Comment les villes africaines en pleine expansion pourront-elles s’adapter à l’augmentation incessante du nombre d’habitants, tout en préservant les ressources naturelles et en atténuant les impacts du changement climatique ? Dans la tribune ci-après, Emmanuel Edane* assure que c’est dans cette tension entre croissance démographique, impératif économique et enjeux environnementaux que réside la problématique cruciale de notre époque.

Vue de Libreville. © D.R.

 

Emmanuel Edane, Administrateur Directeur Général de la FMCT. © D.R.

Dans le paysage dynamique du 21ème siècle, les villes africaines émergent comme des centres de vitalité et de promesses économiques, témoignant d’un rythme d’urbanisation accéléré selon les données de la Banque mondiale. Cette transformation rapide reflète le potentiel inégalé que détient le continent africain pour l’avenir mondial. Cependant, cette évolution pose des défis considérables en matière de durabilité urbaine. Une urgence, la plupart des mégapoles sont côtières du fait de leurs passées coloniales et commerciales, plus de 70 % des villes africaines seraient hautement vulnérables aux chocs climatiques selon la Banque Africaine de Développement. Avec une population mondiale projetée à près de 10 milliards d’habitants d’ici 2050, une grande partie de cette croissance sera concentrée en Afrique, avec près de 2,4 milliards d’habitants. Dans le contexte de l’expansion rapide des villes africaines, l’adaptation pour accueillir cette population croissante est une nécessité. Il s’agit d’un équilibre délicat entre les enjeux économiques, où chaque Africain doit trouver des opportunités équitables, et la préservation essentielle des ressources naturelles. Dans ce défi complexe, la création d’infrastructures de base accessibles à tous devient cruciale, tout en veillant à atténuer les impacts du changement climatique. Comment les villes africaines en pleine expansion peuvent-elles s’adapter pour accueillir cette population croissante, notamment tout en préservant les ressources naturelles et en atténuant les impacts du changement climatique ? C’est dans cette tension entre croissance démographique, impératif économique et enjeux environnementaux que réside la problématique cruciale de notre époque.

L’aménagement durable en première ligne contre le changement climatique

Face à l’urgence climatique, les villes africaines sont à la croisée des chemins. Malgré des signes alarmants – érosion côtière, inondations, îlots de chaleur –, la mobilisation reste insuffisante. Un rapport de l’IRD et d’experts ouest-africains souligne l’aggravation de la vulnérabilité des littoraux, exacerbée par une concentration humaine et économique intense. Avec plus de 60% des zones côtières africaines menacées par l’élévation du niveau de la mer d’ici 2050, il est impératif de repenser radicalement nos approches d’urbanisme. La survie de nos villes impose une planification ambitieuse, intégrant résilience et durabilité des infrastructures face à des défis climatiques sans précédent.

Repenser nos villes exige une réévaluation profonde de l’aménagement urbain, un levier fondamental pour préparer les territoires face au changement climatique et pour favoriser la préservation ou la création d’emplois à travers des modèles durables. Cependant, la mise en œuvre de cette vision est entravée par la planification lacunaire, des schémas directeurs anciens et non actualisés, ainsi que par le manque de plan d’actions et d’identification des acteurs impactés. Il est essentiel mettre à la disposition des Autorités un Outil de Planification Urbaine qui dressera pour les années à venir les grandes lignes du développement de nos grandes métropoles. L’orientation vers la création de chaînes de valeur africaines pourrait être une solution qui implique des efforts soutenus dans la formation et la sensibilisation aux métiers de la ville, de l’environnement, avec des programmes adaptés à chaque réalité, éléments essentiels dans le développement des industries locales. Pour bâtir des villes durables ancrées dans notre identité, valorisées par les futures générations, l’utilisation de matériaux biosourcés tels que le bois, la terre ou le granit est clé. Ces ressources, en particulier dans les pays forestiers, offrent non seulement une opportunité de développement durable en créant des emplois, mais aussi en favorisant l’économie locale. L’architecte Burkinabè, Francis Kéré, récompensé à plusieurs reprises pour sa créativité, illustre parfaitement cette démarche en adaptant les techniques de construction aux spécificités africaines, promouvant ainsi un développement qui respecte l’environnement et renforce le tissu économique local.

