Alors que le Gabon s’efforce de bâtir une nouvelle gouvernance depuis la transition d’août 2023, un domaine reste cruellement en attente de réforme : son administration publique. Lenteurs, gaspillages, démotivations et pratiques informelles y minent l’efficacité de l’État au quotidien. Pour Prime Boungou Oboumadzogo, chercheur et essayiste, il est urgent de refonder en profondeur cette machine étatique, non seulement par la digitalisation, mais surtout par un management rigoureux, la valorisation des compétences et une culture de l’amélioration continue. Un chantier républicain, aussi stratégique que la réforme des institutions.

Quand un dossier avance parce qu’on a glissé un billet, ce n’est pas seulement injuste : c’est un signe que l’administration ne fonctionne plus sur la base du droit, mais sur la base de la ruse et de l’argent. (En photo, le ministère de la Fonction publique). © Joël Tatou

 

Prime Boungou Oboumadzogo est un doctorant en administration des affaires, titulaire d’un Executive MBA, auteur, essayiste et chercheur en management stratégique au sein du laboratoire CORHIS. Il exerce également comme formateur. © D.R.

Depuis le coup de Libération d’août 2023, le Gabon a engagé une nouvelle page de son histoire, avec l’avènement de la Cinquième République. Si les institutions ont évolué, une transformation reste attendue et capitale : celle de notre administration publique. Car c’est bien elle, au quotidien, qui incarne l’État auprès des citoyens. Et c’est souvent à travers elle que l’on juge l’efficacité ou l’inefficacité du changement annoncé.

Aujourd’hui encore, beaucoup de Gabonais se heurtent à une réalité tenace : lenteur des services, manque de clarté, traitements inégaux, agents démotivés… Pourtant, dans cette inertie persistante, il y a aussi des raisons d’espérer.

L’administration publique ou les dysfonctionnements sont connus de tous , dossiers qui traînent pendant des semaines, agents affectés à des postes qu’ils ne maîtrisent pas, absence de repères clairs dans le travail quotidien. Il n’est pas rare, par exemple, de voir un diplômé en lettres modernes à la tête d’un service informatique, ou un élève sorti de l’École Nationale d’Administration obligé de suivre une nouvelle formation pour exercer une fonction qu’il aurait dû occuper dès sa sortie d’école.

Ces situations ne sont pas anodines, elles traduisent une mauvaise utilisation des compétences, provoquent du découragement chez les agents, et entraînent des pertes pour l’Etat, des coûts cachés. Si l’on prend l’exemple de 10 fonctionnaires A2 sorties de l’EPCA, payés avec logement et transport chacun 452 074 FCFA par mois, affectés à des postes inutiles ou mal définis, cela représente chaque année un gaspillage d’environ 54 248 880 FCFA, sans parler de l’impact sur la qualité du service des coûts en électricité et en fournitures de bureau. Il faut saluer les efforts récents du gouvernement avec le lancement du programme « Gabon-Digital », sous la haute autorité du Président de la république Brice Clotaire Oligui. Ce projet, soutenu par la Banque mondiale à hauteur de 44 milliards FCFA, vise à moderniser les services publics, dématérialiser les démarches et interconnecter les administrations. C’est un grand pas dans la bonne direction.

Mais attention, la technologie ne remplace ni les compétences, ni l’éthique de travail. Installer des ordinateurs ou créer des plateformes numériques ne sert à rien si les méthodes de travail restent les mêmes. Pour réussir cette digitalisation, il faut aussi changer les habitudes, former les agents, simplifier les procédures, et surtout réorganiser les services. Car au-delà des outils numériques, c’est toute une culture administrative qu’il faut réformer, en s’attaquant aussi à des pratiques informelles qui minent l’intégrité du service public. Dans bien des bureaux, il existe une pratique connue de tous  le « coca », ces petits pots-de-vin donnés pour accélérer un service, éviter un contrôle ou obtenir une faveur. Ce comportement, devenu presque banal, affaiblit profondément l’administration. Il pénalise les usagers honnêtes, démoralise les agents intègres et crée un climat de méfiance généralisée.

Quand un dossier avance parce qu’on a glissé un billet, ce n’est pas seulement injuste : c’est un signe que l’administration ne fonctionne plus sur la base du droit, mais sur la base de la ruse et de l’argent.

Que faire ? Quelques pistes simples et concrètes

Pour changer durablement, il ne faut pas seulement annoncer des réformes : il faut les mettre en œuvre avec méthode. Voici des propositions accessibles, adaptées à notre contexte :

  • Clarifier les rôles et les attentes, c’est à dire chaque agent doit savoir clairement ce qu’on attend de lui. Une fiche de poste, des objectifs simples, un suivi annuel. Cela permet de responsabiliser tout le monde et de sortir du « chacun fait comme il peut ».
  • Mettre les bonnes personnes aux bons endroits, ce qui correspondrait à affecter un agent à un poste qui ne correspond pas à ses compétences, c’est du gâchis. Il faut revoir les affectations et placer les profils techniques là où ils seront utiles.
  • Il faut valoriser les résultats, même dans un service public, car Ce n’est pas parce qu’on ne vend rien qu’on ne peut pas mesurer la performance. Par exemple : combien de dossiers ont été traités ce mois-ci ? En combien de temps ? Les citoyens sont-ils satisfaits ? Récompenser les efforts est un levier simple de motivation.
  • Il faut impérativement former en continu, les métiers évoluent. L’administration aussi. Il faut permettre aux agents de se former régulièrement pour suivre le rythme et s’adapter.
  • Combattre le “coca” de manière rigoureuse, Cela passe par des mécanismes de signalement anonymes, des contrôles internes efficaces, et surtout des sanctions équitables et visibles. L’impunité alimente la récidive.
  • Accompagner la digitalisation par la réorganisation, Installer des ordinateurs ne suffit pas. Il faut aussi revoir les procédures, simplifier les circuits de décision, et former les agents aux outils numériques.
  • S’inspirer de la méthode (Kaizen ) l’amélioration continue

Ce principe, venu du Japon, repose sur de petits changements quotidiens, réalisés avec les équipes. C’est une façon concrète, pragmatique et non brutale d’amener la transformation, même dans un environnement peu flexible.

Une réforme à portée de main, si la volonté est réelle, Le Gabon a entamé un tournant politique important. Pour que cette transition réussisse, il faut absolument que l’administration évolue en profondeur. Non pas seulement en apparence, mais dans ses pratiques quotidiennes, sa gestion, et sa culture du travail.Ce chantier n’est pas théorique. Il commence dès maintenant, dans chaque ministère, chaque bureau, chaque interaction avec le citoyen. Le Gabon mérite une administration efficace, juste, et respectée. C’est possible. À condition de cesser de tolérer l’à-peu-près, et de choisir enfin l’exigence.

Prime Boungou Oboumadzogo, Doctorant en Administration des Affaires, EMBA. Chercheur, Essayiste. Auteur du livre «10 principes qui ont fait de Joseph le prince d’Egypte»

 
GR
 

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