«L’assassinat d’Idriss Deby dévoile de la manière la plus cynique et la plus cruelle qui soit la nouvelle stratégie de la Françafrique en Afrique : un processus de recolonisation reposant sur un processus de monarchisation des États africains » pense, à travers la présente tribune, Emmanuel Ntoutoume Ndong, inspecteur général des finances, diplômé de l’École nationale d’administration de Paris (promotion «Liberté, Égalité, Fraternité» – 1987-1989.

Caricature parue en février 2019 alors que des Mirage 2000 de l’opération française Barkhane venaient de contrer violemment une colonne armée tentant d’entrer au Tchad. La France aidait ainsi Déby à préserver et renforcer son pouvoir. © Courrier International

 

Emmanuel Ntoutoume Ndong,
Diplômé de l’École nationale d’administration de Paris (promotion «Liberté, Égalité, Fraternité» – 1987-1989), inspecteur général des finances et docteur en Philosophie. © D.R.

Le président Idriss Deby n’est pas mort au front les armes à la main comme cela est véhiculé par la version officielle. Une analyse logique de la situation montre que nous sommes en présence d’une manipulation et les impacts balistiques relevés sur son corps prouvent qu’il a été abattu par des tirs à bout portant venant de sa garde rapprochée dirigée par le Brutus local qu’Emmanuel Macron vient d’adouber à la tête du Tchad, au mépris de la constitution tchadienne.

C’est vrai que pour Macron et Le Drian, les constitutions africaines n’ont ni la même valeur ni la même vocation que la constitution française. N’ont-ils pas fermé les yeux sur la situation ivoirienne où le président Alassane Ouattara s’est octroyé un troisième mandat illégal au regard de la constitution ivoirienne ? Qu’on l’ait aimé ou pas, Idriss Deby n’était pas n’importe qui. Il était un soldat courageux, intrépide, aguerri, expérimenté, rusé et très entraîné malgré un âge relativement avancé (69 ans). L’armée tchadienne est l’une des plus expérimentées et des mieux équipées d’Afrique subsaharienne, avec des véhicules blindés, des chars d’assaut, l’appui aérien de l’armée française et des soldats rompus à la guerre. Sous le commandement opérationnel direct d’Idriss Deby, l’armée tchadienne s’est illustrée victorieusement sur tous les théâtres d’opérations militaires, tant en Afrique centrale qu’au Sahel. Il est difficile de croire que le commandant en chef d’une telle armée ait pu être atteint de la façon qui a été décrite par des tirs lointains sans rien n’ait été tenté pour le protéger et le mettre à l’abri.

Si des examens balistiques sont menés avec l’objectivité requise et rendus publics, l’on verrait qu’Idriss Deby a été abattu à froid par des tirs à bout portant, y compris dans le dos. Tout pousse donc à penser qu’Idriss Deby a été victime d’un complot préparé et exécuté par des proches. De l’assassinat de Jules César dans la Rome antique, à celui de Laurent Désiré Kabila en RDC, en passant par celui de Thomas Sankara au Burkina Faso, l’histoire montre que ce genre de complots ont toujours impliqué des Brutus locaux. C’est Brutus, fils adoptif de César, qui lui porta le coup de grâce devant le Sénat de Rome. C’est à Joseph Kabila qu’a profité l’assassinat de son père adoptif. Au Burkina Faso, personne ne doute plus aujourd’hui de l’implication de Blaise Compaore dans l’exécution de Thomas Sankara son ami intime, son condisciple, son frère.

Idriss Deby était devenu encombrant pour la Françafrique. Ses déclarations à l’emporte-pièce sur le franc CFA ou sur sa longévité au pouvoir imputée sans aucune précaution de langage à la France, l’ubuesque intronisation au grade de maréchal du Tchad qui rappelle Mobutu et Bokassa, ont déplu aux instances décisionnelles de la Françafrique. Dans le cadre de lutte que la France et la Russie se livrent dans cette région, notamment en Centrafrique, Idriss Deby n’était plus le bon pion. Il a montré des velléités d’indépendance et d’impatience qui ont ruiné sa fiabilité selon le criterium françafricain. Ce qui vient de se passer au Tchad est le remake de ce qui s’est passé en RDC. Arrivé au pouvoir avec l’aide des occidentaux qui avaient abandonné le Maréchal Mobutu devenu indésirable, Laurent Désiré Kabila, dont le tort a été de vouloir ressusciter le rêve lumumbiste d’une indépendance économique du Congo, a été assassiné par un de ses gardes du corps, puis tout de suite remplacé par son fils adoptif, Joseph Kabila.

