A travers une réflexion collective et spontanée, menée par de jeunes Gabonais (enseignants-chercheurs et observateurs de la situation sociopolitique du pays) sous la thématique : «Quelle transition pour quelle restauration ?», Wilfried Ndemby Manfoumby, docteur et enseignant-chercheur en Littérature générale et comparée s’appesantit, lui, sur la «refondation des partis politiques». Dans la Tribune libre ci-dessous, il fait dire, en tant que contemporains des événements du 30 août dernier, à savoir la prise du pouvoir par les forces armées gabonaises, qu’il faut absolument restructurer les partis politiques au Gabon.

«La majorité des partis politiques gabonais n’ont aucun fondement idéologique» (Illustration). © D.R.

 

Wilfried Ndemby Manfoumby. Docteur et enseignant-chercheur en Littérature générale et comparée. © D.R.

Vers la fin de l’année 1989 et début 1990, au Gabon, Omar Bongo se heurte à une crise sociale et politique sans précédent. Soufflée par le vent de l’Est, cette crise était le fruit d’une grogne des Gabonais qui souhaitaient mettre fin au parti unique. Pour faire face à cette contestation, le président gabonais multiplie les rencontres avec la société civile et les partis politiques pour tenter d’apaiser les tensions. À cet effet, en 1990, une Conférence nationale est organisée. Dans le même sens, bien d’autres événements ont ponctué la vie politique gabonaise tels que les accords de Paris de 1994 et la création de la Cour constitutionnelle.

«Cet héritage politique est devenu un véritable cancer pour le pays»

On ajoutera, à propos du chapelet de mesures prises : le statut des partis politiques et de leurs leaders qui devaient bénéficier d’un financement et d’un traitement particulier.  Aujourd’hui, nul doute que le brouillard qui surplombe encore le système politique actuel du Gabon provient de tous ces compromis faits par Omar Bongo dans le but d’apaiser les tensions dans le pays. Et il faut le dire sans ambages : cet héritage politique est devenu un véritable cancer pour le pays. Car au fil du temps, on a assisté à la création de 101 partis politiques, voire plus (si on ajoute les associations et ONG politiques), pour une population d’un peu plus de deux millions d’habitants !

L’effet de causalité

De l’avènement du multipartisme à nos jours, la politique gabonaise est dans un engrenage assez particulier, car les deux blocs politiques du pays ˗ même si nous restons sceptiques sur cette sémantique ˗, c’est-à-dire la majorité présidentielle et l’opposition, n’ont jamais laissé advenir un modèle politique démocratique digne de ce nom. En effet, les connivences entre les acteurs politiques ont considérablement décrédibilisé la politique au Gabon, puisque le peuple gabonais n’a jamais été au cœur de leurs préoccupations.  Ainsi peut-on par exemple observer, à l’approche des échéances électorales telles que l’élection présidentielle, que tous les partis politiques et associations se mettent en ordre de bataille, y compris ceux qui ne comptent guère plus de 100 militants ou qui ne disposent pas d’un simple local.

Aussi la grande partie de ces partis revêt-elle la bannière de la majorité présidentielle. Une cohabitation souvent saupoudrée de quelques combines et arrangements de circonstance, dans l’attente de la confirmation de la victoire du parti qui a jusqu’ici été au pouvoir : le PDG (Parti démocratique gabonais). Comme bien d’autres échéances, l’élection présidentielle de 2005 a particulièrement été révélatrice d’incohérences et d’approximations. En effet, force a été de constater que pendant la campagne, nombreux acteurs politiques de la majorité présidentielle ont eu droit à des dotations de véhicules de type «Gonow», avec à la clé des nominations assurées, sous la houlette du président Omar Bongo. Cette tradition du partage électoraliste sera perpétuée sous Ali Bongo en 2009 à chaque fois que les occasions s’offraient à lui. Ce système de domination et d’abrutissement était donc bien tissé. C’était le Graal pour certains hommes politiques qui souhaitaient se faire une bonne santé financière et politique : il fallait exister à tout prix et « sauver sa peau».

Dans le même sillage, l’opposition n’est pas en reste, puisqu’elle a bénéficié, hier, comme aujourd’hui, des grâces du système. Certains ont eu droit à des postes de prestige. Pierre Claver Maganga Moussavou, Louis Gaston Mayila, Ndemezo Obiang, Jean Eyeghe Ndong sont des exemples qui ont démontré leur assujettissement au pouvoir d’alors ; ainsi que leur incapacité à défendre des valeurs républicaines et la construction d’une Nation forte.

