Artiste autodidacte, exmannequin pour les créations Olga’O, Léa-Mamê évoluant dans l’univers pop, compositrice des titres «Soleil d’Amour», «Guerrière solitaire», auteur de l’essai «Dans la carapace de la tortue», était l’invitée de Gabonreview, le 23 août dernier. A Libreville depuis un mois, après 24 années passées hors du pays, pour une banale affaire de passeport, la fille de l’ex-champion de boxe gabonais, Bouloudi Pascal (Valdez), évoque ses passions, ses combats, ses projets mais fait également  un focus sur son retour dans la capitale gabonaise. Un retour aux sources.

Léa Mamê est en quête de retour chez elle. «Ce que j’aimerais aujourd’hui c’est de faire un retour aux sources et de pouvoir apporter aux miens toutes l’expérience que j’aie eue là-bas». © Gabonreview

 

Gabonreview: S’il y avait une carte de visite de vous à présenter, que diriez-vous ?

Lea Mamê: Lea Mamê, artiste anticonformiste. On pourrait dire une «artiviste». La contraction d’artiste et d’activiste.

C’est-à-dire ?

Pour moi, cela veut dire que c’est une artiste, qui n’est pas forcément une star, populaire, mais qui est juste une artiste qui se sert de son art pour exprimer ce qu’elle a au fond d’elle. Parce que c’est le seul moyen pour elle de pouvoir s’exprimer.

On vous a connu, il y a plusieurs années, mannequin chez Olga’O, célèbre en son temps dans le domaine du stylisme. Vous résidez aujourd’hui à Cannes, que gardez-vous de cette période de votre vie.

J’étais jeune et naïve. J’avais juste besoin de gagner un peu d’argent et on m’a proposé d’aller travailler là-bas, j’y suis allée.

On vous présente pourtant comme mannequin, cette voie n’a-t-elle pas prospéré entre-temps ?

Non ! Parce que ce n’était pas un objectif de devenir mannequin.

En 2015, vous vous êtes lancée dans la musique. Pourquoi ?

Pour exprimer ce que j’avais au fond de moi. Tout ce que je ressentais, ce que je vivais concernant mon problème de passeport. C’est un problème de renouvellement de passeport qui n’a jamais été fait et pour lequel on m’a dit que je n’étais pas Gabonaise. Je me suis présentée pour renouveler les passeports de mes enfants et le mien, avec un acte de naissance bien légalisé au Gabon. On fait ceux des enfants, mais à moi, on ne fait pas le passeport sous prétexte que je ne suis pas Gabonaise et que l’acte de naissance que je présente n’est pas valable.

Combien d’années cette affaire vous a-t-elle coûté

15 ans! Je suis restée en France durant 15 années sans passeport. J’ai essayé de me battre pendant tout ce temps, de comprendre ce qu’il se passait. Je me suis présentée plusieurs fois à l’ambassade, j’ai re-déposé ma demande plusieurs fois au consulat et à la Direction générale de la documentation et de l’immigration (DGDI), ça a toujours été rejeté.

Le problème est-il résolu

Le problème est résolu et je n’ai pas toujours compris. J’ai encore posé la question lorsqu’on me faisait ce passeport, ils m’ont simplement répondu que c’était l’ancienne gouvernance. Je n’ai rien compris à ça.

Vous alliez la littérature à la musique. 

Je racontais mon histoire. A 5 ans j’ai été renversée par le garde du corps du président de la République, un Marocain, l’affaire est sortie dans le quotidien L’Union. Il y a une amnésie sur cette affaire. J’avais 5 ans! J’étais dans le coma, j’ai perdu toutes mes dents. Il s’est passé plein de choses.

Vous abordez d’autres thèmes comme les droits de la femmes, les problèmes de l’environnement et le handicap chez les enfants.

