Christian Emane Nna, vice-président de « Debout Peuple Libre », partage dans cette tribune son regard sur l’inaction des gouvernants qui « usent de leur posture illusoire pour tenter de cacher la réalité d’un Gabon qui est devenu, au fil des années, la fabrique de l’échec ». Il dresse le constat accablant de l’absence « de redevabilité », du « système éducatif tourné vers le déclin », de « l’exclusion nationale » et des « contresens qui mettent en péril notre avenir ».

Au regard de son PIB par habitant (4 millions de FCFA par an), le niveau de vie des Gabonais devrait être équivalent à celui des habitants de certains pays européenne comme la Bulgarie membres de l’UE, la Serbie et au-dessus de celui de l’Ukraine. © Facebook/MapaneInfos

 

Le Vice-président de Debout Peuple Libre, Christian Emane Nna. © D.R.

Concrétiser l’aspiration au bien-être d’un peuple passe nécessairement par l’amélioration des capabilités offertes à chaque citoyen pour garantir son épanouissement. C’est le principal défi de tous les gouvernements engagés vers le progrès et la prospérité inclusive. Mais au Gabon, loin de cette préoccupation, les gouvernants trouvent l’urgence dans l’impertinence de la révision constitutionnelle et versent dans l’inquisition, sous le prétexte de la crise sanitaire, pour asseoir la confiscation et la militarisation du pays. Ils usent de leur posture illusoire pour tenter de cacher la réalité d’un Gabon qui est devenu, au fil des années, la fabrique de l’échec et dont la dette toxique culminerait désormais à plus de 6400 milliards de FCFA, avec une augmentation autour de 1080 milliards de FCFA en 2020. En dépit des signaux désormais tous passés au rouge, ceux qui dirigent le Gabon se complaisent dans l’incurie, l’opacité, le déclin, l’exclusion et les contresens qui mettent en péril notre avenir.

L’incurie, l’opacité et l’exigence de redevabilité

Au moment où l’année 2021 commence et que les gouvernants promettent un compte rendu trimestriel, les Gabonais sont en droit d’attendre le bilan sincère de la gestion des ressources financières de l’Etat pour le compte de l’exercice 2020. A ce titre, il est opportun de rappeler ici, qu’au registre des aides reçues dans le cadre de la riposte face à la Covid-19, notre pays a bénéficié en mars 2020, d’un don de 90 millions de FCFA de la part de la filiale gabonaise du groupe bancaire panafricain UBA, au titre de sa contribution à la lutte contre la crise sanitaire. Dans le même élan, au mois d’avril 2020, l’Union Européenne avait octroyé un appui de 525 millions de FCFA. Au cours du même mois, la communauté libanaise du Gabon avait fait un don de 500 millions de FCFA pour apporter son soutien à l’Etat et l’Agence Française de Développement avait accordé un appui financier et technique d’un montant de 3,3 milliards de FCFA. Le Fonds Monétaire International, quant à lui, avait décaissé une enveloppe de 74 milliards de FCFA.

Puis, au mois de mai de la même année, la Banque Mondiale avait accordé un prêt de 5 milliards de FCFA à l’Etat gabonais et la Banque Africaine de Développement avait débloqué un prêt de plus de 65 milliards de FCFA pour permettre à notre pays de faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

En considérant les chiffres énoncés, la somme des contributions de nos partenaires locaux et internationaux accordées dans le cadre de la riposte contre la Covid-19, s’élève à 150 milliards de FCFA. Soit, l’équivalent de 6% du budget de l’Etat en 2020. A ce jour, le plan d’utilisation de ces ressources reste inconnu, les Gabonais sont donc en droit d’exiger des comptes sur les dépenses engagées avec ces fonds. Au demeurant, la représentation nationale, en dépit de sa discutable légitimité, se doit de rendre public le rapport de l’enquête parlementaire sur la gestion de la Covid-19 au Gabon. Cette exigence de redevabilité est plus attendue que l’élan sécuritaire de l’état d’urgence sanitaire, dont les seules mesures sont le déploiement des forces de défense et de sécurité et un confinement. Du reste, cela se fait au détriment des vrais besoins du pays, notamment dans l’éducation, qui est la principale victime de cette inconséquence, alors qu’elle est la « mère » de toutes les priorités.

Un système éducatif tourné vers le déclin et à l’agonie

La crise actuelle a entériné la déchéance de notre système éducatif qui est plus que jamais marqué par ses insuffisances structurelles, notamment, des années de sous-investissement, l’absence de planification et d’employabilité.

