Arrêté au Liban, Nazih Marwan Al-Azzi, activiste libanais au verbe incendiaire, pourrait bientôt être livré à la justice gabonaise. Officiellement, il risque plusieurs décennies derrière les barreaux. Officieusement, il porte dans ses poches la promesse, ou la menace, d’un scandale capable de fissurer la cuirasse du pouvoir. Faut-il organiser ce procès ? Analyse sommaire d’un risque de ‘’Pandora’s Box’’ pour le Gabon.

De la maîtrise ou du dérapage de ce procès dépendra s’il reste un fait divers judiciaire… ou s’il s’inscrit dans l’histoire comme l’étincelle qui a mis le feu à la poudrière. © GabonReview

 

L’arrestation de Nazih au Liban, terre où l’extradition des nationaux reste rare, marque déjà une singularité. En l’absence d’accord formel d’extradition bilatéral avec le Gabon, la mise en place d’un canal de coopération spécifique, tel que l’indique littéralement l’ambassade du Liban au Gabon sur sa page Facebook, témoigne du poids politique accordé à ce dossier.

L’affaire a tout d’un dossier ordinaire de cybercriminalité aggravée : chantage, extorsion, diffamation, injures publiques, menaces électroniques. Les textes du Code pénal gabonais et la loi de 2023 sur la cybercriminalité prévoient pour ces infractions des peines cumulatives d’une sévérité exemplaire : jusqu’à dix ans pour les menaces en ligne, sept ans pour l’extorsion, le double en cas de bande organisée, assortis d’amendes qui se chiffrent en dizaines de millions de francs CFA. Ajoutez à cela l’ombre d’«atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation» et la perspective judiciaire se fait implacable.

Des accusations explosives contre l’appareil d’État et des risques

Mais ce dossier dépasse largement la mécanique froide du droit. Nazih prétend détenir 46 enregistrements et 14 vidéos «compromettants». Ses accusations visent haut : la Direction générale des services spéciaux (DGSS) soupçonnée de trafics et de geôles clandestines, des magistrats cités nommément, et la présidence elle-même, accusée de lui avoir versé quatre millions de francs CFA mensuels. Si ces affirmations se révélaient exactes, elles exposeraient un système de clientélisme numérique et d’achats d’influence au cœur même de l’appareil d’État, un poison politique dans un pays où la post-transition se veut rupture.

Un procès à Libreville pourrait ainsi devenir une scène à haut risque. Même si les pièces à conviction restaient hors du prétoire, la simple évocation de leurs contenus nourrirait les rumeurs, alimenterait l’opposition en quête de munitions et une jeunesse connectée, avide de récits qui défient l’autorité. La tentation d’un «grand déballage» par l’accusé transformerait l’audience en tribune, exposant les institutions à un déballage médiatique national et international, hors de tout contrôle. Les risques dépassent en tout cas le prétoire : crispations diplomatiques avec Beyrouth, inquiétudes dans la communauté libanaise du Gabon, ébranlement des réseaux économiques qui la relient au pays.

Affabulateur ou victime d’État ?

Reste l’autre scénario : celui d’un Nazih affabulateur hors pair. Un homme qui, par maîtrise de la provocation, aurait bâti une réputation sur l’art de tordre la réalité pour en faire une arme. Mais, même ce cas de figure n’éteint pas le risque. Il suffirait que l’opinion publique perçoive le procès comme une persécution pour que l’effet boomerang se déclenche. Le régime se retrouve donc face à un dilemme stratégique : neutraliser l’homme au risque de l’ériger en martyr, ou négocier dans l’ombre au risque d’alimenter le soupçon. Et si l’opinion venait à voir en Nazih une victime d’État, le régime affrontera l’effet boomerang d’une cause devenue symbole.

L’affaire Nazih ne se résume donc pas à un dossier pénal : elle est un test grandeur nature pour la justice gabonaise, sa capacité à juger sans trembler et à trancher sans se déchirer. De la maîtrise ou du dérapage de ce procès dépendra s’il restera un fait divers judiciaire… ou s’il s’inscrira dans l’histoire comme l’étincelle qui a mis le feu à la poudrière.

 
GR
 

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