Si ce n’est pas un média international, pour ne pas dire étranger, qui apprendra Alain-Claude Bilie-By-Nze aux Gabonais, la version en ligne du journal panafricain Jeune Afrique a publié, ce 2 février, «Dix choses à savoir sur Alain-Claude Bilie-By-Nze, nouveau Premier ministre du Gabon». Une énumération brossant le portrait succinct et le parcours de l’homme, toujours bon à savoir. Ci-dessous, le texte de Jeune Afrique. Mais, vu du pays et en sachant tout de même mieux, Gabonreview apporte deux ou trois petites mises au point.

© Facebook/BilieByNze

 

1 – Origines modestes

Fils d’une mère au foyer et d’un père fonctionnaire des Postes, Alain-Claude Bilie-By-Nze est issu d’une fratrie de seize enfants. Une extraction modeste qui lui a parfois valu d’être regardé de haut par la bourgeoisie intello-mondaine de Libreville, dont ce self-made-man n’est pas un produit. C’est aussi, semble-t-il, l’un des ressorts de sa combativité.

Note de Gabonreview :

Si nombreux se basent sur le fait qu’il n’ait pas pu terminer ses études universitaires, peu de gens honnêtes le lui reprochent en réalité. La classe politique gabonaise est truffée d’acteurs à la culture générale riquiqui, à l’élocution douteuse et aux impostures académiques connues même si personne ne le jette sur la place publique. Ce n’est donc pas avec Bilie-By-Nze que l’on sera condescendant ou à lui qu’on le fera, l’homme faisant montre d’une maitrise de ses dossiers.  La «bourgeoisie intello-mondaine de Libreville» dont il est question dans Jeune Afrique n’existe pas ou alors ceux qui prétendent y appartenir brillent par leur démission dans le débat public et la prise de position publique, de circonstance ou de principe. Ce qui devrait être le ressort d’un intellectuel ne fonctionne pas au Gabon, la fameuse «bourgeoisie intello-mondaine de Libreville» glose dans les salons feutrés.

2 – Makokou

Il est né dans le chef-lieu de l’Ogooué-Ivindo, l’une des provinces les plus pauvres du Gabon, même si elle est connue pour abriter l’important gisement de fer de Belinga. Et c’est aussi elle qui a donné l’un de ses meilleurs scores à Ali Bongo Ondimba, juste derrière le Haut-Ogooué, lors de la présidentielle de 2016.

Le président ne l’a pas oublié et sait pouvoir compter sur ses relais ogivins pour marquer des points lors de la prochaine élection à la magistrature suprême, prévue en août. L’un des rivaux locaux de Bilie-By-Nze, Emmanuel Issoze Ngondet, originaire lui aussi de Makokou (et décédé en juin 2020), l’a d’ailleurs précédé à la primature entre 2016 et 2019.

Note de Gabonreview :

Malgré son dénuement économique, infrastructurel et social, la province de l’Ogooué-Ivindo a toujours donné, ou s’est toujours vu attribuée, des scores stratosphériques en faveur du pouvoir. Manque de contrôle réel des scrutins ? Chiffres fantaisistes ? On ne peut rien en dire avec certitude, l’opposition n’y étant pas vraiment implantée. Pour rappel, lors de la présidentielle de 2016, cette province a réalisé un score de 65,96% en faveur d’Ali Bongo. Seule la province du Haut-Ogooué a fait mieux pour la même consultation avec un score 95,46%. Stigmatisée, littéralement ostracisée et moquée, le Haut-Ogooué pourrait, cette année et le cas échéant, céder sa place de «variable d’ajustement» électoral à la province de Bilie-By-Nze… le joker ?

3 – Policier

C’est son père qui l’a poussé à intégrer l’École secondaire des cadets de la police (Escap) à Libreville. Il y obtient son baccalauréat et son matricule de policier, mais n’intègre pas les forces de l’ordre : il préfère suivre un cursus littéraire à l’Université Omar-Bongo (UOB) alors que, au tournant de 1990, le Gabon s’ouvre au multipartisme.

4 – Trublion

Le voilà bientôt sur le front de la revendication estudiantine. Avec une poignée d’amis, il lance le Syndicat des étudiants du Gabon (SEG). Son activisme est rapidement sanctionné : il est exclu de l’université et, quoique marqué à gauche politiquement, qualifié de «fasciste» par les autorités.

Note de Gabonreview :

Jeune Afrique a évité d’y faire allusion, mais le fait mérite d’être listé tant il alimente à nouveau les commentaires dans les réseaux sociaux : «Alain-Claude Billie-By-Nze, déshabilleur de recteur». Depuis plus de vingt ans, cette accusation est portée contre l’actuel Premier ministre, au point que l’opinion la tient pour une vérité incontestable. Le concerné s’était pourtant épanché sur cette rumeur à travers un ouvrage intitulé «Ma part de vérité». Il y est revenu en novembre 2015 sur Radio Gabon, expliquant : «Beaucoup étaient avec moi à l’université, et savent que je n’en ai pas été l’auteur», s’interrogeant : «Je m’étonne que certains journalistes qui étaient à l’université ce jour-là, comme Eugène Elang Mba, M. Ngomo de L’Union, n’aient jamais rien dit».

Et de conclure alors, lassé : «A un moment, face à la vérité, il faut assumer. Moi, j’assume ce que je fais. J’assume qui je suis. J’assume mon parcours et je veux qu’on me juge à l’action que je mène dans le cadre des missions qui me sont confiées par le président de la République».

