À l’occasion de la célébration, ce vendredi 15 mars, de la Journée mondiale des droits des consommateurs, Samuel Minko Mindong*, patron du cabinet juridique Business Nkembo Consulting (BNC), propose aux nouvelles autorités du Gabon de définir une politique nationale de protection du consommateur qui, selon lui, permettrait en outre de lutter efficacement contre la vie chère. Aperçu de ses idées dans la tribune libre ci-après.

Cette année 2024, le Gabon met l’accent sur l’intelligence artificielle que les autorités veulent «juste et responsable pour le consommateur». © D.R.

 

Samuel Minko Mindong, consultant indépendant. © Image personnelle

INTRODUCTION

Depuis 1983, la journée mondiale des droits du consommateur est célébrée le 15 Mars de chaque année dans beaucoup de pays dont le Gabon. Il s’agit d’une initiative lancée en 1983 par la Fédération mondiale des associations de protection des consommateurs (Consumers International). 

Au niveau international le thème de l’année 2024 est «la Finance numérique équitable».

Le thème choisi au niveau national est : «Une intelligence artificielle juste et responsable pour le consommateur gabonais : enjeux et défis».

Le développement fulgurant des services financiers numériques est une véritable révolution qui influence fortement le comportement du consommateur.

En l’absence d’information objective et de réglementation, le consommateur gabonais est très vulnérable vis-à-vis des services financiers numériques qui se présentent à lui. C’est notamment le cas dans les domaines suivants : le transfert d’argent, le commerce en ligne, l’accès sécurisé aux informations relatives à l’utilisation des plateformes en ligne afin d’éviter les arnaques de toute nature, la protection des données personnelles, le montant incontrôlé des commissions prélevées par les différents opérateurs.

Selon un document de Banque Mondiale datant de 2022 «La Protection des Consommateurs de services financiers fait référence aux lois, aux réglementations et aux dispositions institutionnelles qui protègent les consommateurs sur le marché financier. En établissant et en maintenant la confiance des consommateurs, la protection des consommateurs financiers (FCP) contribue à l’adoption et à l’utilisation durable des services financiers et, par conséquent, aux moyens de subsistance économiques».

Que faire face à toutes ces incertitudes qui fragilisent le consommateur gabonais aussi bien au niveau de son pouvoir d’achat, de sa sécurité que des choix éclairés de consommation durable qu’il se doit d’effectuer ?

I. QUE DIT LA RÉGLEMENTATION EN MATIÈRE DE PROTECTION DU CONSOMMATEUR GABONAIS DE SERVICES FINANCIERS NUMÉRIQUES ?

D’une manière générale, en l’absence de loi nationale portant information et protection du consommateur, nous pouvons nous référer à la Directive de la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) n°02/19-UEAC-CM-33 du 08 Avril 2019 harmonisant la protection des consommateurs au sein de la CEMAC.

L’article 7 de ce texte communautaire dispose que «La présente directive s’applique à toutes les transactions entre un consommateur et un opérateur économique relatives à la fourniture, la distribution, la vente, l’échange et l’usage de biens ou services….».

Il s’agit bien de transactions entre les consommateurs et les opérateurs économiques dans le secteur de la finance numérique ; transactions qui rentrent dans le champ d’application de la réglementation communautaire qui prévoit toute une série de dispositions sanctuarisant les droits fondamentaux du consommateur.

Dans le même ordre d’idées, il est possible de s’inspirer du Règlement européen sur les services numériques qui est entré en vigueur le 25 Août 2023.

L’objectif de ce règlement est de protéger les consommateurs contre les contenus illicites et dangereux en encadrant l’activité des plateformes numériques à plusieurs niveaux par des mesures :

– sur la transparence et l’information du consommateur ;

– sur la lutte contre les contenus illicites ;

– sur l’encadrement de la publicité.

