Directeur du mensuel panafricain Jeune Afrique et de son site internet jeuneafrique.com, Marwane Ben Yahmed est au cœur de Jeune Afrique Media Group, l’organisation à l’initiative de l’Africa CEO Forum depuis 10 ans maintenant. Entretien à la dérobée dans les couloirs de l’évènement à Abidjan.

Marwane Ben Yahmed, le 13 juin 2022 à Abidjan. © Gabonreview

 

Gabonreview : 10 ans déjà que ce forum a été créé. Quelle était donc l’idée de départ, cette idée qui a si bien fait son chemin ?

Marwane Ben Yahmed : L’idée est partie d’une lacune qu’on avait constaté à la fois à travers nos publications et sur tout ce qui existait comme matière sur l’Afrique : beaucoup de problématiques politiques, beaucoup de problématiques économiques traitées, mais peu de place accordée au secteur privé. Il y a une distorsion, selon nous, entre l’importance qu’on accorde aux États, à l’influence des États et leur puissance y compris dans la gestion de développement des pays dont on parle, et la faible lumière apportée au secteur privé qui pourtant, aujourd’hui comme à l’avenir, doit être la solution de création d’emplois dans chacun des pays africains. Puisque c’est le secteur privé qui absorbera la masse d’étudiants qui sortent de leurs cursus scolaires pour arriver sur le marché du travail, et ce n’est certainement pas aux États de continuer à enrôler dans la fonction publique, etc.

Il faut combler cette lacune et donner des perspectives à la jeunesse. Donc on est parti de cette idée-là en se disant que les acteurs du secteur privé étaient, parfois, mieux placés que nos gouvernants, nos ministres des économies et des finances, pour imaginer les pistes de solutions concrètes pour l’Afrique, pour justement répondre à toutes ces problématiques.

Cette année, une place de choix a été accordée aux entreprises publiques et parapubliques, notamment avec un panel sur les stratégies pouvant leur permettre de se transformer «en champions africains». Votre objectif de départ a-t-il changé ou l’avez-vous simplement réajusté ?

Non, pas vraiment. Nous sommes dans une situation de conjoncture économique et délicate : sortie de crise Covid, conséquence de la guerre en Ukraine… Il y a aussi des crises sécuritaires, notamment en Afrique de l’Ouest. C’est que, forcément dans ces cas-là, le rôle de l’État et des entreprises publiques est, non pas de faire le lead et le catalyseur de la relance, mais au moins de réguler et assumer le minimum qui permet ou a permis notamment la plupart des filets sociaux dans ces pays-là pendant qu’il y a eu ces crises. Donc, on ne change pas du tout d’optique et, d’ailleurs, ce n’est pas une compétition entre le privé et le public : les deux doivent fonctionner ensemble. Mais encore une fois, pour nous, le catalyseur, la source de dynamisme, d’innovation, de modernité et de création d’emploi, c’est le secteur privé qui l’a entre ses mains.

Selon le média exemplaire dont vous êtes le directeur, qu’est-ce que les autres médias africains peuvent apporter à ce type problématique et de forum ?

Encore une fois, dans la presse gabonaise comme dans la presse ivoirienne, vous verrez toujours à la une des journaux des interviews du ministre de la Santé, de l’Éducation, de l’Intérieur, etc. Mais très rarement vous verrez des grands patrons – qu’ils soient d’ailleurs patrons de grandes entreprises ou de PME ou PMI – exprimer leurs doutes, leurs inquiétudes, leurs solutions, leurs besoins. On donne une place très importante aux politiques et Jeune Afrique est bien placée pour le dire, puisqu’on traite beaucoup le volet politique. La place accordée aux acteurs politiques est, pour moi, beaucoup trop importante et pas assez aux acteurs du secteur privé.

Donc, si vous pouvez leur donner la parole parce qu’en fait ils fourmillent d’idées. Ils ont beaucoup moins de carcans pour proposer des pistes de solutions innovantes, moins de langue de bois aussi, généralement parce que la politique politicienne n’intervient pas. Donc, le rôle des médias, pour nous et tous ceux qui viennent couvrir aussi ce forum, c’est justement de donner la parole à ces gens-là. Je peux vous garantir que c’est beaucoup plus intéressant que de donner la parole à certains ministres.

Dix ans après son lancement, croyez-vous que l’Africa CEO Forum compte des résultats palpables ou a impacté des choses dans le sens du changement ?

Oui ! D’abord la première chose très visible c’est la fréquentation et le nombre de participants qui a plus que doubler en dix ans. Donc, là on est à peu près à 1500 participants. Deuxièmement, c’est la qualité de ces participants, et troisièmement, c’est le rayonnement géographique : l’Afrique anglophone est maintenant très représentée, le reste de l’international aussi. C’est-à-dire tous les pays qui s’intéressent à l’Afrique, que ce soit la Turquie, les États-Unis, la Chine, etc., viennent de plus en plus nombreux. Et parmi les résultats, il y a qu’on va créer une sorte de plateforme permanente destinée au forum. L’Africa CEO Forum ne sera plus qu’un événement annuel mais – à travers une application ou l’utilisation de d’Internet – une plateforme qui va permettre des pistes de réflexion, des recherches, des contenus, des articles, etc.

L’évènement s’est tenu plusieurs fois à Genève, une fois à Kigali, deux fois Abidjan… L’Africa CEO a-t-il cessé d’être itinérant ? Repartira-t-il en Europe ? Ira-t-il dans d’autres capitales africaines ou prend-il définitivement ses quartiers en Côte d’Ivoire ?

On a une certitude : c’est que maintenant l’évènement sera systématiquement sur le continent. Je pense qu’on viendra régulièrement à Abidjan. On aura également des éditions qui voyageront un petit peu en Afrique anglophone notamment, et pourquoi pas, au Nigéria, au Kenya… peut-être aussi en Afrique lusophone. Mais on restera basé principalement à Abidjan. Il y a deux raisons à cela. D’une part, parce que la logistique permet d’accueillir 1500 participants de haut niveau : l’hôtellerie, les infrastructures, les hubs aériens, le fait de pouvoir circuler facilement… ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays d’Afrique francophone. Et d’autre part, parce qu’il me semble que c’est un hub en Afrique de l’Ouest qui a vocation à se développer et peut-être à servir de modèle de gouvernance économique aux autres pays du continent.

 
GR
 

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