Fabrice Nze-Bekale est le directeur général d’ACT Afrique Group, un cabinet panafricain de conseil financier et stratégique créé en 2012 et basé à Dakar, nourrissant une passion forte pour le développement économique du continent africain. Le manager gabonais s’intéresse à l’introduction projetée d’une nouvelle taxe sur les opérateurs de téléphonie mobile dans l’espace Cemac. Arguments à l’appui, Fabrice Nze-Bekale démontre que cette nouvelle imposition accentuerait la pression fiscale déjà existante sur ces opérateurs économiques. Du coup, il pense qu’il serait plus qu’«urgent que les administrations fiscales, régulateurs et experts fiscaux de de la Cemac adoptent quelques principes de bon sens», pour ne pas tuer la ‘’poule aux d’or’’.

Le directeur général d’ACT Afrique Group livre son analyse sur les effets de la nouvelle taxe projetée sur les opérateurs de téléphonie mobile dans l’espace Cemac. © ebconseilfisc.com

 

Lors de la 13ème session ordinaire de la Commission permanente de l’harmonisation fiscale et comptable qui s’est tenue du 2 au 4 novembre 2021, les experts ont proposé l’introduction d’une taxe de 50 FCFA sur le premier appel émis sur le territoire de la CEMAC. Selon www.ndengue.com, cette taxe qui concerne environ 50 millions de personnes pourrait permettre aux États de la communauté de lever plusieurs milliards de FCFA. Cette taxe viendrait augmenter la pression fiscale déjà élevée sous laquelle ploient les opérateurs de téléphonie mobile au point de se demander si les administrations fiscales ne vont pas finir par tuer la poule aux œufs d’or.

La téléphonie mobile a véritablement pris son envol dans le monde en général, et en Afrique subsaharienne en particulier, avec le lancement des premiers réseaux 2G à la fin des années 1990. A la fin de 2018, l’Afrique subsaharienne comptait déjà 456 millions d’abonnés mobiles uniques, soit une augmentation de 20 millions par rapport à l’année précédente et un taux de pénétration de 44%. L’Afrique subsaharienne restera la région du monde présentant le taux de croissance le plus élevé, avec un taux de croissance annuelle composé de 4,6% et 167 millions d’abonnés supplémentaires d’ici 2025. Cela portera le nombre total d’abonnés à un peu plus de 600 millions, soit environ la moitié de la population. Le Gabon comptait 3 millions de lignes mobiles en 2020, soit un taux de pénétration de 171%. Le chiffre d’affaires total du secteur était de 209 milliards[1] de FCFA l’an dernier (soit une augmentation de 11% comparativement à l’année précédente). Les effets positifs de la téléphonie mobile sur le développement économique sont nombreux et démontrés.

Pour commencer, le mobile contribue à la transformation numérique des secteurs clés de l’économie. Dans la fintech francophone, on compte déjà Digitech Africa au Gabon, Wizall en Côte d’Ivoire, InTouch et surtout Wave au Sénégal qui vient de boucler une levée de fonds record de 200 millions de dollars US (près de 100 milliards de FCFA). Dans d’autres secteurs comme l’agriculture, le commerce, l’éducation, le conseil juridique, etc., ces applications causent des bouleversements significatifs dans les chaînes de valeurs traditionnelles en éliminant les inefficacités des modèles commerciaux classiques. De plus, le mobile contribue à la création d’emplois et à la croissance économique.

En Afrique subsaharienne, l’écosystème du mobile joue également un rôle significatif dans l’économie informelle. Près de 1,2 million des 1,7 millions directement employés par cet écosystème du mobile, sont des employés informels, travaillant dans la distribution et la vente au détail de services de la téléphonie portable. En 2018, les technologies et les services mobiles ont généré́ 8,6% du PIB de l’Afrique subsaharienne, en créant une valeur économique ajoutée de plus de 144 milliards de dollars. En 2023, l’industrie mobile représentera près de 185 milliards de dollars (soit 9,1% du PIB). L’écosystème mobile représente également près de 3,5 millions d’emplois (directs et indirects) et a apporté une contribution substantielle au financement du secteur public, avec près de 15,6 milliards de dollars US collectés grâce aux impôts.

