Rien ne donne au gouvernement le droit de mettre en place une administration provisoire. S’il a le pouvoir de révoquer le directeur général, il a le devoir de procéder à son remplacement dans les meilleurs délais.

En ordonnant le paiement de certaines factures au bénéfice des structures publiques, le ministre de la Santé a outrepassé son mandat, consacrant l’immixtion de l’Etat dans la gestion des organismes de prévoyance sociale. © Montage Gabonreview

 

Comme on pouvait le redouter, le gouvernement est droit dans ses bottes. S’il n’a officiellement pas réagi aux propositions de l’Union nationale (UN), il n’a nullement dévié de sa trajectoire, faisant mine de n’avoir rien entendu. Dans le n° 169 bis du Journal officiel, daté du 6 juillet courant, on trouve trois décrets : le n° 0156/PR/MSAS instituant une administration provisoire de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), le n° 0155/PR/MSAS portant dissolution du conseil d’administration et cessation des fonctions des membres de la direction générale ; et le n° 0154/PR/MSAS instituant un comité de surveillance et de contrôle des organismes de protection sociale. C’est dire si l’exécutif entend appliquer les délibérations du Conseil des ministres du 07 juin dernier. C’est aussi dire s’il demeure imperméable aux critiques, remarques ou suggestions, aussi juridiquement fondées soient-elles.

Immixtion de l’Etat dans la gestion des organismes de prévoyance sociale

Comme toujours, le gouvernement campe sur sa logique. Comme souvent, il croit pouvoir remédier à la situation en rusant ou en établissant un dialogue direct avec des entités triées sur le volet. Et tant pis si cela se fait en marge de la légalité ! Tant pis si ses initiatives réduisent la CNSS à une caisse des pensions de vieillesse ! Tant pis si d’autres branches de la sécurité sociale semblent laissées pour compte ! Peut-on sauver une entité d’intérêt public en passant outre les dispositions légales et réglementaires ? Peut-on sauvegarder l’intérêt général en se fermant à toute proposition extérieure ? Peut-on s’assurer de la réussite d’une mission en triant ses interlocuteurs ou en écartant certains protagonistes ? Sur toutes ces questions, on peut répondre par la négative.

Comme le faisait récemment remarquer Jeanine Odette Taty-Koumba, vice-présidente de l’UN, l’article 156 de la loi n° 028/2016 portant Code de protection sociale institue une «autorité administrative indépendante chargée de la régulation, du contrôle et de la coordination des différents régimes du système de protection sociale.» Pis, la validation des plans de dépense de la CNSS ou de la Caisse nationale d’assurance-maladie et de garantie sociale (Cnam-GS) relève de la compétence des conseils d’administration. Par ailleurs, les décaissements doivent se faire dans le strict respect du principe d’étanchéité des différents fonds. En ordonnant le paiement de certaines factures au bénéfice des structures publiques, le ministre de la Santé a outrepassé son mandat, consacrant l’immixtion de l’Etat dans la gestion des organismes de prévoyance sociale. Pourquoi s’est-il refusé à prendre un décret portant organisation et fonctionnement de cette Agence de régulation de la protection sociale (ARPS) tant attendue ?

Terreau de l’arbitraire, de la fraude et de la corruption

Comme le soulignait un autre vice-président de l’UN, Jean-Gaspar Ntoutoume-Ayi, il fallait pourtant «corriger les décisions du Conseil des ministres du 07 juin 2022 pour se conformer (aux textes en vigueur).» Pour justifier la dissolution du conseil d’administration et l’ensemble de ses décisions, le gouvernement peut toujours convoquer l’article 7 de la loi n° 6/75 portant Code de sécurité sociale. Mais, rien ne lui donne le droit de mettre en place une administration provisoire. S’il a le pouvoir de révoquer le directeur général, il a le devoir de procéder à son remplacement dans les meilleurs délais. Après tout, le décret n° 000137/PR/MFPSSN fixant les statuts de la CNSS est clair. En ses articles 33 et 35, il dispose respectivement : «En cas de dissolution (…) du Conseil (d’administration), un comité de gestion est désigné» et, «la dissolution (…) du Conseil (d’administration) n’affecte nullement le fonctionnement de la direction générale. »  Mieux, en son article 34, il donne la composition de ce comité de gestion.

Certes la situation de la CNSS commande de parer au plus pressé. Mais on ne saurait valider des entorses à la loi. Ayant longuement épilogué sur la gouvernance des précédents directeurs généraux, on ne peut se satisfaire des bricolages juridico-institutionnels, terreau de l’arbitraire, de la fraude et de la corruption. Même s’il dit inscrire son action dans «la réforme de (sa) mission (…) de protection sociale et de (…) préservation du bien-être des (…) assurés sociaux», le gouvernement ne peut faire comme bon lui semble. Quand bien même il affirme avoir observé de «profonds dysfonctionnements dans l’accomplissement de la mission (…) (du) Conseil d’administration et de la direction générale de la CNSS», il ne peut créer des structures ex-nihilo. Ne lui en déplaise, la non-application de la loi fera toujours deux victimes principales : la CNSS et les cotisants.

