Neuf (9) derniers mois de l’année (avril à décembre 2020), y compris les dépôts à la BEAC sur le compte des réserves. Cette translation sans frais ne concernerait ni les eurobonds ni la dette intérieure des entreprises du secteur réel.

Cette décision permettrait à l’État de mobiliser environ 580 milliards de Fcfa qui seraient, dans un cadre de gestion ad hoc, entièrement consacrés à la réponse à la crise sanitaire, économique et sociale due au Covid-19. Ces 580 milliards correspondent à l’estimation du service prévisionnel de la dette pour les trois derniers trimestres de l’exercice 2020 en ce qui concerne dette extérieure hors eurobonds, la dette intérieure hors moratoires et les dépôts à la BEAC.

La translation sans frais du paiement de la dette se distingue du rééchelonnement et du différé de paiement en ce sens que le pays n’aura pas à supporter des frais financiers additionnels. Il s’agit d’opérer un glissement temporel de neuf mois dans le paiement de nos créances afin de permettre à notre pays de faire face à une situation de crise exceptionnelle et être en mesure de garantir le redressement du pays.

En contrepartie, ces ressources tirées du service de la dette seraient versées dans un compte spécial à la Banque centrale. Les 580 milliards de Fcfa ainsi mobilisés seraient consacrés pour partie à la riposte sanitaire face au Covid-19 et pour l’essentiel au financement des mesures de soutien aux entreprises, aux petits commerces et aux populations impactés par les mesures de lutte contre le Covid-19. De manière exceptionnelle, une commission spéciale, placée sous la Co-présidence des Présidents des commissions des finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat, serait chargée de l’affectation de ces ressources. Cette Commission, qui serait assistée d’un secrétariat technique, comprendrait également des membres du Gouvernement, des organisations patronales, des Syndicats et de la société civile.

Le Ministère de la Santé présenterait les besoins de renforcement du système sanitaire pour mieux faire face à la crise sanitaire. À titre d’illustration, devant les faibles capacités d’équipement de réanimation du pays, il semble nécessaire de louer en urgence un Navire hôpital qui serait capable de prendre en charge dans des conditions optimales les formes graves de la maladie.

Le Gouvernement, le Patronat, les syndicats et la société civile proposeraient les mesures de soutien à l’économie et aux ménages. Celles-ci pourraient se traduire par la prise en charge des frais d’électricité des ménages les plus modestes, le paiement des loyers et autres charges des commerces fermés par le Gouvernement, etc.

Les habitués des solutions classiques d’ajustement des pays pauvres ne manqueront pas d’objecter le strict respect des engagements financiers de l’État et le risque de s’aliéner les milieux financiers. Cela est fort compréhensible. Mais, si dans un communiqué commun, le FMI et la Banque Mondiale ont appelé le 25 mars 2020  » tous les créanciers bilatéraux officiels à suspendre les remboursements de dette réclamés aux pays IDA qui sollicitent un délai de grâce », c’est bien que nous allons devoir sortir des schémas habituels. L’erreur serait de laisser à d’autres le soin de choisir ce qui est bien pour notre pays. Le Gabon doit présenter sa solution de sortie de crise et la partager avec ses partenaires de la CEMAC, puis de l’UA. Sur cette question, plus les États africains seront unis, mieux ils se défendront face aux partenaires au développement.

La situation de crise dans laquelle le pays va se trouver exige du courage et aussi une grande éthique de responsabilité. Nous y sommes.

Jean Gaspard Ntoutoume Ayi

Inspecteur des Finances

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GR
 

2 Commentaires

  1. Milangmissi dit :

    Et dire que certains qui n’ont rien compris au fonctionnement d’un Etat disent l’opposition ne fait rien.
    Merci M.Ntoutoume Ayi pour cette contribution

  2. Axelle MBALLA dit :

    Axel Mballa La grande farce de ces criminels: absence de vraie politique de santé, absence de plateaux techniques sur toute l’étendue du territoire national, n’en parle pas de l’absence de la planification de la politique de santé et par conséquent des prévisions et donc des prévisions épidémiologiques. Devrais-je aussi parler de l’approvisionnement aux mains des habituels mafieux qui passent depuis des lustres des commandes « du faux médicament absent de tout contrôle »? Quel autre autre crime étonnerait pour décimer les gabonais? Pour ce régime criminel, se servir du corona virus est le graal morbide aux mains des incapables… Mais Bon! C’est le Gabon… Un masque contaminé, un faux masque, etc… c’est toujours bon pour la photo…Au Gabon, vous votez, vous choisissez un élu, on vous tue, et le lendemain les mêmes assasins vous tendent un sachet de 5 kgs de riz, de la volaille congélée et avariée et un billet de 5000 Frs Cfa…On a vite oublié! Beau palmarès….depuis bientôt 60 ans

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