Dans le cadre de la «réflexion collective et spontanée» menée par quelques jeunes Gabonais (enseignants-chercheurs et observateurs de la situation sociopolitique du pays) sous le thème «Quelle transition pour quelle restauration ?» Pauline Obone Ondo, Enseignante-chercheuse à l’université Omar Bongo, aborde «l’urgence et responsabilité à l’épreuve de la transition». À travers cette réflexion, elle pose «la question de la reconstruction de la structure étatique et celle de la restauration de la nation, au sens du vouloir vivre ensemble, par la sanction et la réparation des violations individuelles et institutionnelles».

«Les objectifs du CTRI doivent, autant que possible, être réalistes et encadrés dans le temps afin de ne pas paraître farfelus et irréalisables…». © D.R.

 

«Urgence et responsabilité», quiconque voit à peu près de quoi il est question. Le terme «urgence» renvoie au caractère de ce qui est urgent, qui ne doit souffrir d’aucun retard, c’est la nécessité d’agir vite. Le mot «responsabilité» quant à lui pointe l’obligation ou la nécessité de répondre, de se porter garant de ses actions ou de celles des autres. Dans le cadre d’une institution, la responsabilité renvoie à une position qui donne des pouvoirs de décision, mais implique que l’on rende compte. C’est à la lumière de cette dualité que doit s’appuyer le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) pour la mise en place de ses objectifs. L’urgence est donc dans la reconstruction de la structure étatique et des institutions, et la responsabilité de rétablir la vérité et garantir la justice. 

Interrogé sur la chaîne internationale de télévision francophone TV5Monde, au sujet du putsch du 30 août 2023, le professeur Albert Ondo Ossa, candidat «d’Alternance 2023», répondait en ces termes : «Ce n’est pas un coup d’État, c’est une révolution de palais […]». Ces paroles du principal adversaire d’Ali Bongo lors des dernières élections présidentielles d’août 2023 laissent entrevoir un doute quant à la sincérité et les motivations de la junte militaire au pouvoir. Pour Albert Ondo Ossa, il n’y a pas de doute, il s’agit «d’une révolution de palais» dont les véritables instigateurs seraient les «Omariens», en tête desquels Pascaline Bongo. De plus, la population gabonaise qui, dans sa grande majorité, avait salué le renversement d’Ali Bongo, prend de plus en plus du recul face aux choix des nominations du gouvernement de la Transition qui ne rassurent pas l’opinion nationale qui les perçoit comme la restauration de l’ordre ancien avec le retour aux affaires d’anciens «camarades» du parti démocratique gabonais (PDG). On retrouve, entre autres membres, d’anciens ministres des différents magistères d’Ali Bongo à l’instar de Raymond Ndong Sima, Premier ministre de la Transition et par ailleurs, ancien Premier ministre d’Ali Bongo de 2012 à 2014, avant de s’éloigner du pouvoir qu’il accusait de mauvaise gouvernance. 

Un autre membre influent du régime d’Ali Bongo a également été nommé par Oligui Nguéma en la personne de Jean François Ndongou. Figure emblématique dans l’organisation des élections présidentielles de 2009, ce dernier a tour à tour été nommé ministre de l’Intérieur sous Rose Francine Rogombé et après l’arrivée d’Ali Bongo au pouvoir à l’issue du scrutin de 2009. Rappelons que cette élection fut entachée de plusieurs actes de violence parmi les plus importants que le Gabon a connus avec de nombreuses pertes en vies humaines, tout comme celle de 2016. 

Aucune enquête n’a jamais été diligentée pour déterminer les auteurs de ces exactions, encore moins une audition de Jean François Ndongou, alors ministre de l’Intérieur au moment des faits. Dès lors, la question de la reconstruction de la structure étatique et celle de la restauration de la nation, au sens du vouloir vivre ensemble, par la sanction et la réparation des violations individuelles et institutionnelles, se posent. 