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GR
 

2 Commentaires

  1. Jean Gaspard Ntoutoume Ayi dit :

    L’article 5 du décret n°0156/PR/MSAS du 30 juin 2022 instituant une administration provisoire de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale dispose que : « Les dispositions de la loi n°12/82 du 24 janvier 1983 susvisée s’appliquent à l’administration provisoire. »

    La loi n°12/82 du 24 janvier 1983 porte sur l’organisation de la tutelle de l’État sur les établissements publics, les sociétés d’État, les sociétés d’économie mixte et les sociétés à participation financière publique. Elle dispose en son article premier que : « La présente loi a pour objet d’organiser la tutelle de l’État sur les établissements publics, les sociétés d’État, les sociétés d’économie mixte et les sociétés à participation financière publique tel que définis par la Loi ».

    La loi n°11/82 du 24 janvier 1983 portant régime juridique des établissements publics, des sociétés d’État, des sociétés d’économie mixte et des sociétés à participation financière publique donne une définition précise de chacun de ces organismes publics en ses articles 2, 17, 30 et 39.

     Article 2. – Les Établissements Publics sont des personnes morales de droit public dotées de la personnalité civile et de l’autonomie financière.

     Article 17. – Les Sociétés d’État (S.E.) sont des sociétés commerciales dont l’État, des collectivités locales ou des établissements publics détiennent la totalité du capital et qui exercent une activité d’intérêt général ou interviennent dans le domaine stratégique de l’économie du pays.

     Article 30. – Les Sociétés d’Économie mixte (S.E.M.) sont des sociétés commerciales dont le capital est détenu conjointement par l’État ou par des collectivités publiques, et par des personnes physiques ou morales de droit privé.

     Article 39. – Sont considérées comme sociétés à participation financière publique, les sociétés commerciales qui n’ont pas reçu la qualification de sociétés d’économie mixte dans les formes et conditions précisées aux articles 30 et 3 1 de la présente Loi.

    La loi 6/75 portant Code de sécurité sociale dispose en son article 5 alinéa 1 que : « La gestion du régime de sécurité sociale est institué par la présente Loi et confiée à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale appelée ci-après « La Caisse ». La Caisse organisme privé chargé de la gestion d’un service public, jouit de la personnalité civile et de l’autonomie financière et est placée sous la Tutelle de l’État ».

    Au regard de ces définitions contenues dans la loi n°11/82 et de l’article 5 alinéa 1 du Code de Sécurité Sociale, il est clair que la CNSS n’est ni un établissement public, ni une société d’État, ni une société d’économie mixte ou une société à participation financière publique. Dès lors, les dispositions de la loi n°12/82 ne peuvent s’appliquer à la CNSS et ne peuvent donc être utilisée pour justifier de l’institution de l’administration provisoire.

    La CNSS apparait ainsi comme une personne morale « sui generis » déterminée à travers le Code de Sécurité sociale, le Code de la protection sociale et les Statuts de l’organisme qui déterminent son régime juridique, ses règles de gestion et les modalités d’exercice de la tutelle.

    À ce titre, la tutelle de l’État sur la CNSS s’exerce conformément aux dispositions des article 18 à 21 de la loi portant Code de Sécurité sociale :
     Article 18. Le Ministre du travail et de Prévoyance Sociale assure la tutelle de la Caisse.
     Article 19. Le Ministre du travail et de la Prévoyance Sociale est représenté aux réunions du Conseil d’administration, auxquelles son représentant assiste en qualité de commissaire du Gouvernement. Il est obligatoirement entendu dans ses observations, avant qu’il soit procédé au vote sur chacune des questions figurant à l’ordre du jour.
     Article 20.
    1°) Le texte des décisions prises par le Conseil d’Administration ainsi que les procès-verbaux des séances au cours desquelles elles ont été adoptées sont communiqués au Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale.
    2°) le Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale peut suspendre les décisions qu’il estime contraires aux lois et règlements en vigueur ou de nature à compromettre l’équilibre financier du régime et les renvoyer au Conseil d’Administration pour un nouvel examen. Le Ministre peut, pour les mêmes raisons, annuler les décisions qui, ayant fait précédemment l’objet d’une suspension, auraient été maintenues par le Conseil d’Administration.
    3°) Si le Ministre ne prend aucune décision dans le délai d’un mois à compter de la communication, la décision du Conseil d’Administration devient définitive et exécutoire.
    Il est constitué auprès du Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale un Comité Technique appelé à donner son avis sur toute question intéressant l’organisation de la sécurité sociale. La composition et le fonctionnement de ce comité font l’objet d’un arrêté du Ministre du travail et de la Prévoyance Sociale.

  2. Azrt dit :

    Blabla
    La cnss à une délégation de service public.
    Cest donc une mission régalienne confiée à un organisme indépendant.
    Or une mafia a gangrèné la boîte mettant à terre le système/modèle gabonais de sécurité sociale.
    L’état doit prendre ses responsabilités.
    C’est tout.

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