Des modèles laboratoires déjà existants en Afrique

Eko Atlantic au Nigéria, Diamniadio au Sénégal, Casa Marina, New Cairo en Egypte, Baie des Rois au Gabon, Sèmè City au Bénin, sont des laboratoires d’idées visant à calibrer une vision à long terme pour le développement urbain en Afrique. Ces projets reflètent l’engagement des Etats qui ont compris les enjeux de la transformation de pôles économiques et de l’attractivité de leur territoire, l’urgence de créer des pôles de transformation économique, de dynamisme et d’attractivité. Toutefois, ces initiatives sont confrontées à une multitude de défis propres à chaque pays et doivent surtout affiner l’idée que le concept de durabilité est parfaitement applicable à notre mode de vie. À l’instar de Zenata, un projet urbain novateur déjà labélisé « Ecocity Label », la ville est conçue pour avoir un impact durable, avec un aménagement axé sur l’industrie visant à préserver les emplois locaux. D’autres problématiques majeures, comme l’attractivité du marché immobilier en Afrique, sont des freins, un énorme déficit en financement pour les infrastructures chiffré à 108 milliards de dollars par an. Il est important de noter qu’aucun pays d’Afrique centrale ne figure dans le top 5 sur le continent, malgré une superficie de 5,4 millions de km² et une population de 138 millions d’habitants, avec des capacités économiques sous-exploitées. Ces projets souffrent en premier lieu du manque de passerelle entre le monde financier et les développeurs immobiliers.

Cependant, l’Afrique a des spécificités bien particulière les projets présents sur le continent dépendent en partie de l’accélération de la coopération sud-sud. L’objectif est de créer des lieux de vie, de culture, d’histoire, mais aussi de modernité qui incarnent les valeurs d’inclusivité et d’opportunités économiques pour les populations en s’inscrivant dans une perspective de durabilité et de progrès où les acteurs locaux exprimeront pleinement leur plein potentiel. Cette approche favorise le circuit court avec un impact carbone relativement faible. Cette ambition ne doit pas se cantonner aux grandes métropoles africaines mais être le fruit d’une décentralisation qui donnerait aux petites villes l’opportunité de définir un cadre à leur développement avec des Plans Locaux d’Urbanisme adaptés.

Une intégration difficile par le bas

L’accroissement de la population africaine est de l’ordre de 2,7 % par an depuis les années 2000, une urgence, mais qui doit être traitée comme une opportunité. En Afrique, l’urbanisation ne résulte pas principalement d’un exode rural massif, mais plutôt de la transformation progressive des villages en villes en raison de la croissance démographique constante. L’OCDE en 2020 a souligné cette spécificité, notant l’émergence de milliers de villes de moins de 30 000 habitants, souvent d’anciens villages avec des activités minières ou agricoles, abritant déjà une population totale de 210 millions d’habitants. Offrir une formation sur les enjeux spécifiques de l’urbanisation, même dans les zones rurales, est primordial. Sensibiliser aux défis urbains et aux impacts environnementaux encourage des comportements responsables et durables, favorisant ainsi des villes plus harmonieuses et résilientes.

Ce processus d’urbanisation aggrave les écarts entre zones rurales et urbaines. Environ 45% de la population mondiale vit en zones rurales, tandis que seulement environ 20% ont accès à l’électricité et à l’eau courante, comparé à plus de 90% dans les zones urbaines développées. Promouvoir une urbanisation durable nécessite des solutions adaptées aux besoins spécifiques de chaque région. Cela nécessite une approche holistique qui intègre les aspirations et les besoins des populations rurales dans les plans de développement urbains et nationaux. L’étude d’impact environnemental et social est essentielle pour les projets d’urbanisation. Il faut par conséquent établir des relations solides avec les communautés locales et intégrer activement les parties prenantes dans la conception des projets, ce qui facilitent leur acceptation et leur durabilité à long terme.

*Emmanuel Edane, Directeur général de la Façade Maritime du Champ Triomphal (FMCT)

 
GR
 

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