Notre Constitution institue un régime semi-présidentiel.  Pour ne pas le fragiliser, il faut consacrer la prépondérance et la centralité du président de la République au sein des institutions, lui conférer une légitimité électorale supérieure à celle des députés et établir le distinguo entre l’Assemblée nationale et lui.

Pouvoirs distincts appelés à se contrebalancer d’une certaine manière, on ne saurait rattacher le choix du président de la République à celui d’un député, lier les deux légitimités, les subordonner l’une à l’autre et vice versa. Cela équivaudrait ou à abaisser la fonction présidentielle en la ravalant au rang de député ou à ériger l’Assemblée nationale en homologue du président de la République. © GabonReview

 

Inspirée de celle la Vème République française, notre Constitution institue un régime semi-présidentiel. Malgré les retouches régulières, l’organisation et le fonctionnement de notre État se caractérisent ainsi :  un président de la République élu au suffrage universel direct et disposant de pouvoirs étendus, notamment celui de dissoudre l’Assemblée nationale ; un gouvernement responsable devant lui et devant l’Assemblée nationale et ; un Parlement bicaméral comprenant une Assemblée nationale censée contrôler l’action du gouvernement et disposant de la capacité de le renverser. Arbitre du «fonctionnement régulier des pouvoirs publics», le président de la République incarne l’exécutif. Quant à l’Assemblée nationale, elle appartient au législatif. C’est dire si ces deux institutions symbolisent deux pouvoirs distincts, appelés à se contrebalancer d’une certaine manière.

Deux élections distinctes, se rapportant à deux pouvoirs distincts

On peut toujours suggérer l’usage d’un bulletin unique. Mais, la présidentielle et les législatives sont deux élections distinctes, se rapportant à deux pouvoirs distincts. Pour rien au monde, on ne saurait les fusionner et en faire une seule et même élection. En aucun cas, on ne saurait rattacher le choix du président de la République à celui d’un député. Cela reviendrait à lier les deux légitimités, à les subordonner l’une à l’autre et vice versa. Au-delà, cela équivaudrait ou à abaisser la fonction présidentielle en la ravalant au rang de député ou à ériger l’Assemblée nationale en homologue du président de la République. Est-ce envisageable ? Est-ce conforme à notre ordonnancement institutionnel ? Pourquoi le président de la République devrait-il conserver la capacité de dissoudre une Assemblée nationale élue en ticket avec lui, dans les mêmes conditions ?

Il se trouvera des zélotes pour soutenir la proposition du Centre gabonais des élections (CGE). Mais, à moins de nier la prééminence du président de la République, on ne peut banaliser les conditions de son élection. Sauf à le réduire à un acteur politique comme un autre, on ne peut susciter des doutes sur sa légitimité propre. Avant d’énoncer une idée, il faut s’assurer de sa pertinence et en évaluer les implications. Lors de la concertation politique de février dernier, le Premier ministre avait suggéré l’élection du président de la République par le Parlement. Si le Parti démocratique gabonais (PDG) tenait tant à lier le président de la République à l’Assemblée nationale, il aurait dû profiter de la dernière révision constitutionnelle pour acter le passage à un régime parlementaire avec un président de la République élu au suffrage indirect. Pour être demeuré fidèle au régime semi-présidentiel, il ne peut prendre le risque de porter atteinte à l’autorité du président de la République.

Réinventer la roue

Si le CGE veut instaurer le bulletin unique, il doit se garder de bouleverser les pouvoirs constitués voire de fragiliser la «clef de voûte des institutions». En se référant au caractère uninominal des deux scrutins, il fait dans le simplisme mystificateur. Ne lui en déplaise, le fond du débat réside dans le rôle et la place du président de la République, sa légitimité propre et la séparation des pouvoirs. Autrement dit, il faut tout à fois consacrer la prépondérance et la centralité du chef de l’État au sein des institutions, lui conférer une légitimité électorale supérieure à celle des députés et établir le distinguo entre l’Assemblée nationale et lui. De même, il faut tenir compte de l’existence de candidats indépendants. Mieux, il faut se souvenir de cette implacable réalité : les députés sont élus dans des circonscriptions délimitées, le président est élu par tous les citoyens, sur l’ensemble du territoire national. De ce point de vue, le bulletin unique ne saurait permettre de les élire en une seule fois.