Grégoire Rota-Graziosi et Fayçal Sawadogo ont calculé le Taux Effectif Moyen d’Imposition (TEMI)[2] pour une entreprise type dans le secteur des télécommunications, dans le secteur minier et dans un secteur standard de l’économie, en prenant en compte la charge fiscale globale.

Source : Grégoire Rota-Graziosi et Fayçal Sawadogo

En 2019, le TEMI dans le secteur des télécommunications était de 71% pour le Tchad, contre 35% pour une entreprise d’un secteur standard ; 65% contre 38% au Gabon, 66% contre 30% au Cameroun. Pire, le TEMI du secteur des télécommunications est égal ou supérieur au TEMI du secteur minier dans les trois pays. Autrement dit, une entreprise de téléphonie mobile y est plus taxée qu’une mine d’or !

Or, comme l’a démontré Irène SARE KANZIE[3], certes dans le cas du Burkina Faso, « la baisse des investissements est l’une des conséquences directes de l’augmentation de la charge fiscale. Lorsqu’elle est élevée, elle peut influencer les décisions des opérateurs de même que leur incitation à investir ». Entre 2010 et 2015, le montant des investissements du secteur a diminué de 108 à 23 milliards de FCFA quand la proportion des impôts et taxes par rapport aux investissements a augmenté de 31% à 340%.

Courbe de Laffer

Si l’économiste Arthur Laffer a raison, le montant des recettes fiscales commence à décliner lorsque le taux d’imposition franchit un seuil et devient prohibitif. Autrement dit, à partir d’un certain taux d’imposition, « trop d’impôt tue l’impôt ». Hélas, aucun économiste n’est encore parvenu à calculer le taux d’imposition optimal.

Pourtant, on peut déjà craindre que dans la zone CEMAC, si ce taux optimal n’a pas encore été franchi, on y est presque. Il est donc urgent que les administrations fiscales, régulateurs et experts fiscaux de de la CEMAC adoptent quelques principes de bon sens. Puisque les télécommunications sont plus taxées que les mines d’or, il serait logique de leur appliquer des règles qui existent déjà dans les mines. La première est la stabilité des règles fiscales sur la durée de la licence d’exploitation afin d’offrir aux opérateurs l’environnement propice nécessaire pour investir. La deuxième est relative aux incitations fiscales. Dans les mines, la période d’exploration est totalement exonérée d’impôts. Par la suite, le code minier octroie une période de vacances fiscales de trois à cinq ans suivant le début de l’exploitation minière à grande échelle.

Fabrice Nze-Bekale, anciennement responsable de l’activité Corporate & Investment Banking chez Citibank Gabon. © financialafrik.com

De plus, une approche participative impliquant les opérateurs mobiles devrait être adoptée. La concertation et les échanges réguliers permettraient de rapprocher les points de vue et de tenir des contraintes de chaque partie. Pour finir, il est primordial de tenir compte dans la réglementation fiscale du secteur, non seulement des données financières produites par les opérateurs, mais aussi des données indirectes en ligne avec l’importance chaque jour croissante des télécommunications pour des pays qui aspirent bon gré mal gré à poursuivre la transformation digitale de leur fonctionnement, économique, administratif et social, etc.

Fabrice Nze-Bekale

Directeur Général ACT Afrique Group

[1] www.arcep.ga

[2] Les opérateurs de téléphonie mobile plus taxés que les mines d’or en Afrique ? – FERDI – Grégoire Rota-Graziosi et Fayçal Sawadogo, 2020

[3] Quels Iimpacts les taxes télécoms ont-elles sur le développement du secteur au Burkina Faso? – Irène SARE KANZIE

 
GR
 

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