A l’instar de l’ensemble des pays du monde, le Gabon va s’engager dans la phase de vaccination contre la Covid-19. A cette occasion, Christian Emane Nna, spécialiste des politiques publiques, livre dans nos colonnes, son analyse sur le Plan national de vaccination annoncé par les autorités gabonaises.

«Assurément, des interrogations et des doutes subsistent sur la sincérité et la qualité du plan de vaccination, et sur la capacité de l’Etat à protéger convenablement les populations face aux éventuels effets indésirables des vaccins.» (Christian Emane Nna) « © Gabonreview/Shutterstock

 

Christian Emane Nna, spécialiste des politiques publiques, par ailleurs vice-président de ’’Debout Peuple Libre’’. © D.R.

Le Gabon a reçu, il y a une dizaine de jours, 100 000 doses de vaccin Sinopharma offertes par le Gouvernement Chinois. A la suite de cette livraison, les Gabonais ont appris que notre pays était prêt à déployer son Plan national de vaccination, dont les premiers bénéficiaires seront les personnels soignants, les forces de défense et de sécurité, les personnes à risques et les personnes âgées. Cette annonce a été faite sans aucune précision sur le processus de validation du vaccin, la phase d’information sanitaire aux populations, les mécanismes de recours en cas d’effets indésirables, les critères d’éligibilité des populations cibles, le calendrier, la segmentation et la cartographie du déploiement opérationnel dudit plan.

Dissiper les doutes pour susciter la confiance et l’adhésion

S’il est vrai que gouverner c’est prévoir, il est tout aussi vrai que gouverner c’est expliquer et rassurer. Malheureusement, au Gabon, l’action publique est trop souvent parée d’opacité, de surdité, d’absurdité et de carence. Cela est encore plus vrai en cette période de crise sanitaire. Au moment où l’ensemble des gouvernements du monde rivalisent de transparence, de pédagogie et d’énergie pour rassurer les populations, les Gabonais attendent de ceux qui dirigent le Gabon, des éclaircissements sur le Plan national de vaccination contre le coronavirus. Dans un pays où la moindre information sur la gestion de la Covid-19 et le rapport de l’enquête parlementaire menée sur le sujet, demeurent strictement confidentiels, la mise en œuvre de la campagne de vaccination nécessite que les doutes et la méfiance soient dissipés pour susciter la confiance et l’adhésion des populations.

A titre d’exemple, il y a quelques jours, de nombreux pays, avaient suspendu l’injection du vaccin anti-Covid-19, produit par la firme suédoise AstraZeneca et l’université britannique d’Oxford, avant d’autoriser à nouveau son utilisation à la suite des avis de l’Organisation Mondiale de la Santé et de l’Agence Européenne des Médicaments. Ce vaccin était soupçonné d’avoir provoqué des effets indésirables rares mais potentiellement graves, notamment la formation de caillots sanguins qui auraient causé la mort de quelques personnes. Ces décisions ont été motivées par le principe de précaution et l’obligation de transparence et de protection des dirigeants de ces pays vis-à-vis des populations.

Au Gabon, les gouvernants ne peuvent donc pas se dispenser d’être transparents. Il est impérieux qu’avant sa mise en œuvre, le Plan national de vaccination passe préalablement par une phase d’information sur le processus de validation des donateurs et des fournisseurs de vaccins, les modalités pratiques de son déploiement, les caractéristiques et les risques potentiels des vaccins retenus et les contours de la prise en charge, en cas d’effets indésirables. Le Gabon ne disposant pas d’un fonds d’indemnisation comme certains pays, les dispositions à prendre sur ce dernier point, sont des obligations de santé publique.

Depuis l’avènement de la Covid-19, à l’exception des mesures sécuritaires, la stratégie de riposte du Gabon est très fortement dépendante des dons de ses partenaires et le Plan national de vaccination qui repose, pour l’essentiel, sur l’aide internationale, le confirme. Dans ces conditions, quelles seront les possibilités pour les populations et même pour l’Etat, d’engager des procédures contre les donateurs ou les fournisseurs de vaccins, en cas de complications sanitaires ? Dans tous les cas, les dons de vaccins ne pourraient justifier de renoncer aux droits de Gabonais et au devoir de l’Etat de les protéger. Parce qu’il s’agit de la santé et donc de la vie de nos compatriotes, aucun aspect ne devra être survolé dans l’explication, ni saupoudré dans l’action, encore moins négligé dans la réaction. Il est donc primordial de faire preuve de clarté et de dire la vérité sur toutes les questions que suscite le Plan national de vaccination.

Un plan aussi imprécis qu’improbable

Quelle que soit l’option retenue pour l’approvisionnement en vaccins, entre les dons ou les achats, les contraintes et autres exigences diplomatiques face aux pays donateurs ou fournisseurs, ne devront pas absoudre les laboratoires qui demeurent responsables de leurs produits et de leurs éventuels effets secondaires. De toute évidence, en période d’épidémie ou non, les laboratoires sont responsables des éventuels produits défectueux et sur ce sujet, aucune confusion ne doit être entretenue dans l’esprit des Gabonais, qui doivent être assurés, en cas de besoin, de l’assistance de l’Etat.

