Cheikh Oumar Seydi, Directeur Afrique de la Fondation Bill et Melinda Gates, se penche sur l’approche de la structure qu’il incarne en Afrique face au COVID-19 sur ce continent. Quatre piliers constituent cette approche, à découvrir dans cette tribune libre.

La Fondation Bill et Melinda Gates entend mobiliser des ressources pour apporter des réponses aux questions liées à la pauvreté et à a lutte contre le Covid-19. © D.R.

 

Cheikh Oumar Seydi, Directeur Afrique de la Fondation Bill et Melinda Gates. © D.R.

Depuis l’apparition du virus à la fin de l’année dernière, le COVID-19 a largement été considéré comme une maladie des pays du Nord. Ses effets les plus graves et les plus mortels ont été ressentis en Europe, en Asie de l’Est et en Amérique du Nord. Mais cette tendance risque de changer. Alors que la pandémie atteint son pic et commence à ralentir dans ces pays, des modèles épidémiologiques suggèrent qu’elle va s’accélérer dans les pays en développement, y compris dans ceux d’Afrique subsaharienne.

Nous ignorons encore beaucoup de choses sur le COVID-19, mais une chose est sûre : l’expérience de l’Afrique face à cette maladie sera sans précédent.

A titre d’exemple, les systèmes de santé du continent sont moins bien équipés. Les données indiquent que même un seul hôpital de Manhattan compte plus de lits de soins intensifs que la plupart des pays africains.

Lorsque je rejoignais la Fondation Bill & Melinda Gates l’année dernière en tant que Directeur Afrique, je n’imaginais pas que le continent serait confronté à une situation de cette ampleur, et je félicite les dirigeants du continent d’avoir pris des mesures pour empêcher la propagation rapide du virus au sein de leurs populations.

Je suis disposé à apporter mon soutien. Il en est de même pour la Fondation Gates. Nous travaillons d’ailleurs avec nos partenaires africains à la réalisation de quatre objectifs durant cette pandémie : protéger les plus vulnérables ; accélérer la détection et la maîtrise du virus ; mettre au point des traitements et un vaccin ; et réduire les répercussions sociales et économiques.

C’est ainsi que nous concevons notre travail au sein de la Fondation autour de ces quatre piliers ; mais pour mieux comprendre ce que nous faisons, le plus simple serait de répartir notre travail en deux grands volets : la réponse immédiate et les efforts à long terme.

Le premier est celui où se concentre l’essentiel de notre travail depuis le début de l’épidémie. Ainsi, nous avons contribué à la mise en place de Centres d’Opérations d’Urgence (COU) et avons collaboré avec des partenaires tels que le Groupe de la Banque mondiale et le Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique.

Nous savons que les mesures de distanciation sociale sont nécessaires pour ralentir la propagation du COVID-19, en revanche ces mesures telles qu’elles sont appliquées aux États-Unis et en Europe occidentale, pourraient ne pas fonctionner dans le contexte africain. Sur le continent, nombreux sont ceux qui sont confrontés à un dilemme majeur : rester à la maison ou nourrir leurs enfants. Nous savons qu’un véritable engagement communautaire peut aider à surmonter cet obstacle, et nous travaillons avec nos partenaires pour soutenir cet effort.

Par ailleurs, nous avons contribué à l’intensification de la surveillance et du dépistage des maladies au niveau local au cours des dernières semaines. Au début de l’année, par exemple, seuls deux pays d’Afrique subsaharienne avaient la possibilité de tester le COVID-19. Mais début février, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies ont commencé à former des agents de santé au dépistage du virus. Nous sommes très fiers d’avoir soutenu ce travail, si bien qu’aujourd’hui sur les 54 pays africains, 40 sont en mesure d’analyser des tests de COVID-19.

Ces mesures sont d’une importance vitale, mais même si nous nous efforçons de faire face à cette situation d’urgence, nous nous inscrivons également dans une perspective de long terme. À compter de cette semaine, la Fondation mobilisera des ressources pour apporter des réponses aux questions suivantes : Comment faire en sorte que la pandémie ne réduise pas à néant les progrès réalisés par le continent dans la lutte contre la pauvreté et d’autres maladies ? Et que peut faire l’Afrique pour sortir de cette crise mieux armée et prête à répondre à d’autres crises à l’avenir ?