© Gabonreview

Dans ma vie, j’ai toujours croisé des mères qui avaient souvent un enfant atteint, plus ou moins, de handicap. Je ne le comprenais pas. Je n’ai certes pas souvenir d’un handicap dans ma famille. Mais ce sont des choses qui m’ont touché. J’ai toujours eu peur pour les miens. J’ai toujours eu de l’empathie pour ces mères qui se trouvent avec des enfants comme ça et se battent pour les maintenir en vie. C’est déjà compliqué pour celles qui vivent en Europe. Du coup, je me demandais ce que ce serait pour celles qui vivent en Afrique et particulièrement dans mon pays le Gabon. Le handicap d’un enfant en milieu rural, comment on gère ça ? Comment est-il perçu, comment est-il traité ? Tout cela m’a ramené à mes souvenirs au collège Sainte-Marie avec une amie, Owono Mezui Joëlle Marty, qui était albinos. Pour moi, je ne voyais à aucun moment que c’était un handicap. Mais c’est des années après que je voyais dans les journaux que les albinos se faisaient massacrer. Tout ça m’a transformé en infirmière (Je ne suis certes pas infirmière). J’ai donc voulu aider et j’ai mis en place un projet et malheureusement, les artistes connus, lorsqu’ils veulent adhérer à un projet, il faut les payer. Je n’avais pas les moyens pour les payer.

C’est le projet «Concept d’anges»? Où en es-t-il aujourd’hui ?

Oui, c’est bien ça. Il avait pour but de venir en aide aux enfants atteints de handicap en milieu rural en Afrique. On l’a mis en veille parce qu’entre temps, il y a eu des problèmes d’élection au Gabon. Les personnes avec lesquelles j’avais pris des contacts se sont désistées. j’avais eu le groupe Les «Garagistes» qui étaient prêts à venir faire un show gratuitement pour les enfants handicapés au Gabon. Malheureusement, il n’y a pas eu de suite. Je précise que c’était les seuls qui avaient accepté de venir prester gratuitement parce que tous les autres ont répondu en disant qu’ils doivent recevoir quelque chose en contrepartie.

L’autre passion qui vous anime c’est le théâtre. Mais au-delà, vous avez une quinzaine de textes qui ne sont pas publiés.

Ce n’est pas évident quand on est une femme noire en Europe et qu’on ait, comme moi, l’âme artiste. En même temps, il faut concilier sa vie de couple avec son travail. Je suis assistante commerciale et de direction. Souvent, la personne avec qui ont vit ne comprend pas qui on est, en fait. Lui, il a vu une femme et elle doit être une femme. Or, elle aussi, au-delà de ce qu’elle est dans son aspect de femme battante, a des projets, l’envie de sortir des sentiers battus et pouvoir ressortir ce qu’elle a dans son intérieur. Ce n’est pas évident à faire comprendre.

J’ai donc dû arrêter le théâtre. J’ai joué avec plusieurs troupes du côté de Bordeaux. J’ai joué Aglaé. C’était super bien. On avait de nombreux projets, mais il fallait, après, voyager. Vous savez, les saltimbanques partent à l’aventure. Mais moi, j’avais une vie, avec des enfants et je ne pouvais toujours pas partir comme ça. Aucun homme ne va accepter ça. A moins qu’il soit du métier et qu’il comprenne.

Comment, en étant une femme noire, on arrive à jouer dans des pièces de théâtres de Molière, par exemple, dans lesquelles tout le contexte, l’environnement est européen ? 

J’ai joué Aglaé. Et je jouais le rôle d’une femme blanche. C’est vrai que sur l’affiche il y avait juste mon nom. Quand les gens arrivaient dans la salle de théâtre, c’est là qu’apparaissait une femme noire. C’est fou parce qu’à chaque fois c’étaient des applaudissements. Ils étaient toujours dans l’attente de savoir comment elle va interpréter ce rôle. Je l’interprétais toujours à l’africaine puisque quand j’arrivais sur scène j’avais toujours mes tresses. J’avais toujours mon côté africain qui était, pour moi, important pour que je me sente comme si j’étais chez moi. Si je n’avais pas ce côté culturel et traditionnel de l’Afrique, je ne me sentais pas chez moi. Pour que je puisse donc donner le meilleur de moi-même, il fallait à chaque fois que j’ai quelque chose en moi qui me rappelle chez moi. Ce n’est pas évident parce que vous êtes jugés. «Ah, mais là vous auriez dû dire comme ça ! Vous avez un peu plus l’accent qui est ressorti, etc.» Mais dans le fond, c’était bien parce qu’à chaque fois il y avait des salves d’applaudissements. A l’entrée, ils sont surpris, mais à la fin, c’était toujours des applaudissements.