II. QUELQUES ELEMENTS POUVANT CONTRIBUER A LA DEFINITION D’UNE POLITIQUE NATIONALE DE PROTECTION DU CONSOMMATEUR.

Dans l’optique de la définition d’une politique nationale en matière de protection du consommateur, il est très important de rappeler les dispositions des articles 125 et 126 de la Directive communautaire n°02/19-UEAC-639-CM-33 du 8 Avril 2019 Harmonisant la protection des consommateurs au sein de la CEMAC.

Article 12. Responsabilité première des autorités publiques.

La protection, la promotion et la défense des intérêts des consommateurs est un intérêt collectif qui relève prioritairement de la responsabilité des autorités publiques.

Article 126. Institution publique responsable.

Les Etats membres désignent l’institution publique responsable de la définition, de la supervision, de la coordination et de la mise en œuvre de la politique nationale de protection du consommateur en veillant à garantir l’autonomie des compétences de cette institution…

Dans les pays d’expression française, un des éléments essentiels pour la définition d’une politique nationale en la matière est l’élaboration d’une loi portant information et protection du consommateur.

Le Gabon n’ayant pas encore élaboré cette loi malgré un premier projet initié en Juin 2013 par le Ministère de l’Economie, il est urgent de combler cette lacune préjudiciable à la protection globale du consommateur gabonais aussi bien au niveau de son pouvoir d’achat que de la garantie, de la sécurité et de la traçabilité des produits et services qui lui sont proposés.

En s’inspirant de la résolution de l’Organisation des Nations Unies sur les principes directeurs pour la protection du consommateur adoptée le 22 Décembre 2015 et de la Directive CEMAC précitée, le corpus juridique protégeant le consommateur gabonais devrait prévoir les principales dispositions suivantes. 

1Fixer le cadre général de la protection du consommateur en veillant à assurer au consommateur un niveau élevé de protection et de qualité de vie.

2- Les droits fondamentaux du consommateur :

– le droit à l’éducation, portant en particulier sur les conséquences économiques, sociales et environnementales des choix qu’il fait ;

– le droit à l’information requise pour lui permettre de faire un choix éclairé selon ses souhaits et ses besoins ;

– le droit d’accéder aux biens et services essentiels ;

– le droit à des modes de consommation durables ;

– le droit à un environnement sain ;

– le droit à la protection contre les risques pour sa santé et sa sécurité ;

– le droit à la qualité des biens et des services placés sur le marché ;

– le droit à la protection et à la promotion de ses intérêts économiques ;

– le droit à la protection de sa vie privée et de ses données personnelles ;

– le droit à des recours appropriés et à des modes effectifs de règlement des litiges de consommation ;

-le droit à la représentation des intérêts collectifs avec les autres consommateurs ;

– le droit de constituer des associations ou des organismes de défense des consommateurs ;

– le droit de participer aux processus de prise de décisions le concernant.

3- Le champ d’application de la réglementation à élaborer: toutes les transactions entre un consommateur et un opérateur économique relatives à la fourniture, la distribution, la vente, l’échange et l’usage de biens ou de services.

Les transactions mentionnées ci-dessus concernent notamment les secteurs de la santé, la pharmacie, y compris la pharmacopée traditionnelle, l’alimentation, les appareils ménagers, les voitures, l’eau, l’énergie, l’habitat, l’éducation, les services financiers et bancaires, les assurances, le transport, le tourisme, les télécommunications et les services de communication électroniques.

4- L’éducation et l’information du consommateur :

-élaboration des programmes d’éducation, de sensibilisation et d’information portant sur des aspects importants de la protection du consommateur, les lois applicables et les services, les associations ou organismes chargés de la protection, de la défense et de la représentation des consommateurs ;

-élaboration de programmes spécifiques dispensés en langues gabonaises et en français destinés aux consommateurs urbains et ruraux ;

-inscription de la protection du consommateur dans les matières enseignées à l’école primaire, au collège et à l’université ;                 

– surveillance de l’obligation générale d’information du consommateur qui incombe à l’opérateur économique (information sur les prix, la qualité, la quantité, l’origine du produit, les caractéristiques essentielles du bien ou du service, l’identité de l’opérateur économique).