Du reste, au-delà de l’ensemble des impératifs de transparence et de sensibilisation, les gouvernants doivent préciser aux Gabonais, le calendrier de la campagne de vaccination, son déroulement, les modalités de stockage, de conservation et d’administration des vaccins. Il est évident que la qualité d’un produit et son efficacité peuvent être entamées par des défaillances dans la chaine d’approvisionnement et de stockage, le rendant ainsi, dangereux pour la santé.

En ce qui concerne, par exemple, le calendrier, le rythme de vaccination est fortement tributaire de l’approvisionnement en vaccins. Or, le Gabon semble reposer sa strategie sur les donations de ses partenaires. Face à la forte demande mondiale, notamment, des pays européens, la dépendance aux dons ne garantit pas à notre pays d’être prioritaire dans la chaine de livraison des vaccins. Nous ne sommes donc pas à l’abri de pénuries récurrentes qui pourraient perturber le déploiement de la campagne de vaccination. Comme chacun le sait, en termes d’échanges commerciaux, seul le client est roi et en l’occurrence, nous sommes davantage des bénéficiaires que des clients.

En d’autres termes, le Gabon ne doit pas limiter son approvisionnement en vaccins, aux seuls dons de ses partenaires.  Pour faire face à l’élargissement des publics cibles qui entrainera une augmentation des besoins, notre pays doit donc anticiper et envisager d’acheter des vaccins comme de nombreux pays ayant le même niveau de revenu. Par ailleurs, bien que l’établissement d’une liste des personnes prioritaires, selon leur niveau d’exposition et de vulnérabilité, soit pertinent, cet ordonnancement doit répondre à la réalité sanitaire de notre pays et non à une logique de complaisance consistant à plaire à une catégorie de la population. En outre, cette organisation serait vaine, si l’Etat est dans l’incapacité de tenir le déploiement du plan de vaccination au bout de quelques semaines, faute d’approvisionnement

Des insuffisances et des incohérences qui appellent la rupture

La campagne de vaccination traitant de la santé des Gabonais, il est donc nécessaire de prévenir d’éventuelles contre-indications, à la faveur d’un protocole de vaccination précisant clairement le parcours de prise en charge sanitaire. Ce dernier, devra s’articuler autour d’une consultation médicale proposée en amont, une information au patient sur les risques et les bénéfices du vaccin, le recueil de son consentement, l’injection selon les modalités de chaque vaccin, puis, un suivi médical assuré dans la durée. C’est peut-être trop demander à des gouvernants qui ne prennent que très rarement leurs responsabilités, mais le protocole de vaccination permettra de s’assurer que tout se déroule bien et de prendre en charge, le cas échéant, les effets indésirables, qu’ils soient bénins, moyens ou sévères. Encore une fois, il s’agit de la santé et donc de la vie de nos compatriotes.

Un autre aspect à ne pas négliger, est la cartographie des centres de vaccination à travers le territoire. Répondant à l’obligation d’universalité du service public et selon les différentes phases de vaccination, tous les Gabonais concernés doivent avoir un égal accès aux centres de vaccination. Cependant, comme nous avons pu le constater pour les centres de dépistage de la Covid-19, qui, en dehors des annonces et de la propagande, demeurent invisibles un an après le début de la crise sanitaire, le déploiement du Plan national de vaccination pourrait se heurter à la réalité des déserts médicaux dans notre pays. Cette problématique doit absolument être prise en compte et trouver des solutions logistiques et pratiques, afin de couvrir l’ensemble du territoire. Au demeurant, les autorités sanitaires ont fait récemment le tour des centres de vaccination retenus et au regard de leur nombre, qui se limite à quelques établissements publics à Libreville, on peut se demander pourquoi de nombreux centres de santé publics et privés ne sont pas associés au Plan national de vaccination ?

Assurément, des interrogations et des doutes subsistent sur la sincérité et la qualité du plan de vaccination, et sur la capacité de l’Etat à protéger convenablement les populations face aux éventuels effets indésirables des vaccins. En définitive, tant que l’opacité sera entretenue sur des questions de fond qui concernent la santé des Gabonais, il y aura inexorablement de la méfiance et de la défiance à l’égard de l’offre de vaccination dans notre pays. Malheureusement, ce ne sont pas les contradictions entre les autorités en charge de la gestion du Plan national de vaccination, qui vont améliorer la situation. En effet, à ce jour, les Gabonais ont eu droit à deux versions sur les segments de la population concernés par le plan. Certains parlent de vaccination de masse, d’autre affirment que le vaccin ne concernera uniquement que les personnes à risques et à cela, on peut ajouter le flou entretenu sur la gratuité, l’exigibilité ou l’impérativité du vaccin.

Indéniablement, parce que l’opacité et la carence ne sont pas la panacée et que l’ensemble des points évoqués ici sont des éléments constitutifs d’un plan de vaccination opérant, ils doivent être pris en compte dans la démarche proposée par les gouvernants.

Christian EMANE NNA, Vice-Président de Debout Peuple Libre

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GR
 

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