Plus largement, notre système éducatif, dont l’objectif principal est de garantir l’instruction pour pérenniser le développement, accuse un énorme déficit en nombre de salles de classe et les engagements non tenus relatifs à la construction de 60 établissements dans le secondaire et des universités de Port-Gentil, d’Oyem et de Mouila, n’ont pas contribué à améliorer la situation. C’est d’ailleurs pour combler ces insuffisances que l’Agence Française de Développement apporte au Gabon un appui de 101 milliards de FCFA, dans le cadre du projet PISE, qui consiste à construire et à réhabiliter 500 salles de classe à Libreville et Port-Gentil. Mais jusqu’à ce jour, ce projet tarde à se concrétiser.

L’accès au système éducatif, qui commence bien évidemment par le préscolaire, présente de graves limites, notamment, l’insuffisance de places disponibles dans le public et le coût d’accès très élevé dans le privé. On note aussi une faible et inégale répartition des structures préscolaires sur le territoire. En effet, les provinces de l’Estuaire et de l’Ogooué-Maritime concentrent à elles seules 63,35% des 1007 établissements préscolaires publics et privés du Gabon. Une autre statistique qui conditionne et obère l’avenir de notre pays : 60,2% des ménages affirment avoir un enfant de moins de six ans qui n’est pas préscolarisé. Aussi, près de 35% des ménages en milieu rural affirment que la question de la carte scolaire, notamment le manque de moyens de transport pour effectuer quotidiennement la distance entre le domicile et le centre préscolaire, est la principale difficulté à laquelle ils sont confrontés pour inscrire leurs enfants en pré-primaire.

D’autre part, 68,8% des classes de pré-primaire et 51,3% des Centres d’éducation préscolaire n’ont pas de salle de repos pour les enfants de moins de cinq ans et seulement 24% des classes du pré-primaire ont une cantine. De même plus de 90% des préscolaires n’ont pas une rampe d’accès pour les enfants porteurs d’un handicap. Pour tous les types d’établissements préscolaires considérés et au regard des dernières chiffres disponibles, seuls 72 sur 1007, soit autour de 7 %, dispose d’une infirmerie fonctionnelle.

S’il est clairement établi que nous souffrons de graves insuffisances à l’entrée de notre système éducatif, il est évident que sa sortie n’est pas mieux lotie au registre des moyens et du respect des engagements. En effet, dans l’enseignement supérieur, le nombre de nos étudiants boursiers est passé de 15 825 en 2009 à 30 330 à la fin d’année 2015. Durant la même période, le montant des bourses allouées, quant à lui, est passé de 38 à 59 milliards de FCFA, soit une augmentation de 68%. Mais, en dépit des énormes financements octroyés au Gabon par les bailleurs de fonds pour faire face aux conséquences de la Covid-19 et des ressources budgétaires dédiées au financement de l’éducation en 2020, l’Etat peine à s’acquitter de sa dette vis-à-vis des étudiants de l’enseignement public.

Pour se dégager de sa responsabilité, l’Etat évoque sans aucune pudeur, le fallacieux prétexte de la fermeture des établissements publics depuis le début de la crise sanitaire. Oubliant au passage que c’est par respect des consignes sanitaires et des restrictions des libertés décidées par les gouvernants que les étudiants n’ont pas été scolarisés depuis bientôt un an. Des milliers d’étudiants subissent donc la double peine en étant privés de leur droit à la bourse, après qu’ils aient été privés de celui à l’enseignement. Ils paient injustement le lourd tribut de l’incapacité de l’Etat à prendre des dispositions pour assurer la continuité pédagogique depuis le début de la crise sanitaire.

De l’éducation à l’exclusion nationale

Au regard de la situation, le Gabon semble promouvoir en lieu et place de l’éducation nationale, un modèle d’exclusion nationale, avec un système éducatif structurellement fondé sur la défaillance et l’inopérance. On peut noter le faible niveau d’employabilité des sortants, l’insuffisance de moyens, d’équipements, d’infrastructures,    d’enseignants dont le déficit au secondaire s’élevait déjà à 9200 en 2010, de matériels pédagogiques, l’indisponibilité de données statistiques fiables et l’inexistence d’une architecture numérique.

Le niveau élevé de déperdition est une autre carence de notre système éducatif. L’école est obligatoire jusqu’à seize ans dans notre pays, mais avec 30% de redoublement et 34,62 % d’abandon au primaire, les rejets scolaires sont à un stade critique. De même au supérieur, les étudiants du premier cycle représentent 67% des effectifs, tandis que ceux de second cycle seulement 25%. Cela donne une indication sur l’étendue du désastre. On peut aussi pointer le relent discriminatoire de notre système éducatif, qui se traduit par l’insignifiante prise en charge des enfants handicapés. Du pré-primaire au supérieur, seulement deux écoles publiques adaptées pour leur accompagnement existent dans notre pays et elles sont situées à Libreville. Nous sommes indéniablement face une situation d’exclusion et ne pas y remédier, c’est nier leurs droits à nos enfants handicapés.

