Dans le jargon populaire gabonais, la «frappe» désigne un stratagème permettant de s’en mettre plein les poches. Ramenant à la case départ le projet d’autoroute de contournement de l’Aéroport de Libreville (ADL), le ministre de l’Équipement et des Infrastructures va-t-il enterrer un financement déjà obtenu de la Chine et fâcher l’entreprise adjudicataire du marché ? L’appel d’offres ne serait-il pas un stratagème à visées absurdes ? Tout ce qui se dit et se sait sur le dossier.  

La construction d’une autoroute à péage pour contourner l’Aéroport international Léon Mba de Libreville (dont on voit ici la voie interne d’accès au hall) vise à désengorger les embouteillages autour de l’aéroport, en créant une seconde voie de sortie pour la commune d’Akanda. © libreville-aeroport

 

«Arlésienne» : personne ou chose dont on parle beaucoup mais qu’on ne voit jamais. Remise au goût du jour, le week-end dernier, par le ministre de l’Équipement et des Infrastructures, la fameuse autoroute de contournement de l’ADL (Aéroport de Libreville) commence à y ressembler. Alors qu’on croyait en phase de démarrage les travaux de ce chantier, Léon Bounda Balonzi fait un énorme bond en arrière en annonçant : «Nous avons lancé un appel d’offres de conception-réalisation pour faire une voie de contournement de l’aéroport». On savait pourtant qu’un adjudicataire du marché était désigné de longue date : le groupe chinois ayant construit la voie entre Port-Gentil et Omboué dans l’Ogooué-Maritime.

Étrange appel d’offres et plausibilité de procès

De quel appel d’offres pour conception-réalisation est-il encore question ? Il y a belle lurette que le projet est connu pour être un «deux fois deux voies  de 11 kilomètres avec un pont et des viaducs en lieu et place des ronds-points». Conclu du temps de Christian Magnagna comme ministre de l’Équipement, des Infrastructures et des Mines, le marché a échu à la China Road and Bridge Corporation (CRBC). Mais l’affaire «a réellement été bouclée sous Arnauld Engandji pour un montant de 150 millions de dollars», confie une source haut placée et digne de foi. Et celle-ci de s’interroger : «Balonzi est donc venu faire perdre le temps au pays pour ancrer des appels d’offres sur des chantiers dont les contrats sont en place ? On va encore finir en justice !»

Rejeter un marché déjà conclu pourrait en effet coûter cher au pays. Le Gabon, selon Emmanuel Issoze Ngondet, perd chaque année plus de «8 milliards de francs CFA pour le paiement des dommages-intérêts du fait de la perte de procès». Le pays ayant déjà eu, l’année dernière, des amendes de 7,2 milliards de francs CFA pour dédommager KCI Groupe ou de 65 milliards de CFA pour Webcor, combien lui coûterait un procès intenté par la CRBC ? Est-ce nécessaire ?

Financement en hibernation de la China Eximbank et bonus de la CRBC

C’est un secret de Polichinelle : la réalisation du projet par la CRBC doit être financée par un prêt consenti par la China Eximbank, sans aucune contrepartie pour le Gabon, hormis le remboursement. Alors qu’il était ministre des Travaux publics, Arnauld Engandji aurait même obtenu la prise en charge, par l’entreprise chinoise, du déguerpissement des habitants situés sur le linéaire de la voie. Ce bonus fait économiser 10 milliards à l’État gabonais, selon des techniciens du ministère.

Alors que l’inauguration, en mars 2019, du KFC de l’aéroport de Libreville venait de créer des embouteillages monstres autour de l’ADL, Arnauld Engandji avait alors laissé entendre, devant les médias : «Nous sommes en cours de finalisation du projet de voie de contournement de l’aéroport. Nous avons bouclé les discussions avec la société CRBC. L’accord de financement est prêt. Il restait la question d’expropriation des populations qui sont sur le linéaire. Là, tout de suite, nous avons une discussion pour voir quelles sont les modalités et les personnes impactées. Toute la semaine, nous avons fait l’étude. Donc, nous allons démarrer, d’ici quelques deux mois au plus, la phase d’expropriation et de lancement de la voie de contournement.»

Réactivation du prêt de la Chine, expertise de la CRBC et questionnement

Diverses sources proches du dossier sont formelles et confirment les propos d’Arnauld Engandji, l’ancien ministre des TP. «Le prêt de financement du projet avait été accordé par la China Eximbank. Le Gabon avait simplement décidé de différer et la banque n’attend juste qu’une notification écrite pour réactiver le prêt», explique un notable, pour ne pas dire un haut cadre de longue date, du ministère des Transports, de l’Équipement, des Infrastructures et de l’Habitat.