En juin 2014 déjà, Gabonreview interrogeait cette déplorable légende urbaine (Lire, «Crise universitaire de 1994 : le silence éloquent de Daniel Ona Ondo»).

5 – Des bas et des hauts

Insubmersible, il excelle dans l’art du rebond. Il multiplie les petits boulots (il est animateur radio, puis clerc d’huissier), rêve de politique et se rapproche de l’opposant Paul Mba Abessole. En 2001, il décroche le poste de directeur de la Communication à la mairie de Libreville, dont son mentor vient de prendre les rênes.

En 2006, il entre au gouvernement en tant que ministre délégué à la Communication et est élu député de Makokou. Mais, en 2008, son horizon s’obscurcit de nouveau : il est jugé et condamné pour une affaire de chèques sans provision. L’affaire entache son image et explique en partie sa défaite aux législatives de 2011 à Makokou face à Emmanuel Issoze Ngondet. Mais il parvient à rebondir et, en 2012, il est nommé conseiller et porte-parole de la présidence.

Note de Gabonreview :

Nombreux pensent (ce qui n’est pas vérifié) que son mentor d’avant, le père Paul Mba Abessole, a joué de son entregent pour se débarrasser de son poulain, accusé de bien de choses, notamment d’espionnage et médisance envers lui. Sinon, comment comprendre la célérité de la machine judiciaire ? Sitôt sorti du gouvernement lors d’un remaniement du gouvernement et du fait que l’Assemblée nationale était en intercession parlementaire, empêchant à Billie-By-Nze de faire les démarches idoines pour réintégrer la chambre des députés et recouvrer l’immunité parlementaire y conséquente, la poursuite judiciaire se soit accélérée pour lui faire écoper de trois mois à la maison de détention de Libreville. Cabale ou lâchage ?

6 – Communicant

Plus jeune, il a travaillé pour les agences Globule Communication et HélioSoft. Porte-parole de la présidence, il a complété son expérience en collaborant avec différentes agences de communication, telles Novacom et Majorelles, un temps chargées par le palais de soigner l’image du chef de l’État dans les médias. Il a aussi travaillé au lancement de Gabon 24 lorsqu’il était ministre de la Communication, et il est, à titre personnel, très présent sur les réseaux sociaux (il a sa même propre web TV).

7 – Bûcheron

Le premier parti auquel il adhère, c’est le Rassemblement national des Bûcherons (RNB), d’Abessole. Il y fait son apprentissage politique, mais les deux hommes se brouillent en 2009, quand son aîné choisit, à la mort d’Omar Bongo Ondimba, de soutenir la candidature d’André Mba Obame. Il rejoint ensuite le Parti démocratique gabonais (PDG).

8 – De clivant à rassembleur

Parfois clivant lorsqu’il était porte-parole du gouvernement, et d’un tempérament souvent décrit comme bagarreur, il va maintenant devoir rassembler et faire montre de ses talents de négociateur. D’autant que le chef de l’État a annoncé une concertation entre majorité, opposition et société civile en amont des prochaines élections – en tant que Premier ministre, il sera en première ligne.

9 – Animal politique

C’est un dur à cuire qui prend des risques et un tribun qui n’atermoie pas quand il s’agit de défendre les intérêts de sa famille politique. En 2016, c’est lui qui monte au créneau après la publication des résultats de la présidentielle pour assumer le processus au nom du gouvernement. Alors que la rue accuse celui-ci d’avoir faussé les résultats, il passe à l’offensive et demande des comptes à un informaticien ivoirien qu’il dit avoir tronqué le verdict des urnes au profit de Jean Ping.

10 – Méfiance

Une partie du PDG se défie de lui. Parce que c’est un transfuge de l’opposition historique incarnée par Paul Mba Abessole, mais aussi parce que son ambition – et son talent – dérangent. Ali Bongo Ondimba, lui, a choisi de lui accorder sa confiance. Il n’a pas oublié qu’en 2016, plusieurs membres du PDG réputés fidèles ont démissionné. Bilie-By-Nze, lui, a toujours joué cartes sur table. Il fait peu de doute, pour l’establishment gabonais, qu’il briguera un jour la présidence du pays. Et c’est aussi pour cela que le chef de l’État a choisi de le garder à son côté.

 
GR
 

6 Commentaires

  1. Biswe dit :

    C’est à la fin que cela devient intéressant…🤞😉😎!!

  2. Yann Levy Boussougou-Bouassa dit :

    J’admire beaucoup le parcours, la verve de ce monsieur. Il est, depuis Pierre Mamboundou, l’homme politique dont l’aisance oratoire et la culture générale sont un vrai régal pour l’ouïe. Je le trouve, à certains égards, très inspirant, quoique je sois en désaccord avec lui la plupart du temps quant à sa lecture de l’état du pays.

  3. CYR Moundounga dit :

    Bjr. Morceau choix : »La classe politique gabonaise est truffée d’acteurs à la culture générale riquiqui, à l’élocution douteuse et aux impostures académiques connues même si personne ne le jette sur la place publique. Ce n’est donc pas avec Bilie-By-Nze que l’on sera condescendant ou à lui qu’on le fera « .

    Tout a fait d’accord avec vous sur ce point. Dépoussiérer le fichier de la fonction publique et vous verrez !!!Amen.

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