J’ai joué un moment, mais après, je ne pouvais plus continuer. J’ai des textes que j’ai écrit et j’ai joué en radio, le même rôle, mais on l’a un peu revu pour le synthétiser. Pour cette radio web, cette pièce est celle qui a eu le plus d’écoute. Ils m’ont toujours dit, «Léa, c’était énorme».

Après 24 ans d’absence du pays, quel a été votre ressenti au retour. Le choc, la joie, l’émotion, les surprises ? Comment le pays-il évolué, près de 30 ans après ?

. © Gabonreview

Je ne vais pas cacher qu’à mon arrivée, j’ai été choquée de voir l’aéroport de Libreville dans l’état où il se trouve. Je pensais avoir un aéroport qui avait changé, qui avait évolué positivement et que les constructions s’étaient améliorées. Mais non ! Je retrouve le même aéroport de Libreville que j’ai laissé près de 30 ans en arrière. Rien n’a changé. C’est le choc, je suis perdue. J’ai eu de petites péripéties concernant mon arrivée suite au Covid-19, tout le monde le vit à l’arrivée. Ça fait un mois que je suis là, je trouve qu’il n’y a pas eu d’améliorations. Je trouve même, au contraire, qu’il y a trop de décadence. Avec le recul, on a l’impression que les choses se sont empirées. Je voyais Libreville différemment. Ce que je voyais sur Internet, ce sont des coins sympas, des Gabonais dans des hôtels, plus ou moins connus, dans des photos toujours très fashion. Je me suis donc dit que Libreville a changé. Mais me rends compte que non.

On a des problèmes d’eau, d’électricité, des enfants qui trainent dans les rues et pas des rues bien limitées, les routes sont abimées, mais encore pire qu’avant, avec des crevasses partout. J’ai assisté à l’accident d’un taximan qui a quitté la route pour rouler sur un chien. Par la suite un autre camion de la SEEG lui a également roulé dessus. Il n’était pas sur la route, le chien. C’est pour dire à quel point les panneaux de signalisation sont importants. C’est important que les routes soient bonnes, bien faites pour une bonne circulation. Et si on peut tuer si facilement un chien sur un trottoir, imaginez-vous un enfant. C’est traumatisant ! Je suis allée accompagner des gens pour faire des tests, des vaccins, j’ai trouvé des femmes assises presqu’à même le sol sur de petits tabourets pour patienter afin de faire le vaccin de leurs enfants, censé les maintenir en bonne santé. Je suis encore dubitative face à ce que les gouvernants proposent. Ca ne permet pas d’espérer  une suite positive, un avenir radieux, surtout pour la jeunesse.

Que devient Léa Mamê aujourd’hui? Des projets, des perspectives?

Léa Mamê est en quête de retour chez elle. Ce que j’aimerais aujourd’hui c’est de faire un retour aux sources et de pouvoir apporter aux miens toutes l’expérience que j’aie eue là-bas. Pourquoi pas ouvrir une petite salle de théâtre pour former les petits jeunes qui veulent faire du théâtre. J’ai aussi beaucoup appris dans la musique. Il y a pleins de projets qui sont en veille et il y a la suite de mon livre «Dans la carapace de la tortue» où je raconte effectivement plus ou moins mon histoire, un peu enjolivée. Je raconte mon histoire qui n’est cependant pas la mienne, mais celle de mon père, Bouloudi Pascal (Valdez), ancien boxeur, dessinateur, pompier et policier et de la famille ancestrale. Il y a des suites que j’écris tout le temps quand j’ai un moment de solitude.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. BOULOUDI claude dit :

    Erratum
    C’est BOULOUDI et non BOUNOUDI

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