Par ailleurs, nous accusons aussi un retard important en matière d’apprentissage tout au long de la vie. Le niveau d’analphabétisation des jeunes de 15-24 ans au Gabon est de 14,6%, il se révèle plus élevé que la moyenne africaine pour cette tranche d’âge.

En outre, sur les 38% de jeunes chômeurs au Gabon, 27% d’entre eux sont sans formation. Aussi, l’indice de satisfaction de la qualité de l’éducation au Gabon était de 46,5 % en 2011 et on peut affirmer sans risque, dix ans après, que la tendance est à la détérioration, en dessous des standards des pays ayant le même niveau de revenus et en décalage avec les défis de développement.

Le nécessaire changement de paradigme face au contresens structurel

Assurément, il nous sera impossible d’édifier un Gabon prospère et solidaire sans une amélioration considérable du niveau de formation et de la qualité de la recherche sur nos enjeux, et donc de notre savoir-faire. Or en la matière, la gouvernance du Gabon s’inscrit dans un contresens structurel qui a pour conséquence la faible compétitivité de notre économie et l’exclusion sociale. Il est indubitable que l’inadéquation entre le système éducatif, les orientations de la recherche et les besoins de modernisation d’un pays, obère son inventivité, limite sa compétitivité et favorise la précarité de sa population.

Pour rappel, en dix ans, le Gabon a accumulé plus de 80 000 milliards de FCFA de PIB et plus de 30 000 milliards de FCFA de ressources budgétaires et au regard de son PIB par habitant qui est de l’ordre de 8000 dollars, soit 4 millions de FCFA par an, le niveau de vie des Gabonais devrait être équivalent à celui des habitants de certains pays européenne comme la Bulgarie membres de l’UE, la Serbie et au-dessus de celui de l’Ukraine. Mais la réalité est tout autre. Sur 2 millions de Gabonais, près de 1,4 millions vivent dans la pauvreté dont plus de 600 000 dans l’extrême pauvreté et ce paradoxe a un impact dévastateur à tous égards.

De nombreuses entreprises sont en cessation d’activité du fait de la crise économique causée par des choix hasardeux et amplifiée par le contexte international pour lequel la seule réponse des gouvernants est l’inertie. Le chômage frappe de nombreuses générations de diplômés au point que leurs parchemins sont dévalorisés ou condamnés à la caducité. Dans le même sens, les stages de validation des cursus académiques sont quasi impossibles à obtenir. La contraction de l’activité économique, qui réduit les besoins en main d’œuvre et en postes d’apprentissage, a pour conséquence le report indéfini des validations de diplômes.

De plus, le chômage qui était déjà une difficulté structurelle avant la crise sanitaire, s’est aggravé. Selon la Banque Mondiale 35,7% des chômeurs au Gabon sont des jeunes de 15-24 ans et ce chiffre, préoccupant pour l’avenir de notre pays, est une estimation en dessous de la réalité. Il est donc impérieux d’apporter au désastre gabonais, des réponses efficaces et pérennes. Cela passe nécessairement par un changement de paradigme et de leadership politique permettant de transformer en profondeur notre société et de garantir ainsi notre bien-être collectif et notre vivre ensemble.

Christian EMANE NNA, vice-président de Debout Peuple Libre

 
GR
 

2 Commentaires

  1. SERGE MAKAYA dit :

    L’Agence Française de Développement n’a pas besoin de venir en aide au Gabon, pays IMMENSÉMENT RICHE, mais MAL géré par une famille IMPOSÉE par le Quai d’Orsay. C’est cela la triste réalité. Les Gabonais ne sont pas forcément responsables de leurs malheurs. La France y est pour BEAUCOUP, car c’est elle qui nous a imposée des présidents non élus par le peuple. CQFD.

  2. Jb. SILLA dit :

    Merci pour cet excellent article Mr Emane Nna!
    D une clarte conceptuelle impeccable vous ns synthetisez la situation actuelle du Gabon. Pays aux ressources illimitees et paradoxalement elu ‘cancre de classe’indelogeable depuis les dernieres decennies…
    Nous attendons avec impatience, apres cette magistrale lecon, une suite a l article, sous un eclairage plus purement economique cette fois ci. Du point de vue educatif, tout y est dit.
    Sinceres salutations d Amerique latine, ou ns suivons de pres le combat ccontre le desespoir, et pour l esperance, des veritables patriotes de votre pays et du continent.
    Pays magnifique ds lequel ns avons eu la chance de vivre ds les annees 80’

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