Économiste, administrateur de société, expert près la Cour d’appel de Libreville, ancien enseignant à l’Université Omar-Bongo (UOB) de Libreville, Daniel Conté* livre dans la tribune ci-dessous son regard sur le devenir du Gabon. Alors qu’à Angondjé se dessinent les contours de ce nouveau pays que souhaitent les Gabonais, il estime dans son analyse qu’«une consolidation des pouvoirs, une justice humaine et divine à la fois, une lutte contre l’ignorance et l’analphabétisme, un encadrement étroit de l’activité économique, appuyés par une presse libre sauront répondre pleinement aux attentes des populations». Lecture.

© Montage GabonReview/OrassioPhotographie

 

Daniel Conté. © Photo personnelle

Une réalité : le Gabon est constitué d’une mosaïque de nations : Fang, Bapunu, O’Myéné, O’bamba, Ba’téké, Gallois, … chacune disposant de sa propre culture, de ses propres traditions et pratiques. Ces nations formées naturellement se sont, dès l’origine, dispensées d’une autorité capable d’imposer ses vues à partir d’une position de supériorité. Ancestralement, dans le clan, la tribu, l’ethnie, en effet, la chefferie n’a jamais été le lieu du pouvoir mais de la concorde ; le goût du pouvoir transmis par les « colons » a changé cela. Aussi les nations apparaissent perdues dans l’apprentissage de l’indispensable unité, survivant dans l’expérience d’un État fédérateur et administrateur, dont elles tentent d’ignorer les décisions, tout au moins dans les mentalités et les comportements de chacun des individus les composant.

Tel est le Gabon entrant dans la globalisation qui engendre l’effacement des frontières face aux contraintes du marché.

La domination progressive du marché organisée selon une logique de réseau à l’échelle planétaire a pour corollaire l’affaiblissement de l’État, donc de la démocratie, plus lent à agir du fait de la complexité de ses mécanismes législatifs et constitutionnels. Animé par des entreprises transnationales, le marché tend à soumettre l’ensemble des populations à ses règles : concurrence, dérégulation, culte de la performance, mouvements de capitaux, récusation de toute morale civique, développement des inégalités, corruption galopante, etc.

Des pans entiers des secteurs économique et social sont progressivement avalés par le marché, notamment la production agro-industrielle et industrielle, les assurances et sous peu la protection sociale, l’enseignement, la recherche, la santé, le travail, les loisirs… D’autres sont logiquement et puissamment influencés, comme le droit. 

Il appartient à l’État de réagir et d’anticiper cette évolution prévisible. 

La fonction première de l’État est de garantir les conditions de la vie en société. D’énormes défis sont à relever : compétitivité, population en expansion et attentes des citoyens, situation réelle des finances publiques, renforcement ou réforme des institutions, … Cela engendre l’obligation pour l’État, confronté à ses responsabilités, notamment sociale, face aux citoyennes et citoyens :  

  1. de dispenser d’importantes ressources à tous les secteurs de la vie économique et sociale : enseignement-recherche, droit, transport, urbanisme, emploi, retraite, communication…, soit un véritable saupoudrage des moyens disponibles, affaiblissant d’autant ses capacités d’intervention ;
  2.  de décider de normes de législation fiscale, sociale et environnementale en vue notamment de réguler la consommation des citoyens et les interventions des entreprises transnationales ou locales privées. Ceci en l’attente de la création à plus ou moins long terme d’un espace juridique international, en réponse à la généralisation d’accords contractuels se substituant à la loi et au droit national. En outre, l’élaboration de ces nouvelles normes présenterait l’opportunité d’une réduction drastique du commerce informel, et d’une exploitation de la niche fiscale que représente le foncier urbain ;
  3.  de renforcer la démocratie représentative par la démocratie participative, le personnel politique polarisé par sa réélection ou sa reconduction à une fonction ministérielle ou locale, sources de revenus financiers et de pouvoir personnel, ne produisant fréquemment que des choix irrationnels ;
  4.  de rechercher dans la construction de l’espace régional «Afrique Centrale» une préservation et une mutualisation des fonctions régaliennes qui fondent sa souveraineté : la monnaie, la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public, la politique étrangère et la défense du territoire, outre la nécessaire institution d’une fiscalité commune. 