La volonté de reconstruire un État de droit et de restaurer une gouvernance juste et apaisée après les violences et les exactions commises doit donner lieu à la refondation d’un rapport politique solide juste et équitable au sein de la Nation. Car, de la construction du sentiment d’appartenance commune naîtront le dialogue et la réconciliation nationale. C’est dans cette approche reconstructive que doit s’inscrire le CTRI. Ce nouvel ordre ne peut s’appuyer que sur la réconciliation nationale qui, de facto, inclut l’application de la justice à tous les responsables de la situation chaotique du Gabon, sans quoi les piliers de l’essor vers la félicité à reconstruire seront chancelants. 

Au regard de ce qui précède, deux échelles d’hypothèses devraient conduire le CTRI. La première vise la construction d’une harmonie sociale débarrassée des oripeaux de l’ethnocentrisme jadis entretenu depuis le sommet de l’État. La deuxième quant à elle renvoie à la redéfinition des règles de vie minimale d’une société acceptable. Autrement dit, le président de la transition se doit de poser les bases d’une coexistence sociale empreinte de tolérance et du respect des citoyens. 

Pauline Obone Ondo. © D.R.

CTRI : De la justice à la transition

Parler «de la justice à la transition» dans la logique du CRTI fait écho à l’ambiguïté de son modus operandi observé depuis son instauration à travers ce qui paraît comme l’inertie de la justice au lendemain du putsch. En effet, il importe de reconnaître la justice comme un concept vaste qui prend une signification tout aussi particulière que la période qui la traverse. La justice est avant tout un besoin : celui de la reconnaissance de la dignité de la personne. C’est aussi le besoin de réparation matérielle ou morale pour se reconstruire. La justice est enfin un besoin de punition et de sanction. Elle s’appuie sur le jugement, la sanction et l’identification claire des auteurs des crimes, des victimes, des faits justiciables établis, et des normes à appliquer. 

Le CTRI doit, de fait, appliquer une justice qui incarne les bases susmentionnées. Toutefois, on peut se demander si l’on peut parler de justice au cours d’une période de transition comme celle du Gabon dans la mesure où les dispositifs mobilisés n’émanent pas de la justice, entendue comme une justice applicable en période de stabilité politique. Ici, il s’agit plutôt d’outils «formalisés» de l’ingénierie transitionnelle, au sens large, pour restaurer le fonctionnement de la justice formelle, et plus précisément pour apaiser les tensions au sortir du scrutin du 26 août 2023. 

Il faut dire que la justice telle que pensée ou instaurée par les putschistes au Gabon repose sur un certain nombre d’ambiguïtés qu’il convient de souligner afin que chaque protagoniste les ait à l’esprit au moment de décider de la mise en place de «nouvelles institutions». Il ne faut pas perdre de vue que les ambiguïtés sont nécessairement la contrepartie de la flexibilité de la notion (justice). Observons d’abord que la responsabilité du CTRI ne doit pas seulement renvoyer aux mécanismes institutionnels de la justice, il se doit de les inclure tout en les dépassant de sorte que la justice soit saisie lato sensu comme tout mécanisme participant à la réalisation de la restauration de ce qui est juste. 

La deuxième ambiguïté réside dans la notion de transition. Les responsabilités du CTRI vont au-delà d’une justice des acteurs de la transition «justice des vainqueurs». La transition gabonaise ne doit justifier, en aucun cas, et en aucune façon, la mise en place d’institutions de second rang. Bien au contraire, la transition, aussi temporaire soit-elle, en théorie, est bien souvent amenée à durer, ce qui pourrait être le cas du Gabon.

Ainsi donc, les objectifs du CTRI doivent, autant que possible, être réalistes et encadrés dans le temps afin de ne pas paraître farfelus et irréalisables au risque de les décrédibiliser et de délégitimer toute volonté d’instaurer le dialogue national et de reconstruire les institutions.  D’autant que le retour à un ordre constitutionnel demeure la seule porte d’issue acceptable si l’on souhaite réellement œuvrer à l’avènement d’un républicanisme digne d’intérêt. 

Par Pauline Obone Ondo, Enseignante-chercheuse à l’Université Omar-Bongo. Membre de l’équipe de recherche Espaces humains et interactions culturelles (EA 1087, CNRS-Limoges / France).

 
GR
 

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