Finalement, les «Gabonais normaux» ou les Gabonais dits «d’en bas» ont été toujours oubliés. C’est pourquoi les circonstances actuelles nous amènent à réfléchir à une Conférence nationale post-Baule, avec pour mission de mettre en place des structures de vérification d’une démocratie véritable ou de «rétablir» celles qui auront fonctionné depuis l’ouverture du pays au pluralisme. Ce serait aussi l’occasion pour les conférenciers de réfléchir aux politiques publiques et au fonctionnement des partis politiques dont le nombre total s’élève à 101 (avec un régime monopartite pour modèle prioritaire, des fondations inébranlables et des structures sans siège, etc.).

Le mal est donc profond, mais il n’est pas trop tard. Afin de redonner espoir aux Gabonais et rétablir un pacte de confiance entre le peuple et les politiques, les nouvelles autorités ˗qui devraient faire preuve de pragmatisme˗ doivent impérativement faire «le ménage au kärcher» dans l’arène politique gabonaise.

Nécessité de restructuration des partis ˗ à défaut de dissolution ˗ pour un modèle politique juste.

Comment penser la vie politique au Gabon à l’ère de la transition ? Le Gabon a connu de grands leaders politiques, avec des partis façonnés à leurs images. On peut citer entre autres, le PGP de Maître Pierre-Louis Angodjo-Okawé, l’UPG de Pierre Mamboundou Mamboundou, le RNB du Père Paul Mba Abessole. Ces leaders ont eu, à des degrés divers et variés, une histoire, une âme politique. Et nombreux sont les Gabonais qui se sont se reconnus dans leur engagement. À cette époque, certains ont donné de leur vie voire de leur sang pour ces hommes ; lesquels ont su conquérir le cœur du peuple gabonais. C’était peut-être là l’âge d’or de la politique gabonaise.

Aujourd’hui, on assiste à un vaudeville politique au Gabon. La grande majorité des partis politiques sont drapés dans le «Kounabelisme» avec des discours creux aux antipodes de la réalité du pays. Alors que se dresse ce nouvel élan en perspective, les espoirs naissent, et les inquiétudes aussi ; surtout depuis l’annonce des membres des deux chambres du Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat). Inquiétudes puisque, médusés, les Gabonais ont assisté au retour en triomphe de la vielle garde de la politique de l’ère Bongo père en l’occurrence.

À l’heure actuelle, le doute est donc permis, et le peuple espère que cela ne s’inscrira guère dans la durée. D’où le fait de dynamiter tout le système politique gabonais en mettant en place des conditions strictes en matière de création de parti : pour être chef d’un parti, il faut être Gabonais et avoir un casier judiciaire vierge ; limiter le nombre de partis politiques à un seuil raisonnable, répartis en 3 ou 4  blocs : la majorité, les oppositions et le centre (possibilité de penser à un bloc avec un parti traditionaliste) ; chaque parti doit définir sa ligne idéologique et son positionnement ; les statuts du parti doivent être publiés dans les journaux publics dès leur création et validation par les autorités compétentes ; les membres du bureau exécutif de chaque parti doivent impérativement déclarer leur patrimoine ; exiger au moins 5000 militants à chaque parti politique.

«Au Gabon, la pratique de la politique politicienne a trop anéanti la vitalité de la démocratie»

Ces derniers doivent être clairement identifiés : chaque militant doit impérativement avoir un numéro de matricule du parti et honorer le parti de sa cotisation ; les dons (financement et autres) reçus par chaque parti de la part d’un tiers sont justifiables auprès des autorités compétentes du pays ; pendant les périodes électorales, en cas de subvention de l’État, les partis politiques ont pour obligation de rendre des comptes après chaque élection devant une commission parlementaire ; le parti doit être inclusif et non tribaliste ; toutefois, les membres d’une même famille peuvent se succéder à la tête d’un parti, si les statuts du parti le permettent.

L’objectif ici est de mettre en relief la restructuration des partis politiques, car nous sommes dans une période sensible et d’une extrême urgence à restaurer et à refonder ce qui doit l’être. L’impérieuse nécessité de refonder les institutions de la République ne doit pas être une simple vue de l’esprit, mais une vision inscrite dans la durée. Pour cela, interroger la question politique nous paraît essentielle, car elle est au cœur du fonctionnement d’une société démocratique. Au Gabon, la pratique de la politique politicienne a trop anéanti la vitalité de la démocratie, et ce depuis l’ère Léon Mba en passant par les Bongo avec les réseaux de la Françafrique. Il faut le dire clairement, la majorité des partis politiques gabonais n’ont aucun fondement idéologique. Ils incarnent le vide absolu.

Par Wilfried Ndemby Manfoumby. Docteur et enseignant-chercheur en Littérature générale et comparée.

 
GR
 

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