De par le monde, de nombreux pays utilisent le bulletin unique. Partout, il en existe un pour chaque type d’élection. Nulle part, les scrutins n’ont été fusionnés sous ce prétexte. Pourquoi le Gabon doit-il réinventer la roue ? Pourquoi doit-il se donner en spectacle en avançant une curieuse définition du bulletin unique ? Pour «minimiser les risques d’erreur» ? Ou pour réduire les «coûts élevés de la démocratie» ou faciliter le dépouillement ? Mais, rien de cela ne peut justifier pourquoi la légitimité du président de la République doit être attachée à celle des députés ni pourquoi la présidentielle doit être fondue dans les législatives. Ne pas galvauder les notions, se conformer aux standards internationaux, tenir compte de l’esprit et de la lettre de notre Constitution : il en va de l’image de notre pays, de celle de ses institutions et de la réputation de leurs dirigeants.

 

 

.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Endundu dit :

    Que le CGE tienne compte de ces analyses aussi pertinente. Sinon nous allons droit au mur. 🤔

  2. Désiré NGUEMA NZONG dit :

    Bonjour Mme Roxanne BOUENGUIDI,

    Nous ne sommes pas une République démocratique. Nous en avons que les apparences. ce point de vue, je le partage avec vous. L’idée de la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu et à Locke, est proprement reniée, piétinée, insultée. Le Gabon est-il une république bananière? Ma réponse est oui.

    Le Président sortant ne saurait gouverner sans une majorité à l’Assemblée nationale de pédégistes. Ce qui pose problème, ce n’est pas la victoire du PDG aux législatives, mais l’élection du Président sortant. Il est impopulaire, peu crédible, peu efficace. Toutefois, la conservation du pouvoir reste son objectif prioritaire. Quitte à torde le cou à notre « Constitution », au Code électoral et aux modalités du vote in situ.

    Vous soulignez un fait important: le timing électorale. Dans les démocraties véritables, il y a trois élections différentes à des dates différentes selon la durée des mandats (1). Or, trois élections le même jour souligne le manque évident de crédibilité du candidat du PDG. Il sait qu’il ne peut pas gagner les élections dans la transparence. Le message politique cynique (le biais cognitif) qu’on essaye de nous faire inoculer est que « si les députés du PDG sont majoritaires, alors le Président sortant l’est aussi ».

    Le PDG n’a pas d’autre solution que procéder aux élections le même jour pour faire élire le Président sortant. C’est sa seule option : « Et en même temps ». Par conséquent, ces élections sont « pipés ». Toute option de « cohabitation » ou de « majorité relative » serait un échec du PDG et donc sa fin de vie. Imaginez le Président sortant non élu à une date donnée. Le PDG serait-il majoritaire à l’Assemblée nationale à une élection postérieure? Je ne crois pas.

    A la fin de votre article, vous incitez sur un point qui me pose aussi problème. Dans notre pays, on a une propension à faire des choses hors des standards démocratiques internationaux. Le Gabon : le seul pays au monde à faire trois élections le même jour avec des modalités de vote anti-liberté. Ils en rigolent les démocrates du nord quand ils voient notre petite cour de récréation avec des bambins qui n’arrêtent de faire des coups tordus aux autres.

    Un Président est élu par le peuple (pour le peuple) à la majorité d’au moins 50% des électeurs au second tour après un débat d’idées. Il est garant de la Constitution. Nous réinventons la démocratie? Non. Nous l’insultons! Nous l’humilions! Nous l’enterrons!

    « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles » ALbert Camus.

    Cordialement.

    (1) En France, les élections présidentielles ont eu lieu le 10 avril (1er tour) et le 24 avril 2022 (second tour); les élections législatives ont eu lieu le 12 (1er tour) et le 19 juin 2022 (2nd tour).

  3. messowomekewo dit :

    Ils veulent piteusement se maintenir au pouvoir vaille que vaille, tous les petits subterfuges sont bons!!!
    Votre cause est entendue, le peuple gabonais ne veut pas de vous comme dirigeants, comprenez-le une fois pour toutes.Tous ces petits bricolages ne servent à rien, vous n’aurez aucune légitimité si d’aventure vous opérez comme d’habitude un passage en force…

Poster un commentaire