Un mois seulement après la chute de l’ancien régime l’optimisme et l’espoir nés de la prise du pouvoir par le CTRI semblent s’effriter de jour en jour. Les récriminations à l’endroit des nouvelles autorités portent essentiellement sur ce qui, pour beaucoup de Gabonais, s’apparente déjà à un retour à « l’ordre (ou au désordre) ancien ». Si Pour Mamadou Diatta et Yannick Egnongo, respectivement docteurs en Science politique et Relations internationales et en Science de Gestion, il est totalement prématuré de tirer un quelconque bilan à ce stade, les autorités de la transition ne peuvent faire totalement abstraction des bruissements qui sonnent un peu comme une forme de rappel à l’ordre. Dans la tribune ci-dessous, les auteurs estiment que la restauration du pays ne se fera qu’au prix d’une véritable « révolution copernicienne » de notre société et de la cohérence entre les actes et le discours des autorités.

Un mois seulement après la chute de l’ancien régime l’optimisme et l’espoir nés de la prise du pouvoir par le CTRI semblent s’effriter de jour en jour. © D.R.

 

À la suite de la prise du pouvoir par le Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI), le 30 août dernier, une multitude de demandes populaires se sont exprimées. Au nombre des attentes immédiatement mises en avant : le renouvellement des dirigeants, la fin du clientélisme et la mise en place d’institutions véritablement démocratiques. Si d’aucuns pourraient considérer ces réclamations comme prématurées à ce stade, celles-ci témoignent en réalité de l’urgent et impérieux besoin de démocratie et de justice sociale d’un peuple trop longtemps muselé et largement délaissé au profit d’une certaine oligarchie.

De toute évidence, l’arrivée au pouvoir du CTRI s’est accompagnée d’une nouvelle dynamique entre gouvernants et gouvernés, au travers de laquelle les Gabonais font valoir l’exercice d’une « nouvelle » liberté d’expression. Acteurs de la société civile, intellectuels, ou citoyens lambda, nombreux sont les compatriotes qui participent de plus en plus activement aux débats sur les questions d’intérêt national sans être, pour le moment, inquiétés pour leurs opinions. La montée de cette expression publique est aussi caractéristique des sociétés qui vivent un moment de transition ou de démocratisation auquel tout le monde voudrait prendre part.

Dans cette déferlante d’âpres échanges et de confrontations entre compatriotes, certains sujets d’intérêts reviennent de façon récurrente.

Une charte de la transition qui suscite des interrogations

Mamadou Diatta est Docteur en Science Politique et Relations Internationales de Sciences Po Paris. © D.R.

Censée encadrer la période de transition et poser les jalons d’un retour à l’ordre constitutionnel, la charte de la transition a visiblement été rédigée dans la précipitation, soulevant ainsi un ensemble de questionnements se cristallisant essentiellement autour de deux points : l’absence de précision de la durée de la période de transition et l’ambiguïté autour de l’éligibilité du président de la transition à l’élection présidentielle à venir.

Si le CTRI et le gouvernement de transition rétorquent que le premier point sera traité de façon collégiale à l’issue d’une grande conférence nationale, pour certains Gabonais : « le conflit d’intérêt est patent » étant donné que les institutions de la transition (CTRI, Assemblée nationale et Senat) devraient manifestement valider la durée de leur propre mandat. Il faudra donc s’en remettre : « à la bienveillance d’institutions et d’individus qui n’ont pas été élus », en espérant que l’intérêt supérieur de la nation prime sur les intérêts personnels et partisans.

Il faut dire que l’exemple de certains pays africains, inspire à un optimisme prudent : « la situation du Mali devrait tous nous inciter à rester vigilent ». A titre de rappel, au Mali, la charte initialement promulguée le 1er octobre 2020 prévoyait une durée de la transition de dix-huit mois, alors que dans sa version révisée de 2022, elle prévoit désormais une durée de la transition qui pourrait aller jusqu’à 5 ans, semant ainsi le doute quant aux véritables intentions du Comité National de Transition (CNT) Malien.

Si comparaison n’est pas raison et que les spécificités de la situation du Gabon doivent guider la décision sur la durée de la transition, aucune transition n’a vocation à régler tous les problèmes d’un pays et donc à s’éterniser au pouvoir. La transition doit, tout au plus, expédier les affaires courantes et créer les conditions pour un retour à l’ordre constitutionnel, tout en jetant les bases de la reconstruction du pays.

