Principal conférencier du débat sur l’avenir du franc CFA dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le 1er juin à Libreville, le Pr Daniel Cohen, agrégé des Sciences économiques, directeur du département d’Économie de l’École normale supérieure et vice-président de l’École d’économie de Paris, a répondu à quelques questions des journalistes. S’il estime que ce débat qui soulève les passions et crée des camps est légitime, il affirme également que le rôle de la France est à interroger.

Le Pr Daniel Cohen répondant aux questions des journalistes, le 1er juin 2019 à Libreville à l’issue de sa conférence débat sur l’avenir du CFA en zone Cemac. © Gabonreview

 

Question : Vous êtes à Libreville pour une conférence sur l’avenir du franc CFA. Quelle a été votre contribution ?

Pr Daniel Cohen : C’était l’occasion de venir discuter avec la jeunesse gabonaise, il y avait beaucoup d’étudiants qui étaient là, sur l’avenir du franc CFA. On a eu des discussions très ouvertes. Aucun débat n’a été escamoté, le débat avec les autres pays de la Cemac, le rapport avec la France, avec la zone euro, la question du développement à long terme d’une économie comme celle du Gabon. Et indépendamment du contenu lui-même, ce qui est tout à fait réjouissant c’est de voir qu’on peut parler de ces questions en toute liberté et avec beaucoup d’ouverture d’esprit, en soupesant le pour le contre. Et on voit bien que la zone Franc comme la zone euro est soumise, toujours et constamment, et c’est normal, à des questions presque existentielles et que si on ne les traite pas, alors le remède sera pire que le mal.

L’Afrique francophone a-t-elle raison de ce débat sur le franc CFA ?

La première observation à faire c’est qu’il n’y a plus de franc tout court, mais il y a le franc CFA. La France est dans la zone euro. La France a renoncé à sa souveraineté monétaire au profit d’une institution, la Banque centrale européenne (BCE). C’est un point très important à prendre en compte dans le débat. La deuxième, c’est que les débats que les Européens ont eus à propos de la zone euro, qui ont été très difficiles, qui restent encore d’actualité, il est tout à fait normal que les Africains l’aient aussi.  Il est tout à fait normal qu’on s’interroge sur optimalité d’une zone monétaire et puis aussi, bien entendu, on est dans une période de très forts déséquilibres internationaux.

Il y a une montée du protectionnisme, il y a une rivalité très intense entre les États-Unis et la Chine, l’Europe cherche sa place. Mais chacun sait que le grand continent du 21e sera l’Afrique. Ce sera l’Afrique par sa croissance démographique, sa jeunesse. On a rappelé un chiffre, 40% de la jeunesse du monde sera africaine d’ici les 30 prochaines années. Tout ça, c’est d’immenses défis.

Il faut comprendre lesquels. Il faut comprendre si l’attachement à la zone euro peut les aider. Est-ce que les pays africains qui ont d’immenses besoins d’investissement pourront trouver un adossement à l’Europe dans ce cas, ça vaut peut-être la peine de continuer. Mais si les financements viennent d’ailleurs, alors la question de leur attachement à la zone euro se posera. Je crois que c’est tout cela qui est la question pour la région.

Daniel Cohen, pendant sa communication. © Gabonreview

Aujourd’hui, les économies de la zone Franc doivent-elles encore avoir peur d’une éventuelle dévaluation du franc CFA ?

Franchement, je ne peux pas du tout répondre à cette question. Je n’ai pas les compétences pour le faire. Je constate que les membres, les populations interrogent la légitimité de cette zone. Il est donc légitime de répondre à cette question. Je ne crois pas qu’on soit dans la situation de 1994. Il y avait des déséquilibres patents. Ce n’est pas exactement la même chose qui se pose aujourd’hui. Ce sont des questions, d’une certaine manière, plus structurelles, qui se posent que les régimes de croissance. Est-ce qu’un pays comme le Gabon va pouvoir s’arracher à ses dépendances aux matières premières ? Ce sont des questions parfaitement légitimes, tout à fait fondamentales. Je ne suis pas sûr que la monnaie soit, en tant que telle, la réponse à cette question.

On a beaucoup d’exemples de pays qui dépendent des matières premières et qui sont restés victimes de ces dépendances aux matières premières, quel que soit le régime monétaire. Mais on a aussi beaucoup d’exemples, je pense au Botswana, en Europe, à la Norvège. Des pays qui dépendent des matières premières et qui ont réussi à sortir par le haut, parce qu’ils ont mené une politique d’investissement adaptée. Il ne faut donc pas croire que la monnaie c’est tout. C’est très important, mais ce n’est pas tout. Les questions de la jeunesse, de la formation ne seront pas résolues par la monnaie. Mais, on est, depuis la création de la zone euro, dans une situation différente. Donc c’est tout à fait normal et légitime qu’on s’interroge : est-ce que la zone Franc fait partie de la zone euro ? Est-ce que le rapport à la France est toujours aussi privilégié ?

Certains proposent la création de nouvelles monnaies. D’après vous, quels seraient les préalables ?

Je ne voudrais pas trop parler en mon nom propre, parce que je ne suis qu’un observateur, plutôt spécialiste de la zone euro que la zone Franc. J’ai entendu dans le débat, que j’ai trouvé passionnant, qu’il y a en réalité trois débats en un lorsqu’on parle de la zone Franc. Le premier débat est de savoir si la Cemac est une zone monétaire optimale. Est-ce qu’on est content d’être dans la même zone monétaire que les autres pays de la Cemac ?

J’ai envie de dire qu’indépendamment de la question de savoir si cette zone Cemac est elle-même accrochée au Franc ou à l’Euro, est-ce que c’est un bon partenariat ou est-ce qu’il y a le risque des gens, des pays, qui ne joueraient pas les règles ? C’est une première question et certains intervenants ont répondu : «non, il vaut mieux qu’on soit tout seul. On n’a pas besoin d’alliances avec les autres pays de la Cemac».

À l’inverse dans la salle, il y a beaucoup de gens qui ont dit le contraire: «la Cemac est trop petite. Il faut une Union africaine plus large». Ce n’est pas exactement la même chose de dire «on ne peut pas s’associer à d’autres pays parce qu’au fond, il n’y a pas de convergence d’intérêts que de dire, il faudrait une zone encore plus large». Et c’est au nom de cet élargissement qu’il faudrait que la zone Franc évolue. Deuxièmement, sans tabou, il y a le rôle de la France. Est-il le même aujourd’hui ? Peut-on imaginer une zone Franc sans la France qui gérait elle-même sa convertibilité avec la zone euro ? C’est absolument légitime et ouvert comme débat. Et troisièmement, quels sont les avantages et inconvénients d’être accroché à l’Euro qui est une monnaie européenne qui, elle-même, crée des problèmes au sein de la zone ? Et là, ma réponse dans ma présentation est que cela vaut le coup, mais à condition que l’épargne européenne qui est très excédentaire (l’Europe dispose entre autres du fait de l’Allemagne, d’excédents d’épargne considérables), aille en Afrique.

Ils iront en Afrique non par la volonté du Saint-Esprit, mais si on crée des véhicules financiers ad hoc qui permettent d’intéresser les grands assureurs, les grands investisseurs, à investir en Afrique. C’est ça le débat qui, éventuellement, permettra de dire ça vaut le coup d’être dans la zone euro si cela nous permet de bénéficier de ses suppléments d’épargne.

 
GR
 

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