5- Sécurité, qualité et traçabilité des produits et services :

– interdiction de mettre sur le marché des produits ou des services mettant en danger la santé et la sécurité du consommateur ;

– obligation d’assurer la traçabilité du produit mis sur le marché.

6- Mise en place et organisation des institutions chargées de la protection du consommateur 

Plusieurs options sont possibles :

– un ministère ou un secrétariat d’Etat chargé de la protection du consommateur ;

– une direction générale spécialement chargée de la protection du consommateur dépendant du ministère en charge de l’économie;

– une autorité de statut public et indépendante.

Les missions principales de l’institution chargée de la protection du consommateur :

– contribuer à la définition de la politique nationale de protection du consommateur ;

– proposer des mesures visant à assurer l’intégration de la politique de protection du consommateur dans les autres politiques publiques ;

– superviser la mise en œuvre de la politique de protection du consommateur ;

– mettre en place un système d’information performant permettant d’observer le fonctionnement du marché, d’identifier les besoins et les attentes des consommateurs en menant des enquêtes et des collectes d’informations aussi bien au niveau national qu’international.

– coopérer avec les institutions provinciales, municipales et locales pour le développement et la mise en œuvre de la politique de protection du consommateur au niveau national ;

– coopérer avec les institutions chargées de la politique de protection du consommateur aux niveaux régional et international.

7- Une attention spéciale pour les associations de défense des consommateurs :

Aider à la création, à l’établissement et au développement des associations de consommateurs, de soutenir leurs activités par des financements appropriés et des séminaires de formation périodiques pour renforcer les capacités de leurs membres.

Signature d’un contrat d’objectifs Administration publique/Associations de défense des intérêts du consommateur.

Le mouvement consumériste gabonais est embryonnaire avec deux structures principales, à savoir l’Organisation Générale des Consommateurs (OGC) et SOS Consommateurs.

La sagesse africaine nous enseigne qu’on n’est jamais mieux défendu que par soi-même.

D’où l’idée de la signature d’une convention d’objectifs entre l’administration et les associations de consommateurs qui ont le même objectif de protéger le consommateur.

En se basant sur la directive de la CEMAC mentionnée plus haut, cette convention pourra -entre autres- préciser les obligations des parties, l’aide que l’Etat doit apporter à la structuration et au fonctionnement des associations de défense des intérêts du consommateur, le renforcement des capacités et les modalités d’actions communes.

8- Mise en place d’un conseil national de la consommation placé sous l’autorité du Ministre en charge de la protection du consommateur.

Ce conseil aura pour mission de permettre la concertation entre les représentants des consommateurs, des opérateurs économiques et des diverses institutions publiques dont les attributions concernent la protection des consommateurs. 

9- Mise en place d’un Observatoire des structures des prix des denrées alimentaires et autres biens de première nécessité et de consommation courante.  

Dans le cadre de l’observation du fonctionnement du marché et de l’information économique cet observatoire aura-entre autres- les missions principales suivantes :

recueillir directement auprès des entreprises les éléments qui concourent à la formation des prix afin de suivre leur évolution au niveau de la production, de l’importation et de la distribution, l’Observatoire pouvant également obtenir des informations pertinentes par d’autres voies ;

établir une liste des entreprises refusant de communiquer les informations nécessaires à l’accomplissement des missions de l’Observatoire afin de la communiquer, si nécessaire, aux Ministères de tutelle en charge de la protection du consommateur ;

informer les agents économiques des résultats de l’analyse des informations collectées ;

comparer -si les données le permettent- le résultat des analyses avec les autres pays membres de la CEMAC ;

 rédiger un rapport annuel d’activités.  

Un Observatoire des structures des prix structuré disposant d’un système d’information performant pourra être un puissant outil d’analyse, de conseil et d’aide à la décision, notamment dans le cadre la lutte contre la cherté de la vie.                                                 

*MINKO MINDONG Samuel, Consultant indépendant en matière de concurrence, de consommation et de protection du consommateur.

 

 
GR
 

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