De même, : « l’absence de clarté définitive sur l’éligibilité du président de la transition à la future élection présidentielle », contribue à entretenir un flou qui n’est pas de nature à rassurer l’opinion publique nationale et internationale.

Désenchantement prématuré ou inquiétudes avérées ?

Yannick Egnongo est Docteur en Science de Gestion de l’université Grenoble Alpes. Expert en Fusions – Acquisitions . © D.R.

Un mois seulement après l’avènement du CTRI, plusieurs de ses choix suscitent déjà des interrogations et des récriminations plus ou moins véhémentes de la part des populations qui aspiraient à un toilettage immédiat de la vie publique. Pour beaucoup, « le choix de certains membres du gouvernement », « certaines nominations au sein de la haute administration », et « la salve d’audience de personnalités reçues en grande pompe par le président de la transition », remettent profondément en question la crédibilité du discours de rupture affiché par le CTRI, et tant souhaitée par les Gabonais. De même que « d’aucuns estiment » que la « militarisation » de l’administration publique ne résorbera pas mécaniquement le problème de la mauvaise gouvernance.

Beaucoup ont vu dans ces décisions, une entorse prématurée à plusieurs principes fondamentaux de la charte de la transition, ainsi qu’un affront de la part de ceux et celles qui : « narguaient les Gabonais il y a encore quelques semaines ». Ce « retour désespérant à l’ordre (ou au désordre) ancien » constitue pour bon nombre de compatriotes le début d’un désenchantement par rapport aux espoirs qu’ils avaient placés dans le CTRI.

Si une forme de pragmatisme doit guider l’action publique, cela ne saurait se faire au détriment du respect de la règle énoncée et d’un certain renoncement à l’idéal républicain, et ce même si la transition reste un moment exceptionnel.

Beaucoup craignent que ce qui apparaît de plus en plus comme étant des balbutiements propres à toutes transitions soient aussi l’œuvre des forces de l’inertie tapies dans l’ombre, et qui travaillent sans relâche au maintien d’une forme de statu quo aux dépens des aspirations profondes des Gabonais.

Le Gabon est à un tournant historique de sa vie politique, qui requiert un dépassement de soi et une sortie immédiate des vieux schémas et des vieilles habitudes. Ce n’est qu’au prix d’une sincère « révolution copernicienne » qui doit s’opérer au sein des institutions et dans le corps politique et social, que le pays pourra réaliser son vaste potentiel.

En définitive, aucun bilan définitif ne saurait être dressé après seulement un mois d’exercice du pouvoir. Nul doute que le CTRI, sentant poindre à l’horizon le vent du désamour des populations, saura rectifier le tir dans les mois à venir. Dans ce Gabon « nouvelle version », où les opinions exprimées par nos compatriotes à l’égard des nouvelles autorités fluctuent au gré des annonces quotidiennes, le CTRI a encore en main les cartes de sa crédibilité. Ce n’est qu’en plaçant le bien-être de tous au cœur de leurs actions, et en respectant les principes fondamentaux de la bonne gouvernance, que les autorités en place réussiront à restaurer la confiance entre le peuple et celles et ceux qui les gouvernent.

Mamadou Diatta est Docteur en Science Politique et Relations Internationales de Sciences Po Paris. Expert en Science Politique, Relations Internationales, Politique et Administration Publiques. Il est cadre dans une ONG internationale et chargé d’enseignement vacataire à Sciences Po Paris.

Yannick Egnongo est Docteur en Science de Gestion de l’université Grenoble Alpes. Expert en Fusions – Acquisitions, actuellement Cadre dans un Cabinet de Conseil International.

 
GR
 

6 Commentaires

  1. SERGE MAKAYA dit :

    Mon fils Brice Clotaire Oligui Nguéma et les autres militaires qui ont fait ce coup^d’Etat SALUTAIRE (il faut aussi reconnaître ça), n’ont pas la science INFUSE. Alors, n’hésitez pas aussi de leur apporter votre savoir pour une TRANSITION réussie. On a besoin de TOUS pour réussir cette TRANSITION.