Pourquoi ne pas réactiver les choses maintenant ? Quel est le projet réel du ministre des Transports, de l’Équipement, des Infrastructures et de l’Habitat, entré au gouvernement en décembre dernier ? Pourquoi entend-il lancer un nouvel appel d’offres ? Léon Armel Bounda Balonzi aurait-il une méconnaissance du dossier ? Même si le projet comporte un pont sur cours d’eau de 800m derrière le Camp De Gaulle, le chantier ne saurait être un problème pour la CRBC. L’entreprise est connue pour avoir réalisé la route Port-Gentil-Omboué sur 95 km avec deux ponts de 4,5 km et 4,7 km de long, parmi les plus longs du continent. Ingénieur du génie civil, ancien directeur général du Laboratoire national du Bâtiment et des Travaux publics du Gabon, ancien directeur technique du Fonds d’entretien routier (FER) 2ème génération, le ministre des Infrastructures ne saurait ne pas le savoir.

Y aurait-il donc un projet d’entourloupette financière, une frappe comme on dit au Gabon ? Nombreux sont ceux qui s’interrogent ainsi depuis l’annonce, par Bounda Balonzi, d’un nouvel appel d’offres concernant un chantier qui n’attend qu’un enclenchement de son financement. Dans le jargon populaire gabonais, on entend par «frappe» un stratagème permettant de s’en mettre plein les poches. Devrait-on alors penser que la préconisation d’une nouvelle mise en concurrence d’entreprises soumissionnaires ne viserait qu’à favoriser quelques pots de vin gargantuesques ? Serait-ce l’objectif réel de Bounda Balonzi ? Nombreux sont ceux qui l’entrevoient et le croient. Le ministre est attendu sur toutes ces interrogations.

 
GR
 

7 Commentaires

  1. Paul Mikouma dit :

    Et si l’ancien DG savait qu’un projet technique existait déjà bien avant les chinois, réalisé par le Laboratoire National des travaux publics et que les AJEVIENS l’avaient ignoré ? Celui qui frappe n’est pas toujours celui que l’on croit.

    • Gabonreviewadmin dit :

      En remplacement de M. Martin Boguikouma, M. Brice Laccruche Alihanga est nommé au poste directeur de cabinet du président de la République le 25 août 2017. L’idée du projet (certainement à l’étude bien avant) parvient au public en 2015, donc 2 ans avant que Laccruche ne soit nommé. Lors de son tout premier voyage post-élection présidentielle de 2016, Ali Bongo obtient en Chine le financement du projet. On est en décembre 2016. Laccruche n’est toujours pas au poste de demi-Dieu et n’a pas encore déployé la machine Ajev. On ne saurait donc, de notre point de vue, attribuer l’occultation d’un projet du Laboratoire national des Travaux publics à cette association, au moment où le chantier échoit à la CRBC. Merci toutefois pour cette hypothèse. Merci également de continuer à nous suivre.

      • KIEM dit :

        C’est une pratique qui existe au ministère de l’équipement depuis la nuit des temps, des projets financés depuis belle lurette et jamais réalisés, mais dont la recherche des financements ressort des années plus tard. Quelqu’un peut-il me dire depuis quand date le projet des fameux versants de Libreville, et combien de fois il a été financé ?

  2. Gabon Emergent dit :

    Ramenez – nous Arnaud Egandji au Ministère de l’équipement svp. On veut avancer!

  3. Patriot dit :

    Se sont les defins du village Kota qui se retournerons dans leurs cercueil en apprenant qu’ils y a un financement de 150 million de Doller Us qui servira à financer une route qui n’a aucune utilité. Hors le contribuable du village Cota peine à réparer sa voiture pour se rendre à sont travaille et contribuer honnêtement à payer malgré tout a payer s’est impôts.

  4. Yvon Ozangué dit :

    « Les éléphants blancs » au Gabon, c’est pas ce qui manque :

    – 2 fois 2 voies PK12-Ntoum;
    – axe Ntoum-Cocobeach;
    – les logements sociaux;
    – les constructions d’universités hors de Libreville …

    Le chapelet des projets financés et qui n’ont pas vu le jour est très long.

    Dans tous les gouvernements, depuis 1967, il y a eu des frappeurs. Combien sont passés à la barre pour leurs méfaits ?

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