Le destin tragique d’Idriss Deby devrait servir d’avertissement à tous les présidents d’Afrique francophone. Ils ne peuvent pas, en même temps, être placés et protégés par la Françafrique et refuser de faire ses quatre volontés. Ils sont prévenus une fois pour toute de ce que cette dernière n’hésitera pas à neutraliser quiconque tenterait de se verticaliser, d’autant plus facilement que les rejetons sont prêts à les sacrifier sur l’hôtel de la trahison, de l’ambition et de la cupidité.

L’assassinat d’Idriss Deby dévoile de la manière la plus cynique et la plus cruelle qui soit la nouvelle stratégie de la Françafrique en Afrique : un processus de recolonisation reposant sur un processus de monarchisation des États africains.

Emmanuel Ntoutoume Ndong

 

 
GR
 

6 Commentaires

  1. Grégoire Ndong dit :

    @Emmanuel Ntoutoume Ndong, j’ai l’impression, en lisant ton article, que tu fais plutôt l’apologie de la francafrique. Mais bon, j’espère que ce n’est pas le cas ? Un autre point: je doute vraiment de la réelle mort d’Idriss Déby. Ce qui se passe au Tchad actuellement à du être préparé depuis longtemps à la cellule africaine de l’Elysée. Idriss Déby voulait quitter le pouvoir, on le savait. Mais la France ne voyait pas qui pour le remplacer, jusqu’à ce que leur vienne l’idée du fils de Déby avec l’accord de ce dernier.

    Vous devez savoir une chose: beaucoup de situations présentes que nous vivons en afrique zone CFA sont préparées en amont. Le reste est du théâtre. A vous de me croire ou pas. Mais sachez tout de même que ça s’est ainsi passé pour Albert Bernard Bongo et pour Ali Bongo, tous deux préparés à être des préfets de la Métropole au Gabon.

    Question à la France: c’est humiliant ce que vous nous faites subir au quotidien. Pourquoi ne pas avoir proposé aux pays d’Afrique le choix de demeurer un département ou alors de vivre ces pseudos indépendances ? Moi j’aurai préféré être « français » du département du Gabon, plutôt que d’être esclave-gabonais. C’est peut-être quasiment la même chose à une différence prêt. Et en restant un département français, vous français au pouvoir auriez puisé nos richesses du Gabon sans se faire de soucis d’ingérence, puisque nous aurions été département français. Je ne sais pas si je me fais comprendre.

    Bonne journée à tous les gabonais.

  2. Le Patriote dit :

    Arrêtons de pleurnicher. Nous passons trop de temps à dénoncer les agissements de la France en Afrique. A la fin, tous les articles se ressemblent. On retrouve les mêmes introductions, les mêmes développements et les mêmes conclusions lorsqu’elles existent. Pourtant, s’il y a une chose que tous les Gabonais ont bien compris, c’est que la France est la source de tous nos malheurs. Alors, au lieu de chercher toujours à faire croire que BOA est mort, pourquoi n’organisons nous pas des marches à Libreville et dans les provinces pour demander à la France de libérer le Gabon ? Pourquoi les activistes gabonais ne marchent ils pas à Paris pour demander à la France de libérer le Gabon ? Ces mouvements de contestation pourront toucher l’opinion française. Les élections présidentielles en France c’est en 2022. Si Macron veut être réélu, il sera obligé de faire un geste, car le cynisme de la France en Afrique va monopoliser les débats, eu égard au drame de l’immigration.

  3. Jones dit :

    Les Français. Ils apprécient des chefs d’État faibles et manipulables à souhait (comme bébé Idris) et qui sont dans une situation de fragilité à tels point qu’ils leur sera facile de faire des concessions sur toutes les richesses afin de perpétuer le pillage.

    • Joël dit :

      Pauvre Le Patriote. C’est comme si les gabonais n’avaient jamais lutté pour leur libération. Arrête de faire aussi des commentaires sur cette page de Gabonreview et commence à mobiliser les troupes. Je voudrais te rappeler que nous n’avons pas affaires à un petit morceau. La francafrique est un iceberg. Quand nous allons appliquer ce que tu proposes de poser comme action, la francafrique se mobilisera aussi pour déjouer nos actions.Je ne dis pas ça pour te décourager, mais nous avons en face de nous un GROS iceberg. Même les pays qui ont déjà connus des révolutions comme la Tunisie, le Burkina Faso ne sont pas arrivés à s’en débarrasser, à plus forte raison un tout petit pays comme le notre ?

      Pour moi, personnellement, la première des solutions serait Dr faire bloc pour déjouer les pièges de la francafrique qui réussit quand on est divisé. Mais comment faire bloc quand beaucoup d’entre nous sont facilement corruptibles ? Le problème est là surtout.

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