    Mon fils Brice Clotaire Oligui Nguéma, est-il possible de mettre en place un SITE INTERNET (ou une simple page web) où les Gabonais peuvent s’exprimer DIRECTEMENT au CTRI qui prendra aussitôt en compte les doléances des uns et des autres ?

    Mon fils, tu dois TOUT FAIRE pour que cette TRANSITION soit une réussite TOTALE. Fais-le avec tes collègues des forces Armées. Le peuple Gabonais vous sera très reconnaissant. Et vous nous servirons de modèle pour d’autres pays d’Afrique. AKIBA mon fils. AKIBA.

  2. Akoma Mba dit :

    Les militaires font des coups d’état pour sauver le pays de la dérive et une fois la période de transition écoulée, ils doivent retourner dans les casernes.
    Il n’y a donc pas lieu qu’un militaire se présente aux élections.
    Au Royaume Uni, les militaires ne votent même pas car ils sont là pour servir et défendre le pays et ne peuvent prendre partie.
    Cet article devrait être inclu dans la Nouvelle Constitution gabonaise.Pour le reste, aidons tous ensemble les militaires à mettre de l’ordre après un demi siècle de gabégie et de sous-développement et que Ali Bongo et sa bande rendent des comptes.

  3. Kobbe dit :

    AVEC 50% DE SES DEVISES EN FRANCE ANNUELLEMENT, LE GABON EST ECONOMIQUEMENT COMATEUX…

    Le Gabon a été violé par deux coups d’ État en un seul mois et une même année:

    1. Vol électoral par Ali Bongo
    2. Vol électoral par annulation des resultats de l’élection (ensuite prise du pouvoir) par Oligui Nguema

    Il y a rien à attendre. On l’a dit et l’avenir le dira: le défi du Gabon ne sera pas relevé par le CTRI.
    On le répète, la tête à changé mais le systeme reste. Le Gabon ne peut pratiquement ni financer ni prêter l’argent: 50% des devises et/ou reserves d’ échanges du pays sont versées à la France depuis plus de 60 années, jusqu’à nos jours. Ainsi l’ État gabonais ne peut entreprendre une forme économique sans l’aval de la France (par son ministère des finances). Écoutez la magnitude de la gravité de cette situation.

    Un maffia économique s’opére et prospère depuis la dite ‘’indépendance.’’ Oligui n’est pas là pour changer le système: il est là pour protéger et maintenir le systeme. Il a ‘’ été accepté ’’ par Paris.

    Alors, pensez-vous de manière rationnelle que le CTRI changera le genocide économique qui crucifie le Gabon et son peuple depuis si longtemps ? Décidément, l’Africain et en particulier le Gabonais est un endormi éternel: en partie à cause de la PRESSE, par le manque des informations vitaux capables d’ éduquer l’esprit des masses sur la géostratégie et la géopolitique de ce monde unipolaire.

    • DesireNGUEMANZONG dit :

      Bonjour Monsieur Kobbe,

      Monsieur Oligui Nguema  » (…) a été accepté par Paris » selon vous. A priori comme son prédécesseur. Le Président sorti (à la retraite) a effectué deux mandats (14 ans) alors qu’il n’a jamais été élu démocratiquement (2009, 2016). Il avait de bonnes relations avec Nicolas Sarkosy. Avait-il financé sa campagne électorale? Cette question s’est parfois posée.

      C’était certainement mieux avant pour moi. La France n’a jamais dit aux gabonais(e)s : de pratiquer le détournement massif de fonds publiques, de supprimer la bourse des collégiens et des lycéens, de ne pas verser les pensions de retraite à nos séniors, de ne pas construire des routes, d’emprunter sur les marchés alors que le pays dégage du « free cash flow », de ne pas entretenir nos aqueducs, de nommer des dirigeants « étrangers » à nos sociétés d’importance stratégique, de changer la Constitution et le code électoral pour se présenter à vie à des mandats électifs, etc.

      Par ailleurs, la CTRI n’a jamais signé ces accords financiers dont vous parlez! Elle n’est donc pas comptable de cette situation. Vous lui faites là un « procès en sorcellerie ».

      Il faut aider le pays à se restructurer (à marcher sur ses deux jambes et non sur la tête). Il ne faut pas aller trop vite. Ensemble, nous devons aller plus loin pour « l’essor » du Gabon. Cet « essor » est d’abord mental (cognitive). Comprenez-le!

      Bonne continuation à vous.

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