Nul n’a encore toutes les réponses à ces questions. Nos partenaires en ont quelques-unes. Par exemple, en 2014, la crise d’Ebola en Afrique de l’Ouest nous a appris que, dans une situation d’épidémie, la plupart des décès sont causés non pas par la maladie infectieuse elle-même, mais par des défaillances dans les soins courants. Les enfants meurent parce qu’ils ne reçoivent pas les vaccins classiques, et les personnes de tous âges souffrent parce qu’elles ne bénéficient pas de médicaments contre des maladies comme le VIH, le paludisme ou la tuberculose. Raison pour laquelle nous œuvrons aujourd’hui dans le sens de garantie de la continuité des soins, même en pleine crise du COVID-19.

Nous investissons également dans la R&D (Recherche & Développement) à long terme, nous appuyons notamment les efforts des services des laboratoires nationaux dans la validation de nouvelles méthodes de test. Cela nous aidera plus tard à détecter de nouvelles maladies.

En définitive, les composantes à court et à long terme de notre stratégie vont de pair, et les éléments d’une réponse d’urgence peuvent encore être utiles bien après la crise. À titre d’exemple, nous travaillons sans relâche à la stabilisation du marché des fournitures médicales dont les patients COVID-19 ont besoin, à l’instar de l’oxygène. À l’avenir, ces mêmes systèmes d’oxygène sauveront également la vie de nouveau-nés et d’autres personnes dans le besoin.

Les capacités de test étendues pour le COVID-19 peuvent également servir à lutter contre d’autres maladies, et notre fondation travaille avec le CDC Afrique, ainsi qu’avec d’autres centres régionaux et instituts nationaux de santé publique, pour renforcer cette infrastructure.

La mobilisation du secteur privé pour lutter contre ce virus a été rapide et les capacités qu’il développe seront également utiles plus tard. De nombreuses entreprises sont en train de réfléchir à de nouveaux moyens de financer et de distribuer des denrées alimentaires et des médicaments. D’autres innovent dans le domaine de la santé, en accomplissant des progrès en matière de télémédecine. Ces efforts porteront leurs fruits tant dans l’immédiat que dans le futur, et notre fondation est déterminée à poursuivre sa collaboration avec le secteur privé.

Notre approche de la lutte contre le COVID-19 en Afrique est la même que celle de tous les travaux antérieurs de la Fondation sur ce continent : l’objectif étant de réduire les inégalités.

Les pandémies ont tendance à accentuer les inégalités. Prenons l’exemple du genre. Les femmes représentent la majorité de la main-d’œuvre dans le secteur de la santé, elles sont donc plus exposées à la maladie. Parallèlement, on accorde souvent moins d’attention à leur santé, et en période de ralentissement économique, ce sont des services comme le planning familial et les soins maternels qui sont généralement les plus touchés, et par conséquent, les femmes et les jeunes filles qui arrivent à surmonter la crise du COVID-19 et ses conséquences financières pourraient en plus avoir des difficultés d’accès aux soins de base.

Des inégalités existent également entre les nations, et pas seulement en leur sein. Ces inégalités se manifestent actuellement par des guerres d’enchères internationales pour les EPI (Equipements de protection individuelle). Souvent, les cargaisons de masques ou de respirateurs sont expédiées au plus offrant. Or, cette situation ne devrait pas se produire. Nous devons veiller à ce que toutes les fournitures, en particulier un éventuel vaccin contre le COVID-19, soient acheminées vers les zones où les besoins médicaux se font le plus sentir, et non vers celles qui sont les plus puissantes sur le plan économique. (Heureusement, il existe des organismes comme Gavi, qui jouit de 20 ans d’expérience et qui veille à ce que les enfants des communautés à faible revenu reçoivent de nouveaux vaccins en même temps que les enfants des pays à revenu élevé.)

Nos partenaires et les travailleurs de première ligne (surtout le personnel de santé) sur le continent africain accomplissent des exploits extraordinaires, mais une pandémie de dimension mondiale nécessite une réponse mondiale, et la responsabilité de l’action doit nous incomber à tous.

Cette pandémie a révélé ce que nos partenaires en Afrique ont toujours su : la solidité de notre santé mondiale est étroitement liée à celle de nos communautés les plus vulnérables. Nous pouvons vaincre ce virus, mais il nous faudra le combattre de manière équitable. Nous devons non seulement tenir compte des besoins des plus puissants, mais aussi de ceux de tous les peuples, en particulier ceux d’Afrique.

Cheikh Oumar Seydi est le Directeur Afrique de la Fondation Bill et Melinda Gates

 
GR
 

0 commentaire

Soyez le premier à commenter.

Poster un commentaire