Le malaise français étant une réalité, le vote du 10 avril sera dirigé contre trois cibles : la mondialisation, les immigrés et les élites nationales.

Comme si le monde avait cessé d’évoluer, les élites françaises ont arrêté de scruter l’horizon ou de s’adapter aux évolutions, se contentant de convoquer le passé pour conforter leurs certitudes. © Gabonreview/Shuttertock

 

La France dans l’incertitude la plus totale. A l’endroit de ses institutions, les électeurs pourraient manifester leur défiance. Au-delà des apparences, ils pourraient affirmer leur volonté de tourner le dos à l’universalisme républicain. Même si nombre d’analystes se complaisent dans des certitudes lénifiantes, tel est l’enjeu du scrutin de dimanche prochain. Une fois encore, les électeurs pourraient dire leur opposition à l’existence d’un président de la République à la fois omnipotent et omniscient, mais totalement irresponsable. Pour mieux revendiquer leurs identités respectives, ils pourraient exprimer un désir d’en finir avec un assimilationnisme pas toujours assumée. Peu importe le résultat final, le pays de Napoléon n’est à l’abri de rien : ni d’un accident démocratique ni d’une rupture idéologique. S’il ne vit pas ses ultimes moments, son modèle doit être repensé.

Société en crise profonde

A la lecture des sondages, tout cela paraît excessif. Eu égard à l’expérience du passé, au vu de l’efficacité du «front républicain», on ne risque rien à parier sur la résilience des institutions et de l’universalisme républicain, rudement mis à l’épreuve par les attentats terroristes. On peut même prédire la victoire d’Emmanuel Macron. Mais il faut aller au-delà des apparences : confronté au projet européen, le modèle français semble bien à la peine. Entre ouverture aux pays de l’ancien bloc de l’Est, mondialisation et libre-échange, l’Union européenne (UE) est d’essence anglo-saxonne. Or, depuis la fin des Lumières, la France a affirmé une conviction : la nation est une construction politique et non une juxtaposition de communautés. Depuis 1962, elle s’est dotée d’un président élu au suffrage universel direct, réputé au-dessus de la mêlée et disposant de compétences élargies. Opposée au multiculturalisme, peu acquise au parlementarisme, la patrie de Charles de Gaulle revendique sa singularité.

Certes, les textes de l’UE consacrent «le droit à la différence» et non la différence des droits. Certes, sur certains aspects, le régime politique français louche au parlementarisme, le gouvernement étant responsable devant les députés. N’empêche, il y a cinq ans, Marine Le Pen proposait une réforme de la Constitution afin d’y introduire le référendum d’initiative populaire, «la défense de (l’) identité de peuple et (du) patrimoine historique et culturel (de la France) et, la priorité nationale.» Cette fois-ci, elle se prononce pour «la préférence nationale» et l’«Europe des nations». Quant à Jean-Luc Mélenchon, il reste fidèle à son projet de VIème République, annonçant la «fin des exceptions à la laïcité.» Même s’il suggère des solutions différentes, le leader de la France insoumise (LFI) dresse un diagnostic similaire à celui de la présidente du Rassemblement national (RN) : la démocratie française est en panne, la société en crise profonde. Venant de personnalités aux idées radicalement opposées, ce double constat présage un triomphe du vote protestataire.

Le prix de deux fautes majeures

Certains jugent la société française trop conservatrice et pas assez ouverte pour se donner à une femme. D’autres la voient trop penchée à droite pour céder aux sirènes d’une gauche certes républicaine, mais aux accents extrémistes. Pourtant, le malaise français est une réalité. Entre adhésion aux thèses complotistes comme le «grand remplacement» et dénonciations de hiérarchies sociales figées, l’ordre établi n’a jamais été aussi contesté. A moins d’un sursaut de dernière minute, le vote du 10 avril sera dirigé contre trois cibles : la mondialisation, les immigrés et les élites nationales. De ce point de vue, un second tour Le Pen/Mélenchon ne relève plus du fantasme. Bien au contraire. Or, si une telle perspective advenait, il serait ensuite difficile de faire comme si de rien n’était. Après tout, la France paie toujours le prix de deux fautes majeures : le refus de tirer les conséquences de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de 2002 et, la négation de la victoire du non au Traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005.

Pendant de trop longues années, la France a joué avec le feu. Comme si le monde avait cessé d’évoluer, ses élites ont arrêté de scruter l’horizon ou de s’adapter aux évolutions, se contentant de convoquer le passé pour conforter leurs certitudes. Comme si leur pays vivait en vase clos, les populations ont adhéré à toutes les approximations, se satisfaisant de l’écume des choses. Pour le plus grand bonheur des extrémistes de tout bord, la rhétorique protestataire a fini par s’enraciner, brouillant tout message prospectif. Dans un tel contexte, tout peut désormais arriver, y compris l’élimination du président sortant dès le premier tour.

 
GR
 

6 Commentaires

  1. MOUNDOUNGA dit :

    Bjr; En français facile (comme RXne pense que son gros français est assimilable à tous) la FRANCE ne fait plus peur du fait de la conjonction entre une politique nationale très érodée par l’immigration et un manque de lisibilité sur les politiques internationales. Elle (le FRANCE) se conjugue désormais à une tendance prodomo qui ajoute à un sentiment de culpabilité.

    C’est dans ce contexte que pourrait s’inscrire la phrase suivante : »Pour le plus grand bonheur des extrémistes de tout bord, la rhétorique protestataire a fini par s’enraciner, brouillant tout message prospectif « . Amen.

  2. Fille dit :

    « Le malaise français étant une réalité, le vote du 10 avril sera dirigé contre trois cibles : la mondialisation, les immigrés et les élites nationales. »

    « Une fois encore, les électeurs pourraient dire leur opposition à l’existence d’un président de la République à la fois omnipotent et omniscient, mais totalement irresponsable. »

    « Pendant de trop longues années, la France a joué avec le feu. Comme si le monde avait cessé d’évoluer, ses élites ont arrêté de scruter l’horizon ou de s’adapter aux évolutions, se contentant de convoquer le passé pour conforter leurs certitudes. Comme si leur pays vivait en vase clos, les populations ont adhéré à toutes les approximations, se satisfaisant de l’écume des choses. Pour le plus grand bonheur des extrémistes de tout bord, la rhétorique protestataire a fini par s’enraciner, brouillant tout message prospectif. Dans un tel contexte, tout peut désormais arriver, y compris l’élimination du président sortant dès le premier tour. »

    Eh bien Roxanne, analyse de haut vol ! Vous connaissez bien votre pays, bravo !

    • Fille dit :

      « Une fois encore, les électeurs pourraient dire leur opposition à l’existence d’un président de la République à la fois omnipotent et omniscient, mais totalement irresponsable. »

      Par contre là, je dis Hum…

    • Maganga Octave dit :

      @Fille. Quand on vous lit, on comprend le retard de l’Afrique : on vous pose un sujet, vous ne réagissez pas au fond et préférez faire dans les attaques personnelles et insinuations grossières, qui expriment vos propres complèxes.. Vous faites pitié à toujours vous en prendre aux hommes et jamais aux idées… Pour vous, un journaliste africain ne doit rien savoir sur la France, mais doit être prompt à l’accuser de tout.. Pauvre type

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