Dans une enquête parue le 8 septembre, Africa Intelligence dévoile les dessous du prêt colossal de 1 milliard de dollars octroyé en 2024 par le négociant genevois Gunvor à la Gabon Oil Company (GOC). Un contrat présenté comme un triomphe de souveraineté nationale, mais qui révèle déjà ses fragilités : risques financiers, réseau d’intermédiaires troubles et menaces persistantes sur l’image du Gabon comme de son partenaire suisse.

«Le casse du siècle» : ainsi les acteurs eux-mêmes ont baptisé ce contrat de préfinancement d’un milliard de dollars. © GabonReview

 

«Le casse du siècle» : ainsi, les protagonistes eux-mêmes décrivent cette opération. L’expression dit tout du parfum d’intrigue qui entoure un accord censé marquer une victoire stratégique pour Libreville. Derrière le vernis officiel, l’enquête d’Africa Intelligence révèle un théâtre d’ombres où se croisent putschistes, traders, intermédiaires aux rôles ambigus et financiers cosmopolites.

Un pari financier à la limite de l’imprudence

Avec ce prêt, la GOC a racheté les six permis d’Assala Energy, soit 45 000 barils/jour en 2024. En échange, Gunvor obtient l’exclusivité de la commercialisation. Mais l’affaire se construit sur du sable mouvant : le risque tient d’abord au déclin annoncé des gisements. Africa Intelligence relève que «la production décroît fortement», ce qui compromet la capacité de la GOC à livrer régulièrement les volumes nécessaires au remboursement.

Le schéma financier exige 12 millions de barils par an pour amortir le prêt, là où la production de 2024 plafonnait déjà à 16,7 millions. La marge de sécurité est étroite, et au moindre aléa technique ou géologique, l’édifice vacille. Gunvor s’efforce cependant de rassurer, affirmant que «la production est stable», mais l’écart entre discours et chiffres alimente les doutes.

Plus inquiétant encore, Gunvor n’a pas exigé de garanties habituelles (gage sur actifs, clauses de nantissement) comme c’est la règle dans ce type de contrat. Cette absence de filet de sécurité explique maintenant l’empressement du trader à s’imposer au Gabon face à Trafigura et Vitol qui visaient eux aussi les actifs d’Assala Energy. Mais elle fait peser un double danger : d’un côté, Libreville pourrait être acculé à renégocier, cédant une part plus grande de son pétrole ; de l’autre, Gunvor, exposé à une perte sèche, pourrait durcir ses conditions et accroître son emprise. L’opération, saluée comme un acte d’indépendance, porte en germe la dépendance nouvelle d’un État à un négociant étranger.

Intermédiaires ou spectres : les fantômes du deal

L’autre facette de ce contrat tient dans la galaxie d’intermédiaires qui gravitent autour. Raconté par le média d’informations confidentielles, le dîner du 25 janvier 2024, à l’hôtel Brach à Paris, en donne la mesure : Pierre-Claver Maganga Moussavou, ancien vice-président mandaté par Oligui Nguema ; Guillaume Letessier, stratège Afrique de Gunvor ; et surtout Mohamed Dagdag, consultant franco-marocain, qualifié d’«embarrassant conseiller stratégique». Officiellement, Gunvor nie toute relation contractuelle avec ce dernier. Pourtant, note Africa Intelligence, des factures liées à ses déplacements ont été «réglées par des entités tierces enregistrées à Dubaï».

À cette équation déjà nébuleuse s’ajoute un autre personnage : le Camerounais Rene Awambeng, ex-Afreximbank, qui n’hésite pas à menacer Gunvor par WhatsApp : «Nous avons la possibilité de laisser tomber votre proposition ou de travailler avec vous.» Derrière les dorures du Palais du bord de mer, ce sont donc des luttes d’influence, des bluffeurs et des «conseillers» officieux qui auront tiré les ficelles d’un deal présenté comme souverain.

L’obsession de la conformité… et les entorses discrètes

Gunvor n’a pas la mémoire courte : condamné en 2019 pour corruption en Afrique, en pleine négociation avec le Department of Justice américain début 2024, le groupe affiche une orthodoxie de façade. «Depuis sa condamnation en Suisse, le groupe s’interdit l’utilisation d’agents à des fins de développement commercial», rappelle l’enquête. Mais la réalité rattrape les bonnes intentions : signatures de lettres dégageant la responsabilité de Gunvor, recours à des sociétés-écrans à Dubaï pour couvrir des frais, tolérance tacite à l’intervention de consultants informels. Ces petits arrangements, anodins en apparence, sapent le vernis de conformité et exposent le négociant à de nouvelles suspicions internationales.

Les conséquences : un cocktail toxique

Ce contrat révèle en tout cas trois fragilités majeures. Pour le Gabon, le risque d’un endettement mal sécurisé et d’une dépendance accrue à un trader dont la loyauté n’est dictée que par ses bilans. Si la production décline, Libreville pourrait se retrouver acculé à renégocier, au prix de concessions encore plus lourdes. Pour Gunvor, la menace d’un retour de flamme judiciaire. Un faux pas dans ce dossier, et c’est sa crédibilité face aux autorités américaines et suisses qui vacille à nouveau.

Pour l’image du pays, enfin, ce contrat censé symboliser la souveraineté nationale pourrait apparaître, vu de l’extérieur, comme la reproduction des vieux schémas : richesses hypothéquées à des traders internationaux, intermédiaires occultes, et règles de conformité malmenées.

L’épisode dévoilé par Africa Intelligence n’est que le premier acte d’une saga où se mêlent pétrole, politique et finance dans une dramaturgie incertaine. «Ne subissez de pression de personne […] sauf la mienne», aurait lancé Oligui Nguema aux cadres de Gunvor. La suite, annoncée pour le 9 septembre, dira si ce milliard de dollars marque un sursaut de souveraineté ou s’il devient le symbole d’un engrenage périlleux.

 
GR
 

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