Le chantier est vaste et fait appel au soutien de la haute Fonction publique formée pour la plupart de ses membres à l’École Nationale d’Administration locale. Trop choyée dans le passé et courtisane, son inexpérience s’exprime par une suffisance affichée, confrontée à la résolution de la complexité des crises, alors que l’élaboration des politiques publiques de plus en plus influencée par les contraintes internationales exige d’elle disponibilité, innovation et compétences dans l’action et le conseil. Une vérité : la haute Fonction publique ne saura évoluer sans la volonté politique.

 «Le Gabon marche au bord du gouffre» ; toutefois il est capable d’inventer et consacrer une nouvelle régulation sociale, économique, environnementale, politique, qui l’autorise à mieux aborder la globalisation en passant à une économie de flux et de savoir. Le temps est compté, même s’il ne peut être exigé du Gabon qu’il accomplisse en soixante-soixante-dix ans, le chemin satisfait par l’Occident en deux ou trois mille ans.

Deuxième partie 

L’Occident a organisé la mise en place de la mondialisation de façon à recevoir une part disproportionnée de ses bénéfices aux dépens d’une planète en développement. Ce qui explique que les frontières ne prennent pas en compte les réalités des populations et que les mutations technologiques et économiques, l’accélération des échanges, l’émergence de nouvelles puissances, les entreprises multinationales, façonnent les entités étatiques imposées par la colonisation.

La mondialisation est génitrice de l’accroissement financier, du développement des échanges marchands, de la mobilité accélérée des personnes comme des entreprises, avec pour conséquences la recomposition des modes de travail et des styles de vie, l’accroissement de la mobilité générale, une plus grande précarité, une évolution rapide des déséquilibres familiaux, des besoins en formation, de la contraction du temps de loisirs et plus largement une dégradation des conditions de vie due à la pollution, une destruction des habitats naturels, l’effet de serre, les perturbations climatiques… La mondialisation des échanges sans qu’il y ait eu au préalable harmonisation de ses règles de fonctionnement, aussi bien en droit des affaires, en droit du travail, qu’en matière de fiscalité, engendrent année après année une détérioration de la situation. 

Après une période pendant laquelle les thèmes de l’autodétermination et de l’indépendance dominaient le débat entre leaders autochtones, le processus politique de décolonisation imposait d’autorité l’indépendance, et dès 1960, particulièrement lors de l’accession à la fonction suprême du vice-président de la République, le Gabon souscrivait aux demandes des organisations internationales, en installant la plupart des institutions caractéristiques d’une gestion démocratique de l’État.

Or une gestion démocratique, c’est-à-dire la démocratie, exige de tout individu un niveau affirmé de formation civique et technique, donc d’enseignement fondamental et d’expériences de vie. 

L’accès à la souveraineté internationale critère fondamental de l’Etat de droit, n’est indépendance qu’avec l’adoption d’une Constitution dont on sait l’imperfection humaine. Il convient de rappeler que l’autonomie constitutionnelle énonce que chaque peuple dispose du libre choix des règles de son organisation politique, cette dernière assurant discrétionnairement les principales fonctions régaliennes :

. la souveraineté économique et financière

. le droit et la justice,

. la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public,

. la défense du territoire et la diplomatie.

Si une Constitution prévoit son mode de révision et apparaît protégée contre les changements abusifs, elle peut être interprétée de différentes façons comme il a été démontré dans un passé récent par des juristes manifestant ainsi soit un déficit de formation soit un souci partisan par asservissement au chef. Ce qui semble signifier que toute Constitution est assimilable à un simple décret taillable à merci au gré des intérêts personnels.

Toute forme d’organisation de l’État découle d’une Constitution, laquelle promeut le contrôle du Parlement par le Gouvernement, outil fondamental de l’architecture démocratique, alors qu’en général, dans la réalité, le Parlement n’est que l’émanation du Gouvernement auprès duquel il ne se comporte qu’en simple chambre d’enregistrement et d’officialisation des décisions.

La légitimité de l’État censée être renforcée par l’action du Parlement, est aussi ébranlée notamment par le volume et la complexité croissants des décisions à prendre d’une part, et de la tentation de corruption qui peut saisir l’élu d’autre part. Et que dire en sus de l’absence de compétences du personnel parlementaire censé représenter la population et ses attentes?

Afin de remettre les citoyens et la population au cœur des préoccupations du pouvoir politique d’aucuns préconisent le recours complémentaire à la démocratie participative. Malgré les pesanteurs sociologiques et un niveau certain d’ignorance et d’analphabétisme de la population, la démocratie participative saurait pallier aux défaillances de la démocratie représentative «en favorisant le débat et la concertation citoyenne en dehors des appareils politiques et des institutions administratives».

Concrètement, cela implique que les pesanteurs sociologiques soient réduites par la création d’une nouvelle institution composée exclusivement d’Anciens, et qu’une meilleure anticipation des situations soit le fait d’une assemblée résultant de la fusion du Sénat et du Conseil Économique Social et Environnemental actuels, c’est-à-dire des supposés représentants des assemblées territoriales avec les supposés représentants consultatifs des forces vives de l’État. Évidemment ces novations ne seraient, sans interdiction de cumul et de renouvellement de mandat, afin de faciliter au maximum la participation des populations aux décisions.

Enfin, la consolidation de l’architecture constitutionnelle doit être assurée par l’élection du Président de la République par les assemblées institutionnelles réunies en Congrès ainsi que celle des membres de l’assemblée nationale par un scrutin à la proportionnelle, et passe par l’instauration de la consultation des assemblées locales pour les textes à vocations décisionnelles intéressant les fonctions régaliennes de l’État, grâce à une large couverture numérique du territoire.

L’appui du droit s’avère indispensable à l’organisation économique et sociale de l’État : à la transparence dans la gestion, à la responsabilité des décideurs, à l’efficience gouvernementale. Toutefois le droit apparaît compressé entre la Constitution, les interventions des entreprises transnationales et le souci de certains dirigeants de protéger leurs intérêts privés et publics, affirmant ainsi sa nature humaine originelle : sans fondement éthique le droit est partisan, sans discernement il s’avère danger. L’harmonisation continentale engagée au sein de l’Ohada intervient fort opportunément en renforcement des luttes contre la «configuration» de l’interprétation des textes que l’on connaît. Il est regrettable que malgré quelques avancées notables, l’harmonisation s’arrête prudemment en partie aux frontières des États, et aux matières traitées.

Cicéron écrivait : la Justice est une disposition de l’esprit qui, en sauvegardant l’intérêt général, accorde à chacun la dignité qui lui revient.

La table judiciaire frémit à la question « esprit es-tu là ?» mais ne livre aucune réponse.

La structure de la Justice «aussi raide qu’un barreau de chaise rongé par des milliers de termites et de vrillettes» exige une rénovation dont la moindre découle de son indépendance du pouvoir politique. Il s’agit ni plus ni moins de couper les liens de domination et de nominations existants entre les professionnels du droit et le Chef de l’État au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature. La Justice étant d’essence divine, elle ne souffre d’aucune influence : il appartient aux seuls professionnels du droit d’apprendre à se structurer et à se former, afin de mieux servir l’État.

Une consolidation des pouvoirs, une Justice humaine et divine à la fois, une lutte contre l’ignorance et l’analphabétisme, un encadrement étroit de l’activité économique, appuyés par une presse libre, sauront répondre pleinement aux attentes des populations

*Daniel Conté, économiste, administrateur de société, expert près la Cour d’Appel de Libreville.

 
GR
 

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